François Bayrou |
Comme la plupart du personnel politique, François Bayrou tente
de se positionner face au mouvement de foule des «gilets jaunes» en défendant
nombre de ses revendications même si celui-ci, en cinq semaines de mobilisation,
ne fait descendre dans la rue qu’une infime partie de la population et a créé
le chaos plutôt que de construire quelque chose.
Dans cette course à l’échalote pour coller au plus près des «préoccupations»
de ces gilets qui serait une sorte d’avant-garde du «peuple» français, le
président du Mouvement démocrate, lors d’un entretien sur BFMTV, semble prêt à
jeter par-dessus bord des positions qu’il tenait depuis longtemps (comme sur
les déficits publics) et à affirmer qu’il a toujours était un soutien de ces
revendications.
Et quand il affirme que «les questions posées sur lesquelles
nous nous arrêtions il y a encore une semaine, avec autant de souci et de
gravité, sont toujours là et il importe qu'elles trouvent des réponses», il
justifie des demandes souvent irresponsables ou irréalisables et des discours
de haine.
Un jeu dangereux qui démontre plutôt une absence de vision à
long terme et la soumission au diktat de l’immédiateté, voire à l’angoisse qu’un
mouvement violent peut avoir sur un monde politique désorienté.
Dans ce jeu, Bayrou devient même lyrique voyant dans la
situation actuelle, «un moment passionnant, unique, sans précédent,
précisément parce qu’il va permettre de faire naître une autre époque, une
autre manière de concevoir les citoyens, leurs rapports avec le pouvoir et
l’exercice même du pouvoir».
A noter, enfin, qu’il a une nouvelle fois affirmé qu’il
n’avait d’autres ambitions que sa mairie de Pau et son parti mais a toutefois
reconnu que, dans la majorité présidentielle, «chacun a sa vision de l'avenir»
alors que tout le monde sait qu’il multiplie les critiques envers le
Gouvernement et son chef, Edouard Philippe…
Extraits de son entretien:
Avez-vous vu dans la journée, hier, le début de
la fin du mouvement des « gilets jaunes? Dites-vous,
aujourd’hui, comme certaines autres personnalités de la majorité, que le moment
est venu d'arrêter ce mouvement, de lever les barrages et de partir des
ronds-points ?
La participation est moindre. C’est
indiscutable et traduit quelque chose de profond. C’est qu’il y a eu des
réponses. Il y a aussi le contexte qui permet de remettre les choses à leur
place. Je parle des attentats.
Pour moi, si la participation est
moindre, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Les questions posées
sur lesquelles nous nous arrêtions il y a encore une semaine, avec autant de
souci et de gravité, sont toujours là et il importe qu'elles trouvent des
réponses.
Des réponses au-delà de ce qu’a dit
le Président de la République lundi soir ? Pour vous, c'est un début
plutôt qu’une réponse complète à tout ce qui s'est exprimé depuis des
semaines ?
La réponse du Président de la
République lundi soir, pour moi, est très importante. Elle est importante, pas
seulement à l’échelle des 5 années pour lesquelles il est élu, mais parce
que cela fait trente ans que les problèmes couvent, qu'ils fermentent, qu'il y
a quelque chose dans la société française de complètement malsain et que l’on
voit ressortir à chaque campagne électorale et auquel on n’apporte pas de
réponse.
Donc, quand j'ai dit
« changement d'époque », c'est que le Président de la République a
dit, ayant fait ce choix personnel: «On
va affronter ces questions-là.» Ces questions qui n'ont jamais été
prises en compte ou, en tout cas, qui n'ont jamais trouvé de réponses
construites, on va les leur apporter.
Première chose: il a apporté des
réponses, c’était votre question, d'ordre du pouvoir d'achat, de la vie de tous
les jours et matériel. Ces réponses sont très importantes. On en parlera dans
une minute, mais il y a beaucoup d'autres questions. Par exemple, le sentiment
qu’ont les manifestants, et ceux qui les soutiennent, qu’il y a une très grande
partie des Français qui n’est pas prise en compte, que le jeu ‑ le «jeu», je
dis cela de manière simple et non péjorative ‑ les débats, les affrontements
retransmis sur vos écrans sont ceux d'une certaine partie de la France, plutôt
du haut de la pyramide et que les Français du socle français, du socle du
travail, des difficultés de la vie de tous les jours, ceux-là ne s'y retrouvent
pas, ne s'y entendent pas. Il n’y a pas de voix pour eux.
