Emmanuel Macron fêtant sa victoire |
Lors de ses dernières interventions médiatiques, notamment
celle du 10 décembre, et à l’occasion des mesures qu’il a prises ou annoncées,
particulièrement en réponse à l’épisode «gilets jaunes», il est permis de se
poser la question de savoir où est désormais Emmanuel Macron.
Y a-t-il un «nouveau» Macron voulu par lui-même et/ou imposé
par les événements? Et si c’est le cas, ce changement est-il sincère ou de
circonstance?
Pour certains de ses soutiens comme de ses opposants –
évidemment pas pour les mêmes raisons --, le Président de la république est
toujours le même, pour les premiers, dans sa volonté de vraiment changé la
donne sociale (comme c’est le cas pour les gilets jaunes), pour les seconds,
dans son objectif de gouverner d’en-haut et d’imposer ses réformes impopulaires.
Pour d’autres de ses mêmes soutiens et opposants, sa prise
de conscience va l’amener, de lui-même ou contraint, à changer sa politique et
à l’infléchir dans une voie que l’on peut soit qualifiée de sociale de manière
positive, soit populiste de manière négative.
Qu’en est-il réellement?
Cette interrogation générale sur un possible «nouveau»
Macron se subdivise en plusieurs sous-questions:
- Y a-t-il une nouvelle personne ou est-elle la même?
Le comportement, les idées, les valeurs et la vision du
monde du Président de la république viennent-ils de changer, voire d’être à
l’opposé de ce qu’ils étaient auparavant ou, à l’inverse, est-il demeuré fidèle
à lui-même?
En tant que personne, il ne semble pas qu’Emmanuel Macron
ait changé fondamentalement dans ce qu’il pense et dans ce qu’il veut que soit
sont agir.
Lorsqu’il sort du bois politiquement parlant puis lorsqu’il
se présente à l’élection présidentielle, il veut être un homme du changement
par rapport à un monde politique figé et sclérosé qui attend avec la peur au
ventre que l’extrême-droite populiste s’installe au pouvoir, et il se présente
comme tel; il veut porter la bonne parole partout où, en même temps, il
dialogue et il écoute sans jamais se dérober et en compatissant à chaque fois
avec ses interlocuteurs même s’il défend parfois son point de vue avec une
certaine rudesse.
Mais cette rudesse fait partie du message qu’il veut faire
passer et non de ce qu’il est.
Pour «révolutionner» la France (qu’il estime irréformable…),
il faut des électrochocs qui sont les réformes elles-mêmes, bien sûr, mais
aussi un discours chargé, non de choquer, mais de faire prendre conscience de
la situation et des défis, que ce soit collectivement (à propos des «gaulois
réfractaires au changement») ou individuellement (à propos du «je traverse la
rue, je vous trouve un emploi»).
Néanmoins, on peut penser que si son agir est demeuré
identique, en revanche il a pris conscience, au niveau de la forme, sa tactique
était très périlleuse, voire contreproductive car très mal reçue par des gens
qui ne se sentent pas forcément responsable de la situation du pays et qui donc
vivent celle-ci comme un agression et non comme une volonté de secouer le cocotier.
C’est dans ce sens qu’il faut prendre ses excuses récentes
pour ces propos qui auraient pu blesser ceux à qui ils s’adressaient.
De même, il a certainement pris conscience que la situation
politique explosive nécessitait des propos moins «rentre dedans» tout en
estimant que ceux-ci étaient légitimes quant à la situation économique et
sociale.
Sur le fond, donc, rien n’indique pour l’instant qu’il ait changé
son point de vue.
- Y a-t-il ou va-t-il y avoir un changement de politique, un
aménagement de celle qui a été menée ou reste-t-elle identique?
Dès ses premières déclarations politiques, Emmanuel Macron
s’est présenté comme un social-libéral, un homme de gauche qui a pris
conscience qu’il faut d’abord créer de la richesse avant de la redistribuer et
qu’il faut que la société française prenne elle-même conscience des défis
auxquels elle est déjà confrontée et qu’elle accepte de se «révolutionner» pour
les relever ainsi que ceux qui se présenteront au cours du siècle.
Là-dessus, rien n’indique un changement de perception de la
réalité et d’opinion sur l’idée de comment y remédier.
Mais il prévoyait que son «en même temps» économique et
social ait deux phases distinctes dont la première plutôt centrée sur la mise à
niveau économique du pays, devait encore durer une petite année.
Or, les événements l’ont conduit à passer à une sorte de
phase un «dièse» ou deux «bémol», c'est-à-dire de mélanger l’économique et le social
au risque de ne pas créer la dynamique entrepreneuriale nécessaire pour créer
la richesse et réduire le chômage tout en créant du déficit public.
Ce que l’on peut se demander, également, c’est si cette
phase intermédiaire va plomber les prochaines réformes économiques,
institutionnelles et fiscales malgré sa volonté de ne pas abdiquer cette mise à
niveau de la France qu’il estime toujours nécessaire.
Il est encore trop tôt pour répondre mais c’est une
possibilité qui ferait de lui un gestionnaire du quotidien plus qu’un
réformateur volontariste à l’instar de ses deux prédécesseurs qui ont connu
pareille mésaventure.
- Y a-t-il, en germe, un changement de gouvernance (manière
de gouverner) ou le changement est-il uniquement celui du discours?
