François Bayrou & Emmanuel Macron |
Décidément, lorsque François Bayrou veut défendre un des ses
«alliés», il l’enfonce un peu plus parce qu’il ne peut s’empêcher de parler de
lui et que ressortent toutes ces frustrations de n’être pas là où il mériterait
(selon lui) d’être et qu’il en profite pour régler ses comptes tout en
affirmant avoir eu raison avant les autres.
Ainsi de ses propos sur la chaîne franceinfo pour commenter
l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron ainsi que les mesures qu’il a
annoncées.
On s’attendait à ce qu’ils les défendent mais, comme à son
habitude, il en a surtout profité pour tirer la couverture à lui.
Et dans un moment de franchise qui lui a manifestement
échappé (la transcription écrite a été supprimée du site du MoDem…), il a
rappelé qu’il avait été en désaccord avec la «ligne politique» du Gouvernement
(qui est évidemment celle du Président de la république), «très tôt, vous le
savez… et j’allais presque dire depuis le premier jour».
Le « très tôt» était déjà une manière de se démarquer de la
politique suivie dès le départ mais il n’a pu s’empêcher de préciser qu’il
avait «failli dire» (tout en le disant!) que c’était dès le premier jour.
Et de déclarer dans la foulée pour que personne ne pense qu’il
n’avait pas dit ce qu’il allait presque dire, que «c’était une divergence de
ligne très importante».
Dont acte.
Mais tout observateur attentif de la vie politique n’a pas
oublié que des critiques dures ont émané dès le premier jour de sa part envers
certaines des voies suivies par Emmanuel Macron et qu’il a été immédiatement
dans une sorte de «soutien critique» à l’exécutif.
Certains prétendront qu’il se voulait constructif, d’autres,
en voyant le mouvement des gilets jaunes, qu’il a été largement destructeur.
Ce que Bayrou ne veut pas dire mais qu’il dit quand même
(comment gagner sur les deux tableaux…), c’est qu’il a été, «depuis le premier
jour» de ceux qui ont crié au loup mais qui l’ont fait entrer dans la bergerie.
En prétendant, notamment, qu’il était loin du peuple comme
les Le Pen, Mélenchon, Wauquiez, Lagarde, Dupont-Aignan et Hamon, il a diffusé
dans l’opinion publique qu’il y avait un président qui méprisait le «peuple»,
qui n’aimait que les «riches» et qu’il était légitime (parce que tous ces
leaders politiques l’affirmaient) de s’insurger contre ce «Jupiter» qui ne
connaissait rien à ses problèmes.
De ce point de vue, le président du Mouvement démocrate
porte une responsabilité dans l’éclosion du mouvement des gilets jaunes.
Peut-être qu’il s’agit d’un fait positif selon lui comme
c’est le cas pour les autres leaders que l’on a cité.
Mais, que ce soit ou non le cas, décidément, il est un allié
très encombrant.
Extraits de l’interview
- Vous avez écouté,
évidemment, Emmanuel Macron. S’agit-il d’un tournant du quinquennat?
Ce que le président de la République a dit est très
important et c’est un événement, c’est un nouvel acte qui s’ouvre et ne nouvel
acte, ce n’est pas seulement du quinquennat, c’est depuis trente ans que
couvent ces problèmes, une affirmation du Président de la république qui dit,
au fond, il n’y a pas de progrès économique possible sans justice sociale. Il
n’y a pas de progrès économique possible si tous les citoyens ne se sentent pas
concernés, engagés, autrement ça bloque le progrès économique, ça bloque
l’économie. Et cette affirmation-là, qui est l’affirmation même sur laquelle
Emmanuel Macron a été élu président de la République, c’est une affirmation
fondamentale et qui va nous amener à réfléchir à la totalité du projet de
société, comme Emmanuel Macron l’a annoncé.
- Pourquoi l’avait-il
oublié depuis dix-huit mois
Bon, il y avait les impératifs du gouvernement, les méthodes
du gouvernement à la française, qu’il a hier soir pointés du doigt en disant
«Depuis trop longtemps, l’Etat est centralisé, l’Etat fonctionne selon les
mêmes règles». Derrière tout ça, il y a une grande question: Est-ce qu’on a
donné toute la confiance nécessaire, tout le crédit nécessaire à la société,
aux collectivités locales, aux entreprises, à tous ceux qui ont choisi
d’innover, de faire différemment, ou bien est-ce qu’on les a bloqués, beaucoup,
depuis des années et des années avec les méthodes qui sont celles de l’État
français? Je veux insister sur un point: On vit là un événement, c’est un
événement qui dure depuis trois semaines ou un mois, du quinquennat qui a
débuté en 2017. Mais, en vérité ce n’est pas ça. En vérité, ça fait trente ans
que ça dure. Je veux vous rappeler que Jacques Chirac a été élu sur la fracture
sociale en 1995, avec l’idée qu’on ne pouvait plus supporter une France coupée
en deux, et alors, très vite, les méthodes de gouvernement ont basculé, parce
qu’il y a des impératifs et qu’ils ne sont pas négligeables aussi.