Comment concrètement leur donne-t-on
une voix? Comment faut-il faire?
La question de la représentation
traîne depuis longtemps. J'ai été frappé de voir qu'il n'y avait pas une
revendication qui n'exige, ne demande, n'attende une représentation plus juste
des citoyens. On appelle cela, la proportionnelle, c’est-à-dire que le nombre
de sièges soit proportionnel au nombre de voix, ce qui n’est pas du tout le cas
dans les institutions françaises depuis longtemps.
Combat que je mène depuis longtemps.
Il y a la prise en compte du vote
blanc pour ceux qui ne se retrouvent pas dans les candidatures et, de ce point
de vue, là aussi, il y a quelques difficultés, mais des réponses qui peuvent
être évidentes. Puis, il y a la réponse du référendum d'initiatives citoyennes.
Or, ce référendum, dans nos institutions, existe. Dans la Constitution, à
l’article 11, il y a la possibilité que 10% des élus de la Nation,
députés, sénateurs, s'ils sont soutenus par 10% des électeurs inscrits,
puissent faire inscrire un texte au référendum. 10% est-ce qu’il est trop
haut ? On peut en discuter. Peut-on imaginer le baisser?
On pourrait imaginer qu’un million
de signatures constitue un seuil (…). Un million de signatures à condition
qu’il y ait un soutien d'un certain nombre de parlementaires, pour garantir que
tout cela n'est pas fantaisiste.
Ce sont des changements très
importants qui peuvent concerner nos institutions, notre manière de vivre la
politique ensemble, mais il y a une chose dont je suis absolument certain: il
est impossible que la politique soit l’affaire seulement des initiés, parce que
la politique, c’est la vie, c’est la mienne, c’est celle de nos enfants, c'est
celle de nos proches. La politique doit être l'affaire de tous et si on n'a pas
cela en tête alors on s’égare, comme on s'est égaré depuis si longtemps.
Cela fait quarante ans que la
participation à toutes les élections décroît sans cesse et cela vient de ce que
l’on écarte les citoyens. Ne serait-ce que ‑ ce que je vais vous dire va vous
paraître bizarre ‑ par la langue que l'on parle.
Dans ce qui a été annoncé par le
Président de la République, il y a un certain nombre de mesures concrètes, mais
êtes-vous confiant dans le fait que le Président tiendra les engagements pris?
Je ne suis pas inquiet, je suis
déterminé. Je sens le Président de la République et je suis avec lui, sur ce
point, déterminé à ce qu’une nouvelle fois, on ne ratiboise pas les promesses
faites en expliquant que c’était comme ça et que c’était pas autrement.
C'est une chose extrêmement
importante. Il y a plusieurs manières d'y répondre. Peut-être y reviendra-t-on?
Mais l'effectivité, la réalité, la réalisation concrète de ce qui a été promis
par le Président de la République est un élément de jugement. C'est à partir de
cela que l’on verra.
Ensuite, quant à la question que
vous avez posée sur le grand débat national, c’est une chose sans précédent. Si
on la fait bien, on changera l'avenir du pays, sinon on fera naître des
frustrations.
Qu’est-ce que ce débat national?
C’est quelque chose que les Français ont vu depuis longtemps. À chaque
élection, depuis un demi-siècle, les mêmes problèmes reviennent sur le devant
de la scène. Je veux vous rappeler qu’en 1995, Jacques Chirac a été élu sur la
fracture sociale et, en quelques mois, on a basculé vers autre chose et cela
s'est produit à chaque élection. Lorsque le débat a lieu, ressortent les
attentes profondes et, dès que le nouveau Président est élu ou le nouveau
Gouvernement, alors on revient à la manière de gouverner d’avant « Business as usual » comme disent
les Anglais.
