François Bayrou |
Le
mouvement populiste des gilets jaunes permet à beaucoup de politiques d’adopter
des postures qui, ils l’espèrent, leur donneront plus de visibilité et/ou un
gain électoral quelconque.
C’est
bien sur le cas des pathétiques Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas
Dupont Aignan, Laurent Wauquiez (qui est allé jusqu’à organiser une fausse
manifestation de gilets jaunes!) et de leurs affidés qui jouent sur le
mécontentement et les slogans haineux vis-à-vis d’Emmanuel Macron pour se
positionner en défenseur du peuple opprimé que, eux seuls, ont évidemment
compris et dont ils veulent être les porte-paroles.
Mais
il y en a d’autres qui se targuent également d’avoir compris le sens profond de
ce mouvement et qui préfèrent, avec tout autant un désir de récupération, se
positionner en sages et en facilitateurs de compromis.
C’est
le cas de François Bayrou qui, dans un entretien au Figaro, tente à nouveau un
comportement dangereux d’équilibriste en étant, à la fois, un allié et un
critique du gouvernement et du président de la république et qui propose ses
solutions qui vont à l’encontre des décisions prises et des déclarations faites
par le pouvoir.
Plus,
il demande «un nouvel acte du quinquennat», estime que les dirigeants ne font
que des «injonctions» au peuple et que le gouvernement n’a aucun plan à long
terme, tout juste à «30 jours»…
Ce
qui permet à nouveau de poser la question: à quel jeu joue Bayrou?
Extraits
- Comment comprenez-vous le mouvement des «gilets jaunes»?
Il y a dans ces manifestations des aspects choquants et
inacceptables. Mais il faut comprendre qu'un tel mouvement est un révélateur
d'une crise profonde de la société française. Le prix du carburant est un
sujet, mais peut-être pas le vrai ni le seul sujet. C'est un élément
déclencheur, un détonateur, mais la matière explosive est plus large. Une sorte
de sécession de la base de la société contre son prétendu sommet. Cette rupture
vient de très loin, de plusieurs décennies, et elle concerne tous les pays
démocratiques occidentaux, tous touchés par la mondialisation, le gouffre entre
le monde qu'on voit à la télévision et le monde réel, la distance des pouvoirs.
Mais c'est plus grave en France, pays unitaire, qui aime l'égalité.
- Comment se manifeste cette rupture?
De nombreux concitoyens se sentent étrangers aux débats, aux
orientations, aux décisions qui sont prises en leur nom mais dont ils ont le
sentiment qu'elles sont prises contre eux. Les mots même qui sont utilisés pour
décrire la réalité leur sont étrangers. Nous devons entreprendre une remise en
cause profonde de la manière dont nous pensons le pouvoir et dont nous
l'exerçons depuis trente ans. Il ne suffira pas de dire qu'on ne change rien
pour que le mouvement s'arrête. Il faut une redéfinition profonde de la manière
d'être et de penser.
- Le gouvernement met-il de l'huile sur le feu en se
montrant inflexible?
La première mission de l'Etat est de faire régner l'ordre.
Et de cela nous devons être solidaires. Mais les responsables politiques qui
sont les animateurs de notre démocratie doivent aller plus loin. Il leur faut
des antennes pour comprendre ce qui se passe. Au travers de tels mouvements, ce
sont les courants profonds d'une société qui s'expriment, même là où on ne les
attend pas. Ils doivent affronter ce défi d'un pays fracturé, et donc conduire
un très gros travail de pensée et d'imagination. C'est ce qui manque le plus.
- Comment y répondre alors?
D'abord il y a le court terme. Une nouvelle étape
d'augmentation des taxes sur les carburants est prévue au mois de janvier. Cela
mérite que nous y réfléchissions. La trajectoire définie à partir de 2007, sous
l'impulsion de Nicolas Hulot, était claire: une augmentation progressive des prix
pour conduire à une baisse de la consommation des hydrocarbures. Mais peut-être
n'avons-nous pas assez réfléchi au «progressivement». Par exemple, on pourrait
reprendre l'idée d'une modulation des taxes en fonction du coût du baril du
pétrole, pour que le prix à la pompe ne subisse pas de fluctuations trop
pénalisantes.
- Le premier ministre répète pourtant qu'il ne changera pas
de cap.
