Emmanuel Macron |
Pour la réception du Prix Charlemagne (attribué chaque année
à une personnalité qui œuvre en faveur de l’Europe et qui a été décerné pour la
première fois en 1950), le 10 mai dernier à Aix-la-Chapelle (Allemagne),
Emmanuel Macron a prononcé un discours qui est un nouveau plaidoyer pour l’Europe.
Le président centriste a encore affirmé sa foi dans la
démocratie occidentale, ses valeurs, ses principes et son Etat de droit,
répondant encore à tous ceux qui tentent, à droite et à gauche, de le présenter
comme un autoritaire.
Voici les principaux extraits de ce discours.
Pour définir ce que la construction européenne nous a
apporté depuis les lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, nous avons coutume
de dire qu’elle nous a permis de vivre 70 ans de paix et c’est vrai. L’Europe a
connu ce miracle historique de 70 années de paix entre les ennemis héréditaires
d’hier. (…)
Le mythe de ces 70 ans de paix suppose une Europe parfaite
dont nous n'aurions qu'à soigner l’héritage, mais je ne crois pas à ce mythe
car l'Europe est encore et toujours traversée par l'histoire et par le tragique
de l'histoire. A cela, nous ne pouvons opposer la routine de la gestion mais
une volonté toujours en mouvement, qui requiert de chaque nouvelle génération
qu'elle engage toutes ses forces et réinvente l'espérance. (…)
Ce rêve, c'est celui d'une unité voulue, d'une concorde
conquise sur les différences et d'une vaste communauté marchant dans la même
direction, celle d'une Europe (…) unie en son cœur battant que fut, dès cette
époque, cette région. Ce rêve aujourd'hui est rongé par le doute. A nous de
savoir si nous voulons le faire vivre ou le laisser mourir. (…)
Je voudrais simplement ici partager quatre convictions,
quatre commandements si vous m’y autorisez ou quatre impératifs catégoriques
d'action selon la tradition de notre Europe à laquelle nous souhaitons nous
ranger.
Le premier impératif est simple : ne soyons pas faibles et
ne subissons pas ! En effet, nous avons devant nous des grandes menaces, de
grands déséquilibres qui bouleversent notre peuple et nourrissent chaque jour
leurs inquiétudes. La question qui nous est posée sur chacun d'entre eux c'est
: voulons-nous subir ? Acceptons-nous la règle de l'autre ou la tyrannie des
événements ou faisons-nous le choix de décider pour nous-mêmes de l'autonomie
profonde et donc oui d'une souveraineté européenne ? Qui choisira pour nos
concitoyens les règles qui protègent leur vie privée ? Qui choisira d'expliquer
l'équilibre économique dans lequel nos entreprises auront à vivre ? Des
gouvernements étrangers qui, de fait, organiseront leur propagande ou leurs
propres règles ? Des acteurs internationaux, devenus passagers clandestins d'un
système qu'ils décident parce qu'ils l’organisent, ou considérons-nous que cela
relève de la souveraineté européenne ? (…)
Nous sommes, nous Européens, les co-dépositaires d'un
multilatéralisme international que je crois fort. Il nous appartient pour notre
propre souveraineté d’en défendre la grammaire, de ne pas céder et de n’être ni
naïfs face à la concurrence déloyale ni faibles face à la menace de ceux qui
ont parfois écrit ces règles avec nous. (…)
Vous l'avez compris, ce premier impératif auquel je crois,
ne soyons pas faibles, ne subissons pas, c'est celui de la souveraineté
européenne, celle qui doit nous conduire, celle qui doit nous conduire à faire
de l'Europe une puissance géopolitique, commerciale, climatique, économique,
alimentaire, diplomatique propre. (…)
Le deuxième impératif qui est le nôtre, c'est: ne nous
divisons pas. La tentation est grande dans cette période trouble du repli sur
soi, du nationalisme en pensant que, à l'échelle de la nation, on maîtrisera
mieux les choses, on retrouvera une part de cette souveraineté qui parfois
demeure trop évanescente ou encore naissante au niveau européen. Cette sonnette
d'alarme, nous l'avons eue avec le Brexit mais nous l'entendons aussi, des
élections italiennes à la Hongrie jusqu'à la Pologne partout en Europe. (…)
Beaucoup voudraient faire bégayer l'histoire en faisant
croire à nos peuples que cette fois-ci, nous serions plus efficaces. Face à
tous les risques que je viens d'évoquer, la division serait fatale, elle
réduirait encore notre souveraineté véritable. (…) La seule solution qui est la
nôtre c'est l'unité ; les divisions nous poussent à l'inaction. Les divisions
nous poussent à la guerre de position, celle-là même qui fit vivre à l'Europe
l'un de ses pires martyrs il y a maintenant un siècle. Et je connais (…)
Le troisième impératif qui est le nôtre, mes amis, c’est :
n’ayons pas peur, n'ayons pas peur du monde dans lequel nous vivons, n'ayons
pas peur de nos principes, n'ayons pas peur de ce que nous sommes et ne le
trahissons pas. Nous sommes aujourd'hui face à toutes ces colères, ces
incertitudes, confrontés à des tentations et parfois les pires, celle
d'abandonner les fondements mêmes de nos démocraties et de nos États de droit.
