Selon
le rapport «Parlement européen 2019: quel hémicycle? quelle Europe?» que vient
de publier l’Institut Jacques Delors (lire
ici), le courant centriste pourrait constituer le pivot des prochaines
majorités après les élections de mai 2019.
Même
s’il ne devrait pas devenir le premier courant de l’assemblée, il devrait néanmoins
être au cœur des alliances avec la Droite et la Gauche modérées face aux
extrémistes et aux populistes anti-européens.
Ce
courant centriste pourrait s’incarner dans une seule formation, l’ALDE
(Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe), déjà, existante ou dans
deux ou plusieurs si, par exemple, les députés de La république en marche en France
et ceux élus derrière l’ancien président du conseil italien, Matteo Renzi,
refusaient de s’affilier à celui-ci.
Selon
les projections faites par l’institut, les centristes pourraient se retrouver
entre 90 et 100 députés dans le prochain parlement.
Voici
le résumé et la partie consacrée au Centre du rapport.
Résumé
Le Parlement européen (PE) issu des élections du 26
mai 2019 sera probablement différent du
Parlement actuel. Son élection interviendra dans un contexte marqué par des tensions
internes dans l’Union européenne, des turbulences sur la scène internationale, les
défis migratoires, des difficultés sociales, une montée des peurs, des
réactions identitaires et des populismes. Tous phénomènes qui pourraient donner
à la campagne un tour sensiblement plus européen et un peu moins national que
d’ordinaire.
Une montée des extrêmes?
Elle est probable, mais elle sera sans doute limitée à
l’échelle du Parlement : seuls les grands pays envoient des contingents importants
de députés européens, le départ des députés britanniques amoindrira le camp des
nationalistes, les courants classés à la droite de la droite traditionnelle
représentent déjà 20% du Parlement actuel, et resteront probablement assez
divisés.
Du côté de la gauche radicale, une forte recomposition
n’est pas envisagée, même si elle pourrait légèrement progresser.
Les difficultés internes des deux grandes familles
politiques traditionnelles, le PPE (Parti populaire européen, droite), et les
socialistes/socio-démocrates, les affaibliraient au point de leur faire perdre
la majorité de 55% dont elles disposent actuellement.
Au total, même si une majorité hostile à l’intégration
européenne ou capable d’en modifier le logiciel actuel est moins vraisemblable qu’on
ne le prétend, des majorités seront plus difficiles à construire à l’avenir et
les relations interinstitutionnelles pourraient en être modifiées.
D’où le rôle à jouer pour le groupe du «centre», quelles
que soient les options choisies par La république en marche, ainsi que pour les
Verts, qui devraient progresser, et compter davantage que par le passé.
Les rééquilibrages, voire une recomposition autour
d’une charnière centrale, pourraient avoir des conséquences importantes sur la désignation
du futur président de la Commission européenne qui est élu par le Parlement
européen, et deviendra, de fait, le chef d’une coalition parlementaire qu’il
faudra construire.
Un Centre
indispensable?
Le poids des centristes est probablement l’un des
enjeux de l’élection. Quel que soit le score de La république en marche d’Emmanuel
Macron (21 sièges selon les prévisions actuelles), les considérations
développées ci-dessus lui donneront vraisemblablement un rôle de charnière dans
les moments importants. Pour certains analystes, Macron «pourrait perdre en
France », mais « gagner en Europe».
De cette ambition européenne de La république en marche
témoigne l’appel qui a été lancé le 27 septembre 2018 intitulé « Réveillons
l’Europe » signé par Christophe Castaner (La république en marche), Guy Verhofstadt
(ancien premier ministre belge), Matteo Renzi (ancien premier ministre
italien), Albert Rivera (président de Ciudadanos), Joseph Muscat (premier
ministre travailliste maltais), Alexander Pechtold (D66 aux Pays-Bas) et Dacian
Cioloș (ancien premier ministre roumain et président de Roumanie ensemble).