- Mais justement,
pourquoi est-ce que là, ça marcherait, puisque cela ne marche pas depuis 1995,
comme vous le disiez?
Mais parce que vous voyez bien que ça atteint un point où la
conscience publique, vous les journalistes, et puis ceux qui vous écoutent, se
rendent compte qu’il y a une question à laquelle on n’a pas apporté de réponse,
et cette question c’est le creusement des inégalités qui, depuis trente ans,
est présenté comme une conséquence des décisions qu’il faut prendre pour la
croissance. Et ce creux d’inégalités, ou en tout cas la vie de tous les jours,
et j’ai aimé que le Président de la république évoque les familles
monoparentales, évoque les retraités, très important ce qui a été annoncé pour
les retraités hier soir, que au-dessous de 2000 euros l’augmentation de la CSG
qu’ils ont subie allait être annulée. Et tout ça, pour moi c’est cela qui est
important dans tout ce qu’on a entendu hier soir: Non seulement il annonce ces
mesures-là, mais il dit, maintenant nous devons définir ensemble le nouveau
projet de société de la France.
- Est-ce que vous
avez quelque part dans le virage ou dans l’inflexion du quinquennat?
La question n’a aucune importance. Celui qui parle…
- Sur votre poids
politique, alors?
Celui qui parle, c’est le président de la République.
- Et celui qui
conseille, c’est vous?
Non, c’est pas une affaire de personnes, écoutez-moi bien,
je ne sais pas si vous avez senti les fissures et les fractures qu’il y a dans
notre peuple, qu’il y a entre les uns et les autres, et si chacun ne s’attelle
pas à ce sujet, alors on est mal partis, on serait mal partis. Or, c’est une
crise dont il faut qu’on sorte. Alors, j’ai, depuis le début, depuis le premier
jour, défendu cette ligne qui est : pas de réforme sans justice.
- Et vous avez été
entendu?
Justice et réformes doivent avancer du même pas. Et quand on
dit réformes, encore faut-il savoir de quelles réformes il s’agit. Mais les
réformes qui favorisent, en France, au fond la créativité de l’entreprise, la
capacité qu’elle a à innover sans avoir des contraintes excessives, doivent
aller du même pas que la justice et la prise en compte de toutes les
situations.
- Cela signifie,
François Bayrou, que si Emmanuel Macron a pris conscience de ces fractures,
de ces menaces que vous évoquiez à l’instant, et que s’il a pris un tel virage
hier soir, c’est aussi, en quelque sorte, parce qu’il y avait une certaine peur
devant l’évolution de la situation?
Je ne crois pas du tout.
- De la fébrilité?
Chacun donne son sentiment. J’ai fait la campagne
présidentielle avec Emmanuel Macron et j’ai vu, jour après jour, j’allais dire
soir après soir, j’ai vu ce qu’était son sentiment profond sur la société
française, et ce sentiment c’était que ça ne pouvait pas durer dans cette
division née de l’injustice. C’était ça, l’inspiration. Le «en même temps» que
tout le monde a en tête, qu’est-ce que c’était? C’était l’économie en même
temps que la justice sociale, et donc c’était son sentiment profond et, d’une
certaine manière, pour moi, il a renoué hier soir avec l’inspiration profonde
de sa campagne électorale.
- Avec l’annulation
des hausses de taxe sur le carburant la semaine dernière, les annonces
d’hier soir, l’addition va s’élever probablement au-dessus de dix milliards
d’euros. Vous avez toujours été soucieux de lutter contre la dette et contre
les déficits publics, finalement on s’affranchit du seuil des 3% sur le
déficit, ce n’est pas grave?
Bon, on ne peut pas s’en affranchir. Mais il y a des moments
dans la vie, et tout le monde le sait, où il faut faire des investissements
pour que le futur devienne possible. Il y a, comme ça, des étapes.