Emmanuel Macron a toujours recherché la proximité du peuple
et sa campagne électorale en témoigne.
Pour autant, il avait décidé de mettre une certaine distance
avec ce peuple, une fois élu, parce qu’il voulait que la fonction
présidentielle, dévoyée selon lui par François Hollande, retrouve de sa superbe
et de son incarnation «gaullienne».
Il semble bien que ce mélange n’ait pas vraiment réussi
parce qu’il nécessite un jonglage quasiment impossible mais aussi parce qu’à
l’inverse de l’époque de la présidence de de Gaulle ou de Mitterrand, il existe
dorénavant des chaines d’info en continu, internet et les mobiles qui rendent
cette volonté sans doute obsolète dans toutes les démocraties du monde (seuls
les chefs des régimes autoritaires et totalitaires peuvent toujours prétendre y
parvenir et encore).
D’une part, dans ses propos familiers avec les Français, il
a été très critiqué pour son ton commun, voire vulgaire et, d’autre part, dans
sa posture gaullienne, il a été très critiqué pour son éloignement du peuple.
Quant il est intervenu sur le terrain, on lui a reproché son
absence de vue globale et quand il est intervenu sur les grands défis, on lui a
reproché d’être trop lointain des Français…
Non seulement, en pratiquant cet autre «en même temps», il
n’a pas eu l’argent du beurre mais même pas le beurre!
Il semble avoir décidé d’avoir un contact plus intime avec
les Français comme en témoigne ses dernières interventions.
Mais cette nouvelle proximité a l’inconvénient de le
rapprocher d’un «président normal», posture qui a plombé le quinquennat de
François Hollande.
Le nouvel équilibre à mettre en place ne sera certainement
pas simple à trouver, s’il peut être trouvé dans la démocratie du XXI° siècle.
- Les réformes annoncées dans son programme présidentiel
sont-elles remises en cause et certaines déjà votées et mises en œuvre
pourraient-elles être aménagées ou supprimées?
Quid, en effet, du cœur même du quinquennat d’Emmanuel
Macron, ses réformes tous azimuts?
C’est sans doute l’interrogation principale à laquelle il
est difficile de répondre parce qu’il lui faut d’abord sortir de la crise
actuelle avant de se projeter dans l’avenir avec, notamment, la réforme des
retraites, du système de santé et de protection sociale, des institutions et de
l’Etat, de l’audiovisuel.
Rien n’indique un rétropédalage et, lors de son allocution
du 10 décembre, il a rappelé sa volonté d’aller de l’avant dans les réformes.
Mais les mesures annoncées par le chef de l’Etat lors de son
allocution et, en particulier, celles qui pourraient creuser les déficits
publics, montrent que la voie pour mener à bien certaines des réformes énoncées
s’est un peu rétrécie, tout comme un environnement politique nettement plus
difficile.
- Ses soutiens actuels vont-ils épouser sa «nouvelle» ligne
politique?
Si l’on ne voit pas de mouvement de fond à La république en
marche pour remettre en question le soutien à sa politique (malgré des
«inquiétudes» et quelques «craintes» qui pourraient pousser quelques uns des
élus à s’éloigner de Macron), on peut se poser la question pour le Mouvement
démocrate de François Bayrou ainsi que pour une partie de ceux venus des
sphères économiques et sociales voire des intellectuels.
Concernant le MoDem, Bayrou a une évidente envie de
s’émanciper de Macron tout en continuant (pour l’instant?) de le soutenir et de
gagner sur les deux tableaux.
Mais le maire de Pau ne peut ignorer une réalité: son parti
existe encore aujourd’hui grâce à la victoire de Macron en 2017 et, surtout, de
ses largesses lors des élections législatives que rien ne l’obligeait à le
faire et qui permettent aujourd’hui au moDem d’avoir un groupe à l’Assemblée
nationale contre zéro député auparavant...
Dès lors, Bayrou peut bien jouer la carte de la liberté et
du soutien critique, il demeure lié à ce quinquennat plus qu’il ne le dit ou le
pense, et la réussite de celui-ci sera son assurance d’un avenir politique
alors que son échec pour sonner le glas de ses ambitions toujours présentes.
Quant aux soutiens venus des sphères professionnelles et
culturelles, rien n’indique actuellement des revirements notables mais
l’absence de réformes de la vie économique, sociale et politique pourrait
inciter certains à s’éloigner de cette nouvelle orientation si elle était
réellement mise en place.
- Ce «nouveau» Macron sera-t-il candidat en 2020?
Emmanuel Macron a indiqué que ses réformes et leurs fruits
ne seraient pas réellement terminées et visibles avant dix ans, soit deux
quinquennats.
Dès lors, on peut estimer qu’il désire se représenter en
2020.
Néanmoins, on peut se demander, par rapport à ses
convictions et à sa volonté d’incarner un vrai changement, s’il ne serait pas
capable de choisir de mettre en place cette «révolution» dont il parle dans son
livre du même nom au risque de ne pas pouvoir se représenter mais de partir
avec l’idée et la satisfaction d’avoir rempli sa mission et du devoir accompli.
C’est une simple supposition qui s’appuie, cependant sur sa
conception de l’engagement politique.
Car s’il a été pris par la politique, il est certainement
moins enclin que d’autres par son parcours et sa vision de l’existence, de s’y
accrocher coûte que coûte à l’opposé de la plupart de ses prédécesseurs à
l’Elysée.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
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