Si nous prenons au sérieux cette
séquence dans laquelle, les Français et leurs dirigeants, majorité, opposition,
représentants, etc. font apparaître ces attentes jamais traitées, attentes
économiques, attentes sociales, démocratiques, européennes, si on les fait
apparaître, si on leur donne une réponse et une direction, alors tout peut
changer et pour le bien parce que, pour une fois, ce ne seront pas des
promesses de Gascon! Mais de vraies promesses puisque ceux qui vont les prendre
sauront qu’ils devront les appliquer.
Une dernière question sur un mot que
vous avez employé à l'instant à propos d’Emmanuel Macron, vous avez dit :
« il a pris une décision presque solitaire ». Il n'est pas solitaire,
le Président de la République, il a des collaborateurs, il a des conseillers,
il a un gouvernement et il a un Premier ministre. Dans
ce cas-là, il faut changer d’équipe, non?
Je n'emploie pas des mots comme ça.
J’ai dit persuader, convaincre, entraîner, faire changer la culture du pays. Je
n'ai aucun doute que, depuis dix-huit mois, Emmanuel Macron a eu beaucoup de
raisons de voir que la culture administrative du pays, la culture de
gouvernement du pays ne ressemblait pas exactement à la spontanéité, à
l’intuition, peut-être à la bienveillance qu’il avait défendue pendant la
campagne présidentielle et c’est d’autant plus intéressant. C’est un moment
passionnant, unique, sans précédent, précisément parce qu’il va permettre de
faire naître une autre époque, une autre manière de concevoir les citoyens,
leurs rapports avec le pouvoir et l’exercice même du pouvoir.
Affronter la question de
l'immigration que le chef de l'État allie à la question de l’identité, cela a
semé le doute, notamment et y compris, au sein de la majorité. Certains
parlementaires ne veulent pas que l’on parle de cette question de l'immigration
pendant ce débat. D’autres redoutent le fait de lier identité/immigration.
Où vivent les gens qui prétendent
qu'il ne faut pas traiter de cette question? Dans quel monde vivent-ils?
Je le dis, si vous me le permettez,
avec toute mon histoire qui, de ce point de vue, a été clairement affirmée tout
au long de mon engagement, mais ne voyez-vous pas que tous les pays d'Europe et
de la planète, sont aujourd’hui traversés par cette interrogation sur eux-mêmes?
Ne voyez-vous pas que c'est la question même qui a élu Trump, c’est la
question même qui a fait le Brexit, qui a conduit certains choix politiques en
Europe orientale? C'est une question existentielle.
C’est précisément parce que le débat
ne sera pas un débat forcé, imposé par des événements, par des révoltes, etc.,
mais simplement parce qu'il est voulu. On peut et doit dire des choses
essentielles sur ce que nous sommes, sur notre identité, sur notre volonté
d’avoir le contrôle de notre avenir et donc comment a-t-on le contrôle de son
avenir? À mes yeux, en ayant une Europe profondément changée, ‑ peut-être y
viendra-t-on ‑ réorganisée, qui voit d'autres choses, qui se préoccupe d'autres
directions et d’autres objectifs? Mais quand un peuple a une interrogation
lourde sur son avenir, si vous ne la traitez pas d’une certaine manière, vous
trahissez votre responsabilité, votre vocation de dirigeant démocratique.
L'intuition du Président de la
République était juste de dire, dans le mouvement que l’on appelle des «gilets
jaunes», il y avait aussi cela, bien sûr, non exprimé, mais, au premier rang,
il y avait la question de la vie quotidienne, des moyens de la vie quotidienne,
il y avait la question de la représentation question qui s'adresse à
vous aussi. Il y avait la question, au fond, des deux France, celle qui est
d’un côté de l’écran de télévision et celle qui est toujours de l’autre. Et, il
y avait cette question de notre identité de pays et de nation et elle est
honorable. Ce n'est pas une question qui vise à attiser. Au
contraire, la traiter de manière sereine, c’est, d'une certaine façon, rendre
hommage ou faire confiance à l’équilibre et à la maturité de notre peuple.
