Regards Centristes est une série d’études du CREC qui se penchent sur
une question politique, économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une vision
centriste. Seizième numéro consacré à la vision du Centrisme de concepts comme
le peuple, la populace, la multitude et le populisme au moment où ce dernier
fait un retour en force dans le débat politique en fragilisant les piliers de
la démocratie républicaine libérale.
Le Centrisme du XXI° siècle est la théorie politique de
l’émancipation de l’individu dans un lien social rénové où dominent la
solidarité et la tolérance dans le respect afin de créer une société équilibrée
et juste.
Ainsi, ses racines puisent dans le libéralisme, la
démocratie chrétienne et le radicalisme, principalement où il cherche son
inspiration.
Toutes ces pensées politiques ont placé la démocratie
républicaine au cœur de leur conception de l’organisation de la société
humaine.
Elles reconnaissent donc l’élément central qu’est le peuple
dans le gouvernement des humains.
Cependant, dans le même temps, les libéraux veulent
émanciper l’individu et se méfient du peuple en tant que foule en mouvement, entité
agissante dans sa possible manipulation mais aussi dans ses réactions
épidermiques et ses excès (moments où il se transforme en populace, ensemble
plus ou moins organisé et violent).
Les chrétiens, eux, s’adressent à une personne, c’est-à-dire
à un individu libre et égal dans une communauté qui respecte sa différence
parce que Jésus parlait d’un Dieu émancipateur auquel chacun confie son âme
pour son salut, avant de s’adresser à une communauté constituée (qui devint la
chrétienté par la suite, en réalité la réunion de toutes ces personnes).
De leur côté, les radicaux portent les idéaux de la
révolution française, liberté et égalité, pour un individu, dans une république
qui les unit mais ne les fonde pas en une masse indifférenciée.
Il ne s’agit pas ici de faire un cours sur ce qu’est le
peuple, tant la philosophie politique et les sciences politiques ont noirci des
centaines de milliers de pages à cet effet, d’Aristote à Hobbes, de Rousseau à
Hegel en passant par Spinoza et Marx.
Disons que le peuple, en prenant des définitions grand
public est «l’ensemble des humains vivant en société
sur un territoire déterminé et qui, ayant parfois une communauté d'origine,
présentent une homogénéité relative de civilisation et sont liés par un certain
nombre de coutumes et d'institutions communes.»
Néanmoins, pour Hegel, ce peuple
n’est qu’un «être-ensemble (…) une masse sans forme dont le mouvement et l’action
ne serait de ce fait qu’élémentaire, irrationnelle, sauvage et redoutable»
quand il n’est pas organisé.
C’est également ce que pensait
Hobbes (mais il résolvait le problème par la monarchie absolue…).
Dès lors, dans sa traduction
politique la plus commune aujourd’hui, c’est «l’ensemble des individus constituant
une nation, vivant sur un même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes
institutions politiques.»
Cependant, le peuple demeure
largement une fiction comme l’explique le philosophe du droit, Hans Kelsen:
«Mais d’où peut résulter cette
unité (du peuple)? Elle apparaît tout à fait problématique tant qu’on ne
considère que les faits sensibles. Divisé par oppositions nationales, religieuses
et économiques, le peuple se présente aux regards du sociologue plutôt comme
une multiplicité de groupes distincts que comme une masse cohérente d’un seul
tenant.»
Et de répondre:
«En vérité, le peuple n’apparaît qu’un, en un sens quelque
peu précis, que du seul point de vue juridique: la soumission de tous ses
membres au même ordre étatique.»
Cependant, malgré ces difficultés, il semble bien impossible
de créer un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple (définition
populaire de la démocratie donnée notamment par Abraham Lincoln sur le champ de
bataille de Gettysburg lors de la Guerre de sécession), sans le peuple!
Encore faut-il s’entendre sur la place du peuple dans la
démocratie républicaine libérale et, surtout, sur son pouvoir.
Le peuple donne la légitimité au système mais il ne saurait
avoir tous les pouvoirs même par ses représentants interposés.
Il doit évidemment être dépositaire de la souveraineté de la
communauté, celui qui vote mais pas celui qui est habilité à détruire un régime
qui le dépasse par sa grandeur et sa hauteur.
Explications: oui, le peuple doit gérer la démocratie
républicaine, non, il ne peut décider de la supprimer parce qu’il n’a pas de légitimité
à le faire, ne serait-ce que parce qu’il ne peut supprimer la liberté à un seul
de ses membres si celui-ci n’est pas d’accord, ni à supprimer la liberté pour
les générations futures.
