Tony Blair |
Dans une contribution du Project syndicate qui vent d’être publiée
dans la presse, Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique au pouvoir
pendant dix ans (1997-2007), développe son nouveau positionnement politique
qu’il appelle «centrisme révolutionnaire», souvent proche de la vision
politique que défend Emmanuel Macron qui, rappelons-le, a publié au début de la
campagne présidentielle un ouvrage intitulé «Révolution».
Blair, qui fut un des promoteurs de la «Troisième voie»
inventée aux Etats-Unis par Bill Clinton, c’est-à-dire une voie centriste pour
la social-démocratie et le travaillisme, avait créé ce qu’on a appelé le «New
labour» dont les prises de positions étaient souvent plus centristes que celles
du parti centriste britannique, les Lib Dems.
SI aujourd’hui le Parti travailliste a opéré un virage
quasiment à l’extrême-gauche avec un leader, Jeremy Corbin qui se dit marxiste,
Tony Blair, lui, a continué à creuser son sillon dans l’espace centriste.
Voici le texte qu’il a publié et intitulé «Centrisme
révolutionnaire»:
«Le centre de la politique occidentale est connu comme le
domaine du pragmatisme, de la raison silencieuse et de l'évolution, où les
acteurs politiques évitent les extrêmes et cherchent des compromis. Parce que
les centristes politiques se méfient de la rhétorique bruyante et de la division,
ils ont adopté une vision «de haut en bas» (en français dans le texte) de la façon
dont fonctionne le monde politique.
Aujourd’hui, ils sont débordés. Le populisme de droite et de
gauche est rampant. Les anciennes règles ne s'appliquent plus. Les choses dites
qui auraient disqualifié un candidat il y a quelques années sont maintenant un
passeport pour le cœur des électeurs. Les positions politiques considérées
auparavant comme «mainstream» sont méprisées, et celles considérées comme
extravagantes sont aujourd'hui acceptables. Et les alliances politiques qui
durent depuis un siècle ou plus, se brisent à cause de profonds changements sociaux,
économiques et culturels.
La droite est en train de se fissurer. Le sentiment dominant
est nationaliste, anti-immigration et souvent protectionniste, donnant lieu à
une nouvelle alliance. Au Royaume-Uni, les militants travaillistes
traditionnels dans les vieilles communautés industrielles et les riches
partisans de la dérégulation et propriétaires d'entreprises se sont unis dans
leur aversion pour la façon dont le monde change et pour le «politiquement correct».
On ne sait pas si cette coalition – et les formations similaires dans d'autres
pays – pourra survivre à ses contradictions économiques inhérentes, bien que je
ne sous-estime pas le pouvoir de cohésion d'un sentiment partagé d'aliénation
culturelle.
Mais, comme on peut le voir dans les luttes au sein du Parti
républicain aux États-Unis, le Parti conservateur en Grande-Bretagne et en
Europe, une partie importante de la droite se considère toujours comme le
champion du libre-échange, des marchés ouverts et de l'immigration.
La gauche est également en train de se diviser. Une partie
est en train de passer à une position étatiste beaucoup plus traditionnelle sur
la politique économique, et à une forme de politique identitaire qui est
beaucoup plus radicale sur les normes culturelles. L'autre partie s'accroche à
une tentative de fournir un récit national unificateur autour des concepts de
justice sociale et de progrès économique.
Bien sûr, ce qu'on appelait le courant principal de la
gauche et de la droite pourrait reprendre le contrôle de leurs partis
politiques. Pour l'instant, cependant, les extrêmes sont en place, laissant
beaucoup de gens – socialement libéraux et en faveur d'une économie de marché
compétitive aux côtés de formes modernes d'action collective – sans un foyer
politique.
Est-ce temporaire ou sommes-nous à un point d'inflexion?
C'est la mondialisation qui change la politique. La vraie
division est aujourd'hui entre ceux qui considèrent la mondialisation
essentiellement comme une opportunité comportant des risques qui devraient être
atténués et ceux qui croient que, malgré ses avantages apparents, la
mondialisation détruit notre mode de vie et devrait être fortement contrainte.
J'ai parfois exprimé cela comme la différence entre une
vision «ouverte» et «fermée» du monde. Mais si ce langage capte une partie de
l'essence de la différence, j'en arrive à penser qu'il est inadéquat, parce
qu'il ne respecte pas suffisamment le sentiment que les «globalisateurs»
ignorent les vrais problèmes de fonctionnement de leur création.
Le danger de la politique occidentale est que, sans un
centre large et stable, les deux extrêmes se rencontrent dans une confrontation
intransigeante. Le degré de polarisation aux États-Unis et au Royaume-Uni est
effrayant. Dans les deux cas, le public se divise en deux nations qui ne
pensent pas les unes aux autres, qui travaillent les unes avec les autres ou
qui s'aiment les unes, les autres.
C'est dangereux, parce que s'il perdure, la démocratie perd
son attrait. Le gouvernement devient paralysé. Le modèle de l'homme fort
devient plus attrayant. Lorsque nos systèmes politiques et économiques
deviennent une compétition animée par une mentalité de gagnant-perdant, ceux
qui gagnent à un moment donné commencent à considérer les perdants comme des
ennemis plutôt que comme des adversaires.
La démocratie a un esprit, pas seulement une forme; et le
niveau de polarisation d'aujourd'hui est incompatible avec cela. C'est pourquoi
nous avons besoin d'une nouvelle politique qui cherche à construire des ponts
et à rassembler les gens – une politique qui diffère de la politique centriste
d'hier à deux égards.
Premièrement, nous devons comprendre la nécessité d'un
changement radical, et pas seulement de réformes progressives. La technologie
seule va transformer notre façon de vivre, de travailler et de penser. Nous
devons montrer à ceux qui se sentent abandonnés qu'il existe un moyen de
relever le défi du changement et qu'il est transformateur. Et nous devrions
aborder leurs angoisses compréhensibles sur des questions comme l'immigration,
qui sont complexes et multicouches, et ne peuvent pas être simplement rejetées
comme des «déplorables» nativistes.
En d'autres termes, nous devons montrer que nous avons
écouté le sentiment légitime de grief concernant certains aspects de la
mondialisation.
Deuxièmement, nous devons reconnaître que la politique
contemporaine ne fonctionne pas adéquatement pour relever le défi. Pendant qu’il
demeure tabou pour les politiques qui occupent l’espace centriste des partis
traditionnels de travailler ensemble, ils sont inefficaces, incapables de dire
ce qu'ils croient vraiment et incapables de représenter ceux qui ont un besoin
urgent d'être représentés.
Bref, en ces temps, la révolution est trop l'ère du temps
pour être laissée aux extrêmes. Le centre devrait également devenir capable
d'exploser le statu quo.»