Ne leur cédons rien, rien !
Il n'est pas vrai qu'on répond au vent mauvais en ayant de
la complaisance pour ceux qui, par le passé, nous ont déjà conduits parfois par
faiblesse, par silence, à trahir ce que nous sommes ; ne cédons rien dans
l'Union européenne comme au sein du Conseil de l'Europe à l'Etat de droit, à
toutes ces règles. Ne cédons rien à la vitalité de nos démocraties et de nos
débats démocratiques, aux contestations qui les animent, à leurs forces, à la
civilité de ce qui est notre Europe.
Cette civilité, c'est celle de l'Europe des cafés, des
débats, des universités, du conflit d'idées, de l'opposition d'idées qui refuse
la violence d'Etat comme la violence de rue mais qui croit à la force de la
vérité parce qu'elle croit à la force de la confrontation démocratique des
idées. (…)
Enfin, le dernier impératif à mes yeux c'est : n'attendons
pas. C’est : maintenant ! (…) Aujourd'hui, n'attendons pas pour faire le choix
de l'Europe parce qu'avec le choix de l'Europe, c'est en même temps celui, nous
le voyons bien et nous l'avons l'un et l’autre rappelé, le choix de l'Occident
qui sera fait. C'est cela aussi ce que nous portons, la capacité que nous
aurons à faire des choix clairs, ce sera non seulement celle d'avancer vers une
Europe, peut-être à quelques-uns pour un temps, peut-être par un cercle plus
intégré parce qu'elle a toujours avancé ainsi et c'est une porte ouverte, et (…)
je ne crois pas dans une Europe cadenassée qui aurait prédéfini un club de
quelques-uns, mais je ne crois pas non plus dans une Europe qui peut
perpétuellement attendre que 28 hier, 27 demain ou d'autres après-demain soient
tous d'accord sur absolument tout.
Il nous faut acter – parce que c'est toujours ainsi que nous
avons avancé – que quelques-uns aient la force d'âme, le caractère, la volonté
d'aller de l'avant, si les règles sont claires : les portes sont ouvertes pour
que chacun, le jour où il le voudra et le pourra, puisse les rejoindre. Mais
nous ne pouvons pas considérer que le choix de l'Europe serait toujours le
choix du seul dénominateur commun, le choix du moindre risque, le choix du plus
petit pas à la dernière minute, non ! Il nous faut construire un choix
ambitieux en redonnant une vision et une vision à 30 ans à nos concitoyens qui
permettra ensuite ces petits pas et ces progressions parce qu’eux, ils ont
besoin d'un cap, parce que les nationalistes sont clairs, parce que les
démagogues sont clairs, parce que les peurs sont claires. Les volontaires de
l'Europe doivent l'être tout autant avec force, avec ambition !
Alors, engageons-nous ensemble dans une Europe qui protège
et qui porte cette ambition, une Europe du numérique et de la transformation
énergétique et climatique, du renforcement de la zone euro, d'une politique
commerciale plus protectrice et cohérente avec nos objectifs sanitaires et environnementaux,
une politique migratoire plus unifiée, une convergence sociale, fiscale,
démocratique, une politique de l'intelligence, de la recherche, de l'innovation
avec cette méthode nouvelle, celle de la volonté et ce qui va sans doute avec
celle d'une forme de prise de risque. (…)
Ne soyons pas faibles et choisissons, ne soyons pas divisés
mais unissons-nous, n'ayons pas peur mais osons faire et être à la hauteur de
nos histoires et n'attendons pas, agissons maintenant. (…)
Alors, essayons de tenir ces quatre impératifs, de dessiner
les trente ans d’Europe qui sont devant nous ensemble et faisons-le maintenant
parce que ne perdons jamais, jamais de vue que nous vivons depuis 70 ans pour
certains et un peu moins pour d’autres une forme d’exception de l’histoire. Ne
perdons jamais de vue que l’Europe dont nous parlons est tout sauf une
évidence. Elle est sans doute l’une des choses les plus fragiles et n’oublions
jamais que la langueur, l’égoïsme, les habitudes sont peut-être parmi ses pires
menaces.