Le «en même temps» macroniste est au cœur de la philosophie
politique du nouveau président de la république mais également dans celui de
son agir.
Beaucoup ont critiqué cette locution adverbiale comme ne
voulant rien dire ou étant fade, une sorte de «néanmoins», de «cependant» ou de
«mais» d’indétermination ou d’irrésolution parce qu’elle ne voudrait pas
trancher.
Or, c’est bien la décision franche, qui a un sens et indique
une direction que l’on espère des politiques.
Pour autant, le «en même temps» peut être interprété de
trois manières.
La première est d’affirmer qu’il est un oxymore, comme prétendre
qu’une chose est blanche et noire en même temps.
La deuxième est de le présenter comme un non-choix, comme d’éviter
l’implication claire et nette en déclarant d’une chose qu’elle est bonne et
mauvaise en même temps.
Si l’on peut dire que ces deux premières utilisations du «en
même temps» sont négatives en matière politique, la troisième, en revanche,
possède un caractère positif.
Ainsi, si l’on explique que dans la situation où un pays
connait un fort taux de chômage il faut, en même temps, permettre aux
entrepreneurs d’entreprendre et aux travailleurs de travailler, on est dans la
signification du «à la fois».
Mais dans un «à la fois» d’équité et pas seulement de
concomitance.
Comme lorsque Kant dit: «Agis donc de telle
sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la
personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen».
Dès lors, ce «en même temps» a bien une signification forte
parce qu’il tranche pour la recherche d’un juste équilibre et c’est pourquoi il
est profondément centriste.
Cependant, s’il est possible de voir comment il peut
s’articuler pour résoudre certaines problématiques ou pour bâtir certaines
politiques, dans d’autres domaines, la question se pose de sa capacité à
proposer les bonnes solutions, voire, tout simplement à fonctionner.
Car tout n’est pas évident dans le «en même temps» centriste.
Ainsi, le «en même temps» peut facilement s’appliquer dans
des situations claires où l’on comprend bien comment il faut agir et où une
logique simple peut être mise en œuvre pour apporter des solutions où tout le
monde est gagnant (et/ou personne n’est perdant).
En revanche, il est des situations beaucoup plus complexes
notamment parce qu’elles résultent souvent de choix qui se contredisent ou
d’une absence de prise de décision pendant de nombreuses années où l’on a permis
à des antagonismes de cohabiter, où l’on a laissé des oppositions profondes de
se créer sans y apporter des remèdes, où se sont accumulées des incohérences.
Ici, à l’épreuve de ce réel, le «en même temps», dès l’abord,
se présente comme incapable d’apporter une solution de juste équilibre puisque
s’entremêlent des problématiques dont la résolution s’avère, à première vue,
insoluble.
L’établissement ou le rétablissement d’un juste équilibre peut
alors produire des perdants, non pas pour un temps donné mais de manière qui
semble irréversible.
Trois exemples pris dans l’actualité permettront d’illustrer
le propos.
On comprend comment cet «en même temps» peut fonctionner
pour porter la réforme de la SNCF.
Celle-ci doit permettre, à la fois, de sortir la société d’une
dette abyssale (plus de 40 milliards d’euros), d’améliorer le service au public
et, tout en garantissant les droits des salariés actuels, de changer le statut
des nouveaux embauchés pour que ceux-ci ne soient plus des privilégiés
vis-à-vis des autres salariés français.
In fine, il n’y a que des gagnants puisque l’entreprise est
sauvée, qu’elle assure un meilleur service et qu’elle continue à embaucher tout
en ayant sécurisé la situation de ses salariés.
On a, en revanche, plus de mal à comprendre comment il peut
fonctionner en politique étrangère, vu certains choix faits récemment par le
Président de la république.
