Edouard Philippe |
Dans une interview au magazine l’Express, Edouard Philippe revient
sur les actes antisémites récents, notamment l’agression verbale dont a été victime
le philosophe Alain Finkielkraut lors d’une manifestation des gilets jaunes, qu’il
dénonce avec fermeté tout en rappelant que les antisémites ont malheureusement toujours
existé et en appelant à un combat sans réserve et sans faiblesse à leur encontre.
Extraits des propos du Premier ministre.
- Il faut regarder les choses en face. L'antisémitisme est
très profondément enraciné dans la société française. On aimerait penser le
contraire, mais c'est un fait. J'ajoute une autre vérité qui dérange: l'idée
selon laquelle l'antisémitisme ne serait que l'affaire des juifs est encore
très répandue. De nombreux Français sont contre l'antisémitisme, mais ne se
sentent pas personnellement concernés par ce fléau.
- A l'occasion de la crise des gilets jaunes un certain
nombre de garde-fous ou de digues sont tombés. On parle de libération de la
parole, c'est en vérité beaucoup plus que cela. Des interdits qui créent les
conditions d'une vie sociale paisible ont été remis en cause. Et parmi ces
éléments, il y a l'antisémitisme. Cela touche aussi le respect des symboles de
la république, des journalistes, des élus, comme le respect des églises, des
synagogues ou des cimetières... S'en prendre à Alain Finkielkraut, c'est
précisément s'en prendre à un symbole de la république, à l'indispensable
figure de l'intellectuel engagé.
- Les biais antisémites ont la vie longue. Ils sont souvent
portés consciemment ou inconsciemment par des gens qui, par ailleurs, se parent
de toutes les vertus républicaines.
- Vous avez traditionnellement les racines d'un
antisémitisme très à gauche ou très à droite, mais cette propension existe
aussi chez des gens modérés, vraiment pas des extrémistes ou des énervés, des
personnes «bien élevées», qui ne peuvent pas s'empêcher de dire: «Ah oui, mais
il est juif!» Je sais bien qu'en disant cela je peux énerver beaucoup de gens,
qui pensent que le problème n'existe pas, ou qui n'aiment pas qu'on en rappelle
l'existence. Mais nous avons un problème! Les sociétés se vivent toujours avec
une sorte de vanité lorsqu'elles sont prospères, elles pensent qu'elles sont le
stade ultime du développement et que les grands combats de civilisation sont
achevés. Il ne faut pas se raconter d'histoires.
- (Un antisémitisme islamiste) existe évidemment, lié au
conflit israélo-palestinien, ou à son instrumentalisation, d'une part, et à la
radicalisation religieuse, d'autre part. Mais il est difficile, et sans doute
vain, de distinguer les différentes catégories d'antisémitisme. Le danger
serait de considérer que telle ou telle forme est plus préoccupante qu'une
autre. Il faut être totalement déterminé, je dirais presque enragé, dans notre
volonté de lutter, avec la conscience claire que ce combat est ancien et qu'il
durera longtemps. Il passe par la dénonciation, l'éducation, la formation et la
sanction.
- Je suis très soucieux non pas tant de ce que véhicule la
presse - on a un dispositif juridique à la hauteur des enjeux, avec une
responsabilité des éditeurs et des médiations -, mais du foisonnement des
paroles haineuses, antisémites ou racistes, sur les réseaux sociaux. Il y a là
un sujet de droit évident. (…) Nous souhaitons vérifier que Facebook, Twitter
et les autres sont capables de faire retirer rapidement les contenus signalés
comme haineux. C'est leur rôle. L'Origine du monde de Courbet est censurée sur
Facebook; or ce tableau me pose nettement moins de problèmes qu'un propos
antisémite, qui, lui, ne l'est pas toujours! Dans un pays comme le nôtre, qui
représente un marché important, les hébergeurs doivent créer les conditions du
respect de la loi française.
- Un combat n'est jamais gagné quand on ne le livre pas. Mes
parents étaient professeurs, parfois dans des endroits difficiles, et ils se
sont heurtés à la force des préjugés, j'ai donc des exemples assez précis en
tête. Je veux que le combat soit livré. Je ne m'inscris d'ailleurs pas du tout
dans une rupture, Manuel Valls avant moi était très engagé, Bernard Cazeneuve à
l'Intérieur puis à Matignon aussi, d'autres à droite pareillement. Nous
partageons cette volonté ferme.
- Il n'y a pas d'âge d'or pendant lequel l'antisémitisme
n'aurait pas existé et (…) il n'a évidemment jamais été unanime, il y a
toujours eu, aussi, des paroles fortes, des actes forts, y compris dans les
périodes les plus sombres, pour montrer que la France, ce n'est pas
l'antisémitisme: il y a de l'antisémitisme en France, mais ce n'est pas la
France.
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