Beaucoup d’observateurs, dont moi-même, ont trouvé dans la
rhétorique révolutionnaire d’Emmanuel Macron, un abus de langage, voire un abus
idéologique.
Annoncer la réforme, aussi profonde soit-elle, comme une
révolution alors que celle-ci se caractérise de celle-là dans sa volonté de
changer la société mais pas de société, est une sorte d’anachronisme.
Comment le Président de la république peut-il associer deux
termes qui semblent, sinon antinomiques, en tout cas qui recouvrent deux
réalités différentes?
Et là, à l’occasion des «commémorations» médiatiques du
cinquantenaire de mai 68, on lit, dans une contribution philosophe Paul Ricœur,
grand inspirateur du macronisme, datant de l’époque des événements et publiée
dans le quotidien Le Monde que «nous sommes entrés dans un temps où il faut
faire du réformisme et rester révolutionnaire».
A noter que le philosophe parlait d’une «révolution
culturelle».
De même, selon lui, «tout l'art du législateur, dans les
temps prochains, sera de mettre en place des institutions légères, révocables,
réparables, ouvertes à un processus interne de révision, et à un processus
externe de contestation».
Ici, l’on retrouve la volonté de Macron de toujours être
dans l’adaptation des règles au réel pour permettre à la société d’être
toujours en phase avec les dynamiques diverses qui la traverse et qui peuvent
la mettre en porte-à-faux si elles ne sont pas prises en compte.
Si l’on ne peut comparer notre temps à celui d’il y a
cinquante ans, en revanche, les deux situations où l’on remet en cause l’«ordre
établi» (pas au niveau sécuritaire) et où une communauté semble se retrouver
dans une impasse, montre la volonté de Ricœur d’alors et de Macron
d’aujourd’hui d’inventer une nouvelle voie d’une transformation profonde
(«révolutionnaire») s’appuyant sur d’importants ajustements («réformateurs»)
des règles et de l’agir de la société.
Ici, la rhétorique d’Emmanuel Macron prend du sens.
Mais est-elle pour autant pertinente et juste?
Peut-on associer les deux termes dans ce cas et peuvent-ils
apporter le changement profond et nécessaire de la société à un moment donné?
Rappelons d’abord les définitions du mot révolution données
par le CNTRL (Centre national de ressources
textuelles et lexicales) du CNRS.
La première, est le «mouvement en
courbe fermée autour d'un axe ou d'un point, réel ou fictif, dont le point de
retour coïncide avec le point de départ».
La seconde est, précise le CNRTL «sans idée de violence», l’«évolution
des opinions, des courants de pensée, des sciences; découvertes, inventions
entraînant un bouleversement, une transformation profonde de l'ordre social,
moral, économique, dans un temps relativement court.»
C’est bien sûr cette dernière
dont il est question ici mais non sans rappeler que les différentes révolutions
politiques et sociales ont souvent ressemblé à la première…
Pour nous aider à y voir clair, on peut également citer un
passage de «L’homme révolté» d’Albert Camus qui éclaire sur ce qu’est devenue
la révolution après celle de 1789 puis celle de 1917:
«La révolution ne peut, par fonction, éviter la terreur et
la violence faite au réel. Malgré ses prétentions, elle part de l’absolu pour
modeler la réalité. La révolte, inversement, s’appuie sur le réel pour
s’acheminer dans un combat perpétuel vers la vérité. La première tente de
s’accomplir de haut en bas, la seconde de bas en haut».
Pour Camus, pas de doute, le révolté est un réformateur (qui
peut être radical), le révolutionnaire est un destructeur (qui est toujours
radical).
Le premier veut amener la société à toujours évoluer pour
être meilleure en prenant en compte ce qui est.
Le second veut que la société corresponde à ce qu’il
souhaite, peu importe ce qui est.
Le premier est un humaniste ouvert, le deuxième un idéologue
borné.
Comment et pourquoi, dès lors, Macron s’est emparé du terme
«révolution» appelant même son ouvrage-programme du même nom.
Regardons ce qu’il en dit.
D’abord, il utilise le mot «révolution», vingt-deux fois
dans ce texte.
Mais sur ces vingt-deux fois, il l’utilise de manière
générale que quatre fois.
Deux exemples:
- «Tout cela, me direz-vous, ce sont des rêves. Oui, les
Français ont par le passé rêvé à peu près cela. Ils ont fait la Révolution.
Certains même en avaient rêvé avant. Puis nous avons trahi ces rêves, par
laisser-faire. Par oubli. Alors oui, ce sont des rêves. Ils réclament de la
hauteur, de l’exigence. Ils imposent de l’engagement, notre engagement. C’est
la révolution démocratique que nous devons réussir, pour réconcilier en France
la liberté et le progrès. C’est notre vocation et je n’en connais pas de plus
belle.»
- «C’est cette révolution démocratique à laquelle je crois.
Celle par laquelle, en France et en Europe, nous conduirons ensemble notre
propre révolution plutôt que de la subir. C’est cette révolution démocratique
que j’ai entrepris de dessiner dans les pages qui suivent. On n’y trouvera pas
de programme, et aucune de ces mille propositions qui font ressembler notre vie
politique à un catalogue d’espoirs déçus. Mais plutôt une vision, un récit, une
volonté.»
Les autres mentions sont plutôt utilisées de manière à
parler de transformation profonde d’un secteur ou pour citer la Révolution
française ou américaine.
A l’opposé on trouve trente-cinq fois les mots «réforme» et «réformer»,
vingt-deux fois le mot «changement», seize fois le mot «changer».
Mais on ne trouve qu’une fois le mot «révolte» et une fois
le verbe «se révolter».