Ainsi, il semble assez compliqué de (re)mettre la France au
cœur du concert des nations (au moment où les Etats-Unis sont en retrait et le
Royaume Uni en perte de vitesse) tout en demeurant en pointe dans la défense de
la démocratie républicaine, en parlant uniquement de ce qui rapproche et en
faisant l’impasse sur ce qui fâche, cf. l’absence de discours sur les droits de
l’homme à Pékin au moment où le PC chinois rétablit la dictature d’un seul et
pourchasse les opposants et l’«amitié» avec le populiste démagogue Trump (qui
recevra Macron en visite officielle) qui met en danger la démocratie dans son
pays et dans le monde.
La contradiction entre plaire à tout le monde et se battre
pour les valeurs et les principes de la démocratie républicaine est impossible
ou, en tout cas, il faudra qu’Emmanuel Macron nous démontre comment cet «en
même temps» peut fonctionner.
Et on ne voit pas comment celui-ci pourrait, en l’état,
s’appliquer dans le problème de l’alimentation.
Comment, en effet, faire en sorte d’allier plus de qualité,
plus de rémunération des producteurs, cf. le monde agricole, et de garder des
prix bas pour contenter les consommateurs et, surtout, éviter une spirale inflationniste
avec revalorisations des revenus agricoles par les prix tout en refusant une
augmentation salariale générale génératrice d’inflation.
Aujourd’hui, le système fonctionne ainsi: le consommateur
demande des prix bas et, avec l’aval des politiques qui caressent dans le sens
du poil les électeurs, la grande distribution les lui garantit en réduisant ses
marges mais, surtout, en pressurisant l’industrie agro-alimentaire pour avoir
des prix le plus bas possible (par le biais, entre autres, de ses centrales
d’achat, des menaces de déréférencement et de la concurrence des produits des
distributeurs), cette dernière demandant alors aux producteurs des prix le plus
bas possible (quand ce n’est pas directement la grande distribution qui traite
directement avec les agriculteurs), faisant en sorte qu’in fine, le monde
agricole, dernier maillon de cette chaîne inversée, soit dans l’incapacité de
survivre seul et ce sont les aides de l’Etat qui lui permettent de survivre.
Casser ce circuit hautement dysfonctionnel pour ce secteur
économique reviendrait à faire au moins un si ce n’est plusieurs mécontents.
Comment dire au consommateur qui a déjà perdu du pouvoir
d’achat ces dernières décennies que l’on va augmenter les prix sans augmenter
les salaires sans provoquer sa réaction et sa contestation?
Comment dire à l’agriculteur qu’augmenter ses revenus est
politiquement difficile et économiquement dangereux, voire géo-stratégiquement
risqué (si les prix des produits locaux sont trop chers, ce seront les produits
étrangers qui les remplaceront et la fermeture des frontières empêcherait
l’exportation des produits agricoles français et entrainerait des représailles
des autres pays, voire une dislocation de l’Union européenne avec, comme une des
premières victimes, la France…).
On verra comment Emmanuel Macron va s’y prendre puisqu’il a
promis au monde agricole la possibilité de sortir de la crise qui le touche
sans s’aliéner les consommateurs à qui il n’a, certes pas promis de garantir
leur pouvoir d’achat, mais dont il ne peut évidemment pas se désintéresser au
risque de l’impopularité et la défaite électorale.
On a là trois exemples actuels qui montrent les situations
totalement différentes qui permettent selon la réalité et les choix faits de
démontrer l’efficacité du «en même temps», son absence choisie pour un but
prédéterminé ou une obligation, et son application quasi-impossible.
Reste qu’il est, malgré les difficultés qu’il peut
rencontrer dans certains cas, le moteur le plus efficace, le plus équitable
pour régler en général les problèmes.
Mais il est aussi sûr que l’on ne peut pas l’appliquer
systématiquement au risque de détruire la philosophie même qui est à son
origine et ce uniquement pour des gains politiciens.
Ou alors il faudra une réforme qui dépasse de loin toutes
celles entreprises par ce gouvernement, voire par tous les gouvernements depuis
des lustres, avec, en plus, l’accord de l’ensemble des Français, voire une très
forte majorité d’entre eux (et qu’ils ne changent pas d’avis quand les mesures
prises ne seront pas en leur faveur…).
Voilà qui semble hautement improbable.