Bayrou, à gauche de Macron... |
On
le savait et malgré ses dires, François Bayrou roule pour lui-même, comme il l’a
toujours fait.
Ce
qui, en politique, n’est pas un reproche mais une constatation.
Et
au moment de l’anniversaire de l’accession de son «allié», Emmanuel Macron, à l’Elysée
en 2017, il vient de donner une interview au quotidien Le Parisien, dont le
titre de Une est «Macron président de droite», afin de donner son sentiment sur
la première année de pouvoir de celui-ci.
Et
le moins que l’on puisse dire, c’est que, tout en défendant le bilan du
Président de la république, il critique, entre les lignes, l’absence, selon
lui, «d’un projet social assumé et cohérent» qui est son «obsession», s’en
prenant même à l’expression «Premiers de cordée» utilisée par Macron pour
définir ceux qui font avancer la société.
Le
président du MoDem, par ailleurs, qu’à côté d’un «impératif ‘efficacité’», il
doit y avoir l’ «impératif ‘perspective sociale’».
Cependant,
il serait bien difficile de dire ce qu’il représente concrètement puisque, dans
le même temps, il explique que le modèle social français est à bout de souffle
et que l’Etat n’a plus d’argent pour la redistribution.
Reste
quelques mesures qui ne sont pas fondamentalement différentes de la philosophie
du Gouvernement en la matière.
On
comprend dès lors que la volonté de Bayrou est de se différencier de Macron sur
un sujet où ce dernier a une mauvaise image de marque dans les sondages.
Ces
nouvelles critiques sur la politique sociale du pouvoir en place viennent après
celles sur la réformes des institutions où le Mouvement démocrate compte monter
au créneau pour défendre son point de vue, différent de celui du texte proposé
par le Gouvernement d’Edouard Philippe, lors des discussions au Parlement.
A
noter, enfin, qu’à la question de savoir si Macron est un président de droite,
il ne répond pas qu’il est centriste mais qu’«il n’est pas un président
partisan».
Toute
cette agitation relance les spéculations sur un soutien plus critique de Bayrou
à Macron dans les mois à venir et sur sa fiabilité en tant qu’allié que de
nombreux politiques ont mis en doute au cours de ces dernières années.
Voici
les principaux extraits de cette interview.
- Emmanuel Macron est-il un président de droite?
Non, il n’est pas un président partisan. C’est un président
qui a une équation comme aucun de ses prédécesseurs depuis 20 ans. Il a su
défendre une vision, faire preuve de caractère, donner un élan à des réformes
qui étaient enlisées depuis longtemps et une nouvelle jeunesse à l’idéal
européen. C’est cet impact personnel qui permettra de tenir la promesse de
l’élection: rendre de la souplesse et de la vitalité à notre pays, particulièrement
à l’économie, et «en même temps» veiller à le faire au bénéfice de tous. Et
particulièrement de ceux qui ne sont pas nés «du bon côté». Cet équilibre est
notre engagement. Et mon obsession.
- Les sondages montrent que les Français estiment que
l’action du président va dans le mauvais sens pour réduire les inégalités.
Qu’est ce qui n’a pas marché?
Il y a eu beaucoup d’avancées : la hausse du minimum
vieillesse, la hausse de l’allocation adulte handicapé, la suppression progressive
de la taxe d’habitation… Ce sont de fortes décisions, et elles ont été
réellement prises. Mais elles n’ont pas été mises en valeur dans le cadre d’un
projet social assumé et cohérent. Ce qui a percuté c’est l’autre volet, l’ISF
et la baisse inopportune des APL.
- Bercy et Matignon, tenus par des ministres de droite,
contribuent à ce déséquilibre?
Le gouvernement a été voulu avec cet équilibre-là: pour
réaliser enfin les réformes nécessaires, donner à la France une nouvelle image,
sortir de la caricature de pays bloqué qui nous collait à la peau. Mais dans le
visage de la France et dans son attractivité, il y a d’autres traits, tout
aussi essentiels, le besoin de justice et de solidarité. Je sais qu’Emmanuel
Macron a une conscience aiguë des fractures de la société. Je l’ai entendu
devant les étudiants allemands expliquer que sans solidarité, l’échec était
certain.
- Mais ce qui a été perçu c’est la suppression de l’ «exit
tax» annoncée au magazine Forbes. Une erreur?