Citons encore une fois Kelsen:
«le ‘peuple’ n’est donc point – contrairement à la
conception naïve que l’on s’en fait – un ensemble, un conglomérat d’individus
mais uniquement un système d’actes individuels déterminés et régis par l’ordre
étatique. Car l’individu n’appartient jamais à une collectivité sociale – même à
celle qui établit sur lui l’emprise la plus forte, l’Etat – par la totalité de
son être, de ses fonctions et de sa vie physique et psychique.»
Et il ajoute, «surtout dans un Etat dont l’idée de liberté
détermine la forme d’organisation».
Les centristes se sont toujours méfiés de la populace (qui
ne concerne pas seulement ceux d’«en bas», loin de là) et du populisme et se méfient
de l’appellation «peuple» et de son utilisation notamment depuis que celui-ci
est devenu pour certains un moyen d’attaquer les institutions démocratiques et
pour d’autres, parfois les mêmes, d’en faire une arme culturelle ou ethnique
pour exclure l’autre.
Ainsi, nombre de nationalismes, à l’opposé de celui de la
France et des Etats-Unis, lors de leurs révolutions respectives, n’ont pas
vocation à l’universel mais à définir un peuple sur des critères restrictifs
aboutissant, volontairement ou non, à établir des relations agressives et
violente avec l’autre, celui qui n’en fait pas partie, avec les autres, les
autres peuples forgés sur le même modèle nationaliste (on en voit quotidiennement
la résurgence dans l’Union européenne, organisation qui devait justement
dépassé ce nationalisme étriqué).
Les centristes sont donc les défenseurs des droits de l’humain
(«droits de l’homme») mais insiste sur la nécessité d’un lien social qui permet
de faire réellement communauté notamment sans sa dimension émancipatrice et
dans celle d’une solidarité envers l’autre, surtout dans une notion plus large
encore de respect qui impose, à côté des droits de l’individu, des devoirs
envers l’autre et les l’autres dans la responsabilité de sa liberté et de sa
différence (individualité).
En un mot, le «peuple» ne peut priver l’individu de sa
liberté, attenter à sa différence et le priver de ses libertés mais celui-ci ne
peut revendiquer sa complète autonomie vis-à-vis de la collectivité.
Cette dialectique était bien posée par Jean-Jacques Rousseau
(même si sa réponse a abouti à une théorie des plus liberticides!):
«Trouver une forme d’association qui défende et protège de
toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par
laquelle chacun s’unissant à tous n’obéissent pourtant qu’à lui-même et reste
aussi libre qu’auparavant.»
Et les dangers de la toute puissance de la majorité sont
posés avec une absolue clarté par Alexis de Tocqueville:
«Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon
un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un
autre individu qu’on nomme la minorité? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu
de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi
n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité? Les hommes, en se réunissant,
ont-ils changé de caractère? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles
en devenant plus forts? Pour moi, je ne saurais le croire; et le pouvoir de
tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai
jamais à plusieurs.»
Les centristes sont également de farouches opposants aux «mouvements
de foule» venus d’une populace (une multitude plus ou mois organisée) et de sa
traduction politique, le populisme (à noter que le populisme consiste à flatter
– le peuple la populace, la multitude – dans sa définition européenne alors
qu’aux Etats-Unis, il peut être utilisé comme «être proche du peuple» même si,
de plus en plus, il est utilisé dans son acceptation européenne), c'est-à-dire la
reconnaissance qu’un groupe majoritaire ou non soit considéré comme l’expression
de toute la communauté et puisse agir à sa guise, en particulier dans ses pires
travers.
N’oublions que le populisme et la populace (au sens de
mouvement de foule populiste venu du comportement d’une partie ou de la
majorité des citoyens) a permis à Hitler de prendre le pouvoir
démocratiquement.
Staline et Mao ont été pleurés par une très grande partie de
leur peuple que personne n’a contrainte à le faire.
Trump, Poutine, Orban, Erdogan, Salvini ou Duterte ont
séduit leur peuple qui les a portés au pouvoir.
Pour le Centrisme, la démocratie républicaine libérale
représentative forte est la réponse la meilleure.
Mais elle doit être organisée pour éviter le populisme et la
démagogie d’une part et d’autre part pour favoriser la responsabilité et la
protection égale de tous, notamment de la minorité.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
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