Bien sûr, le terme révolution en politique est désormais
largement connoté par les événements destructeurs qui se sont parés de son nom,
la Révolution française avec les débordements de la Terreur, la Révolution
russe et l’instauration d’une dictature ainsi que toutes les révolutions qui
ont suivi notamment au cours du XX° siècle qu’elle soit de gauche ou de droite.
En revanche, la Révolution américaine peut nous amener à
réfléchir plus avant à ce qu’Emmanuel Macron entend par ce terme même si
beaucoup dénie au combat contre le colonialisme anglais par les habitants
d’Amérique, l’appellation de révolution.
De même, la Révolution française et la Révolution russe à
leurs débuts ne veulent pas instaurer une dictature quelle qu’elle soit ou un
régime policier de terreur et de meurtres.
Elles rêvent d’instaurer une démocratie républicaine où
prédominent la liberté et l’égalité.
Il s’agit alors de changer de régime, ce qui est un progrès
dans le sens où l’on veut instaurer la liberté (aux Etats-Unis, en France, en
Russie) et non changer diamétralement les bases du vivre ensemble, ce qui
amènera cette utopie assassine en France et en Russie, reprise ensuite par les
communistes et les fascistes (on se rappelle que Pétain voulait instaurer en
France une «révolution nationale»…).
Dès lors, le concept de révolution possède, selon l’historienne
Mona Ozouf une «force ambiguë» qu’elle décrit dans le Dictionnaire critique de
la Révolution française (Flammarion, 1988) et qui se caractérise par
l’opposition entre la vision de Condorcet et de celle de Saint-Just, la
première étant humaniste, la seconde jusqu’au-boutiste.
Ainsi, la vision d’une révolution réparatrice, voire
restauratrice d’un ordre «naturel» comme seront vues les révolutions anglaises
(1688) et américaines (1776) où le peuple recouvre ses droits s’opposent les
révolutions françaises à partir de la Terreur et la russe avec la prise du
pouvoir des communistes où une dictature nie ces droits pour soi-disant en
inventer de nouveaux.
Si l’on peut, en faisant fi de la vision révolutionnaire
imposée par les révolutions française et russe (mais aussi iranienne ou chinoise),
c’est-à-dire un événement radical et violent, et revenir à sa signification des
Lumières, alors on peut sans doute accoler réforme et révolution.
Pour autant, si Macron veut restaurer des droits, il veut
avant tout réformer, d’où une utilisation sans doute exagérée du terme
révolution.
Mais si toute cette discussion peut être utile pour
comprendre le macronisme, il ne faut pas oublier que «Révolution» est un
ouvrage-programme destiné au grand public.
Donc, l’utilisation du mot «révolution» se rapporte à ce
qu’on en entend généralement dans le langage commun, un événement – plus ou
moins violent – qui bouleverse la société et tente de changer de monde et dont
les modèles, qu’on le veuille ou non, nous ramènent aux sans-culottes et aux
bolchevicks.
Toujours dans cette utilisation, il s’oppose à la réforme
qui veut changer le monde.
Mais il est également utilisé à toutes les sauces pour
parler de changement, voulu ou non, à faire ou fait, plus ou moins profond,
dans tous des domaines possibles et imaginables, comme la «révolution de
l’intelligence artificielle» ou la «révolution du rap» et évidemment la «révolution
industrielle».
In fine, Emmanuel Macron utilise le terme «révolution», à la
fois, dans sa signification grand public de changement profond et dans une
volonté d’attirer le chaland, parce qu’il est chargé de tout un imaginaire
particulier, notamment celui du «grand soir» qui semble promettre pour le
lendemain le paradis sur terre.
Intitulé son ouvrage révolution est beaucoup plus parlant et
vendeur (surtout si on n’est pas un extrémiste) que de l’appeler «Réforme», «Changement»
ou «Révolte».
En cela, il est plus dans le marketing et le commercial que
dans le politique ou le philosophique (on ne parle pas du contenu mais de la
manière de le vendre et de le rendre intéressant).
Du coup, on peut même en déduire que Macron est sans doute
plus un révolté (avec sa volonté de profondes réformes) qu’un révolutionnaire
et qu’il fait sans doute sienne, l’éloge de la réforme du philosophe Clément
Rosset qui vient de disparaitre:
«Il est beaucoup plus difficile – et surtout plus courageux –
d’améliorer le monde que de le jeter, tout entier, aux cabinets ».
De son côté, le centriste Aristide Briand affirmait que «
l’art du politique, c’est de concilier le désirable avec le possible ».
Voilà, sans doute, le cœur du Centrisme qui, en général, ne
se gargarise pas de grands mots parce qu’il sait qu’ils sont souvent creux et
parfois extrêmement dangereux.
Et l’on ne peut être que d’accord avec Emmanuel Macron quand
il écrit, dans «Révolution» qu’ «Affronter la réalité du monde nous fera
retrouver l’espérance».
De même quand il dit, «Nous devons regarder ensemble la
vérité en face, débattre des grandes transformations à l’œuvre. Où nous devons
aller et par quels chemins. Le temps que ce voyage prendra. Car tout cela ne se
fera pas en un jour. Les Français sont plus conscients des nouvelles exigences
du temps que leurs dirigeants. Ils sont moins conformistes, moins attachés à
ces idées toutes faites qui assurent le confort intellectuel d’une vie
politique. Nous devons tous sortir de nos habitudes. L’État, les responsables
politiques, les hauts fonctionnaires, les dirigeants économiques, les
syndicats, les corps intermédiaires. C’est notre responsabilité et ce serait
une faute que de nous dérober ou même de nous accommoder du statu quo.»
Mais tout cela n’est pas de la révolution mais de la
réforme…