La tentation du «ni droite, ni gauche» est forte chez
le président français («je n’appartiens aujourd’hui à aucune famille politique qui
est représentée parmi vous, c’est ma liberté », soulignait-il dans son discours
au Parlement européen le 17 avril 2018). L’approche «ni droite, ni gauche» est
toutefois paradoxalement malaisée au sein d’un Parlement pourtant rompu à la
pratique «avec la droite et avec la gauche».
Deux options s’offrent à lui:
1. Réussir à former un groupe parlementaire autonome :
pour ce faire, il faut disposer de 25 députés minimum, appartenant à au moins 7
nationalités. Cela suppose de trouver des partenaires dans d’autres pays, avec
lesquels une convergence politique existe. Cela permettrait le moment venu
d’adopter des positions communes, et d’être un interlocuteur organisé, vis-à-vis
des autres groupes.
Les prochains mois diront si de telles intentions se
traduisent par la volonté de travailler ensemble dans un nouveau groupe (à
noter que les démocrates italiens et les travaillistes maltais siègent aujourd’hui
dans le groupe S&D), ou si des «débauchages» de personnalités d’autres groupes
apparaissent possibles.
Même dans cette dernière hypothèse, le nouveau groupe
ainsi constitué ne reposerait sans doute pas sur des bases très solides,
d’autant plus qu’il ne pourrait s’agir, concernant le PPE, que de «prises» individuelles.
En l’absence de signaux crédibilisant cette formule,
le temps qui passe rend cette première option de moins en moins probable.
2. Rejoindre le groupe ALDE, en le renforçant, en le
réformant, et en négociant un programme mis à jour. Cette dernière option
aurait l’avantage de la constitution d’un groupe fort, pesant sur les décisions
et les nominations, susceptible de peser fortement sur la formation des futures
coalitions, il pourrait même, selon certains, devenir le second groupe du PE.
D’aucuns envisagent des rapprochements avec les Verts.
L’inconvénient est ici l’exigence qu’elle implique de
passer un compromis avec une famille politique déjà constituée, dont le groupe
parlementaire est présidé par une forte personnalité, l’ancien premier ministre
belge Guy Verhofstadt. Ce groupe parlementaire rassemble déjà depuis 2004, deux
partis politiques: le Parti de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour
l’Europe (ALDE), et le Parti démocrate européen (PDE) fondé à l’époque par François
Bayrou et Francesco Rutelli, qui avaient élaboré un programme commun.
La troisième option serait de siéger chez les non-inscrits,
ce qui enlèverait toute possibilité d’influence et serait absurde.
La domination du Parlement par un Centre élargi et
pro-européen reste donc à ce stade une hypothèse d’école. Il est clair
toutefois que les formations du Centre, La république en marche et le MoDem en
particulier pour ce qui est des Français, joueront un rôle accru au sein d’un
Parlement qui sera condamné à passer d’un condominium bipartisan à un équilibre
multipartisan.
Reste la question du calendrier, certains se posant la
question de l’opportunité de procéder au choix entre ces deux options avant ou après
l’élection européenne. La rapidité avec laquelle les négociations débuteront
dans les jours suivant l’élection, en vue de la préparation de la session dite
«constitutive» de juillet, implique d’avoir «pensé», si ce n’est «tranché» les
choix à faire avant même l’élection européenne.
Dans l’état actuel des projections et avec le point
d’interrogation du positionnement de La république en marche, les deux délégations
les plus importantes du groupe ALDE seraient l’espagnole (Ciudadanos) et l’allemande
(FDP). Les sondages accordent une petite centaine de députés au futur groupe centriste
(93), dans l’hypothèse où les députés de LREM le rejoignent.
Face à un petit quart de populistes, un quart de PPE,
il n’existerait pas de majorité absolue de gauche au Parlement européen, d’où
l’opportunité pour ce groupe du centre de jouer un rôle pivot (pas de majorité
de centre gauche sans l’ALDE, pas de majorité de centre droit sans l’ALDE).
A noter qu’au Conseil européen, la famille politique
libérale/centriste représente déjà une certaine force, avec huit premiers ministres
libéraux (sans compter le Président de la république française).
Les trois premiers groupes, avec l’appui des Verts,
pourraient donc être contraints à une coopération structurelle pour être
capables de surmonter des blocages en provenance des extrêmes.