Je comprends qu’il soit important de rendre la France
attractive pour les investisseurs. Mais il faut aussi la rendre attractive pour
les Français. C’est-à-dire juste, créative, compréhensive et même bienveillante
pour ceux qui la forment.
- La bienveillance n’est pas au rendez-vous?
Le besoin de bienveillance, c’était une des intuitions les
plus fortes d’Emmanuel Macron dans sa campagne. Et qui équilibrait toutes les
autres. Les Français avaient besoin d’autorité, il y a de l’autorité. Ils
avaient besoin d’incarnation dans la fonction présidentielle, il y a de
l’incarnation. Besoin d’aller enfin au bout de certaines réformes, on y va.
Mais au moins autant que d’efficacité, ils ont besoin d’attention, de
reconnaissance et de justice.
- Le président doit se débarrasser de cette image de
président des riches? Comment?
En étant à la fois le président entraînant, inspirant et le
président juste, garant de la justice dans la société.
- Est-ce ce que veulent aussi les plus favorisés, les
«premiers de cordée»?
«Premiers de cordée», je ne me suis jamais retrouvé dans
cette expression. Les créateurs, les entrepreneurs, ceux qui inventent, qui
risquent et réussissent pour le bénéfice du pays, ceux-là méritent qu’on les
reconnaisse. Mais il y a bien d’autres premiers de cordée dans toute la
société, bien d’autres réussites que la réussite matérielle, ceux qui se
distinguent par le dévouement, ou le courage, ou les qualités morales. Et qui
méritent autant d’honneur, et autant de soutien.
- Il faut un temps deux du quinquennat?
Ce n’est pas nécessaire: il faut et il suffit que soit prise
en charge la vision qui a donné à Emmanuel Macron la confiance des Français. La
vision résumée dans le «en même temps»: il y a deux impératifs, aussi
importants l’un que l’autre. L’impératif efficacité-souplesse-réactivité qui
imposera de grands changements, y compris, on l’oublie trop souvent, dans
l’Etat. Et l’autre impératif, la perspective sociale. Tout le monde doit avoir
sa chance et tout le monde a des droits. C’est cela qui doit être le nouveau
modèle français, et c’est la clé de ce mandat.
- Un nouveau modèle français, que voulez-vous dire, un
nouveau modèle social?
Un projet global pour la société française qui soit aussi
une proposition française pour le monde. Car le mouvement du monde, c’est le
creusement continu et qui paraît inexorable des inégalités. Par la loi de ce
système, ceux qui ont le plus ont toujours plus. Ceux qui ont moins sont de
plus en plus relégués. Or il n’y a pas d’avenir possible pour la société si on accepte
cette fracture, si on ne prend pas en compte le besoin profond d’égalité des
chances et des droits.
- En quoi ce modèle social est-il nouveau?
Pendant des décennies, quand on parlait du modèle social, on
parlait d’allocations. L’État distribuait de l’argent public à des catégories
de populations. Ce modèle est épuisé. D’abord parce qu’il n’y a plus autant
d’argent public. Et surtout parce que cette politique d’allocations n’a pas
libéré les gens, ne leur a pas permis de progresser. Cela ne leur a offert ni
travail, ni fierté, ni reconnaissance. Le nouveau modèle social, c’est celui
qui apportera à chacun les moyens et la motivation pour s’en sortir et se
réaliser par lui-même. Alors on voit ce qu’il faut faire: il faut mettre le
paquet sur l’Education. Il faut avoir l’obsession non seulement de la première
chance, mais s’il le faut d’une deuxième, d’une troisième chance. Faciliter au
plus près du terrain la création d’activité et d’entreprise. L’Etat providence
n’a pas répondu à cette attente. On a besoin d’une nouvelle pensée, qui soit
moins centrée sur l’État et qui diffuse la confiance.
- Mais que proposez-vous pour l’immédiat ?
Deux orientations peuvent être prises sans attendre :
d’abord la participation dans l’entreprise. Il faut que les salariés bénéficient
d’une partie des résultats, mais aussi puissent participer à la réflexion
stratégique sur l’avenir de l’entreprise. Cela permet de responsabiliser tous
les acteurs. Il y a ensuite le dossier des heures supplémentaires: que l’effort
consenti pour un travail supplémentaire apporte un revenu substantiel, amélioré
par la défiscalisation ou la suppression des charges sociales. Ces deux
décisions iront dans le sens de la reconnaissance et de l’autonomie.