Le premier ministre défend la ligne du gouvernement dont
nous sommes solidaires. Mais une démocratie, ce n'est pas que le gouvernement,
c'est aussi un Parlement et des mouvements politiques qui ont la responsabilité
d'ouvrir le débat. Si l'on veut que la politique réussisse, il est impératif de
ne pas être en rupture avec le pays. Sinon tout se bloque.
- L'exécutif ne semble pas très réceptif à la main tendue
par Laurent Berger. Est-ce une erreur?
Pour répondre à une telle crise, la proposition d'un travail
avec les organisations syndicales et les associations est positive. Mais il
faut qu'un tel travail soit fait sur le terrain et élargi: il serait
souhaitable qu'il implique même - si on peut - des représentants de ceux qui
manifestent. Il faut qu'on puisse parler avec la société dans toutes ses
composantes. Il ne suffira pas de dire «c'est comme ça et ce n'est pas
autrement», car à l'instant même où vous perdez le soutien ou en tout cas
l'assentiment de la société, le pouvoir se retrouve paralysé.
- C'est un risque aujourd'hui?
Depuis des décennies, le pouvoir en France est très
endogamique, très souvent technocratique, avec l'idée que c'est, au sommet,
dans l'administration et au sein des cabinets qu'on a raison. Or la société ne
peut pas fonctionner par injonctions avec des dirigeants qui se tournent vers
les citoyens pour dire «c'est ça qu'il faut faire et pas autrement». C'est ce
modèle de pouvoir à la française qu'il convient de remettre en question.
- Le président avait pourtant été élu sur un renouvellement
des pratiques…
L'élection d'Emmanuel Macron portait cette promesse. Et
cette promesse était juste. C'est ce qu'évoquait par exemple la notion de
bienveillance. Une bienveillance qui devrait être un devoir de la part de ceux
qui se pensent au sommet par rapport à ceux qui, à la base, sont réellement le
socle du pays. Une sympathie, une empathie. C'est pourquoi aujourd'hui il est
impératif d'ouvrir un nouvel acte du quinquennat qui réponde à cette rupture:
un nouvel acte civique, social et populaire.
- Qu'entendez-vous par un «nouvel acte» du quinquennat?
Une réponse à la question: pourquoi sommes-nous un pays où
le socle populaire, depuis un quart de siècle, ne comprend plus son État et les
dirigeants qu'il a pourtant élus?
- Il faut refaire société?
Société, étymologiquement, cela veut dire compagnonnage.
Nous devons retrouver le compagnonnage de bon aloi qui fait que nous ne vivons
pas en étrangers les uns avec les autres. On ne peut pas en rester à cette
ambiance d'affrontement. Si on commence à y apporter des réponses alors on aura
une nation, si on n'apporte pas des réponses il y aura une explosion.
- Les priorités du quinquennat doivent-elles être repensées?
Les priorités sont bonnes, encore faut-il les hiérarchiser
et les simplifier. Ce qui me frappe depuis longtemps, c'est que la France vit
sans stratégie. La Chine a un plan à 30 ans, la France 30 jours, et encore… Les
points saillants étaient apparus pendant la campagne d'Emmanuel Macron: un
impératif de répondre à la compétition internationale, la redéfinition de ce
qu'est la solidarité en sortant de nos méthodes habituelles, par exemple le
dédoublement des classes ou la deuxième chance, l'esprit de responsabilité dans
toute la société. Autant d'approches qui ont touché les Français. Maintenant,
il faut se servir des événements que nous vivons et qui ne s'arrêteront pas sur
un claquement de doigts, pour revenir à l'essentiel.
- Le clivage «nationalistes contre progressistes» proposé
par Emmanuel Macron pour les européennes vous semble-t-il pertinent?
Ces mots ne sont pas les miens. La vérité est qu'il y a un
clivage fondamental entre ceux qui pensent qu'en Europe «l'union fait la force»
et ceux qui veulent le «chacun pour soi». Si ce sont ces derniers qui
l'emportent, ce sera mortel. Des forces colossales sont en œuvre: Trump,
Poutine et leurs affidés ne rêvent que d'une chose: que l'Europe se divise.
Emmanuel Macron a choisi le vrai mot: l'Europe est la seule garantie de notre
souveraineté.