Comment faites-vous pour financer
les mesures annoncées? Où voyez-vous la marge de manœuvre alors qu’il n'y en a
quasiment aucune pour financer ces 10 Md€ puisque vous avez dit que vous
seriez extrêmement déterminé à ce que les promesses du chef de l'État soient
appliquées, qu'il n'y ait pas de carabistouille, pour reprendre l'expression
aujourd’hui du Président de l'Assemblée Nationale.
Il y a deux réponses, peut-être
trois.
La première, c'est qu'il y a sans
doute un certain nombre de dépenses à différer dans le temps, de quelques mois
ou de quelques années.
On avait promis des baisses sur
l'impôt sur les sociétés, par exemple, peut-être peut-on attendre quelques mois
de plus. Il y a, de ce point de vue-là, une piste.
Il y a une deuxième piste que j'ai
défendue, c'est que l'on oriente une partie des dépenses qui étaient prévues
cette année pour la baisse des charges question.
Le CICE, peut-être faut-il rappeler
ce que c'est, c'est un crédit d'impôt indexé sur les salaires payés par
l'entreprise et on rembourse l'année suivante à l'entreprise une partie de ces
sommes-là. Cela lui fait de la trésorerie.
Or le gouvernement a décidé, je ne
peux pas lui donner tort, que ce n'était pas très sain et qu'il fallait un
basculement vers la baisse des charges.
L'idée que l'on puisse cibler une
partie de sommes que représente cette baisse des charges vers les plus bas
salaires, c'était une piste.
Puis il y a une troisième piste qui
n'a pas la caractéristique vertueuse des deux autres, mais il y a des
moments où la vertu n'est peut-être pas la préoccupation la plus importante
sans doute : la prime d'activité, c'est-à-dire cet apport supplémentaire
que l'on donne aux gens qui ont des bas salaires pour qu’ils ne perdent pas.
Il empêche que l'on puisse gagner
moins en travaillant que si on ne travaillait pas.
Cette prime d'activité-là, on doit
pouvoir l'étendre et l'affecter aux 100 € en question. C'est une dépense
supplémentaire, c'est un changement d'orientation, mais en tout état de cause,
je défends à nouveau devant vous l'idée que, ce qui compte, c'est d'être au
rendez-vous.
Est-ce que votre rôle aujourd'hui vous satisfait
François Bayrou? On parle beaucoup de vos envies prêtées, de revenir un jour au
gouvernement, peut-être de succéder à Édouard Philippe à Matignon?
Deux questions dans votre propos.
La première: il y a des gens dont le métier est de
faire des romans, alors ils passent leur vie, ils sont payés pour cela vous en
connaissez un certain nombre puis, quand on est 24 heures à
l'antenne, il faut bien inventer des choses à raconter et donc ils inventent
ainsi des ambitions.
Je n'ai aucune ambition, c'est simple.
J'ai une vie formidable qui satisfait des choses très
profondes en moi que j'attendais depuis longtemps. Je suis à la tête d'une
ville formidable que j'aime, d'une région formidable et que j'aime, au pied des
Pyrénées. C'est à la fois ce que l'on peut imaginer de plus beau et de plus
intéressant.
Dans le même temps, nous avons formé ensemble,
plusieurs sont là autour de moi, un courant politique, un mouvement politique
qui était hier considéré comme second pour ne pas dire secondaire et qui se
retrouve aujourd'hui en situation centrale à côté de la République en Marche qui
est un projet en formation, qui a fait naître des vocations très intéressantes.
J'ai ces deux, on va dire, accomplissements et donc je
n'ai aucune autre ambition.
En revanche, pour aller dans le sens de votre roman, à
l'intérieur de la majorité, oui, nous avons défendu, j'ai défendu une vision
qui est une vision un peu différente d'un certain nombre d'autres membres de la
majorité, mais une majorité cela sert à cela.
Alors, on invente des rivalités avec Édouard Philippe.
Tout cela est ridicule. Chacun a sa vision de l'avenir, on les confronte à
l'intérieur d'une majorité et on essaie de faire que, dans le pays, elle
s'impose. Et je trouve que c'est beaucoup plus sain que les croche-pattes, les
croche-pieds et les coups en douce.