On parle beaucoup de «fake news» dont le but serait de
déstabiliser un régime politique.
Avec les nouvelles techniques de l’information (internet,
câble, diffusion numérique de la télévision), ces «fausses informations» ou
«infox» selon la nouvelle terminologie française, ont pris une nouvelle
dimension mais elles ont toujours existé et on les nommait plutôt propagande et
étaient surtout mises en route par des groupes politiques et des Etats ainsi
que par des entreprises qui pouvaient tenter de maquiller de la simple
publicité en information.
Aujourd’hui, n’importe qui peut diffuser sur une large
échelle ces infox.
Il y avait bien sûr les attaques personnelles mensongères
qui, aussi, de nos jours, ont pris une nouvelle dimension mais que l’on
appelait plutôt de la diffamation.
Mais l’on oublie, dans ce débat, une dimension extrêmement importante,
peut-être la plus importante de toute, c’est la transformation de l’information
en spectacle.
Cette mue ne date pas d’hier, elle a commencé à la fin du
XIX° siècle et a réellement pris son essor au cours du XX° siècle (ce qui
permet, encore une fois, de tordre le coup à cette légende d’un «âge d’or de
l’information») lorsque l’éducation du peuple couplé aux progrès technologiques
a permis à la presse écrite de devenir un phénomène de masse où les différents
intervenants se devaient d’attirer le chaland.
Aujourd’hui, grâce aux nouveaux canaux d’information permis
par la technologie, elle s’est répandue de manière endémique.
Le fondement de l’information spectacle est que
l’information est un produit comme un autre, qui doit se vendre comme un autre
et que pour faire appâter le «client» (lecteur, auditeur, téléspectateur,
internaute), il faut la mettre en scène, la rendre la plus attirante possible
et la faire coller avec les souhaits et les désirs de cette clientèle (ce qui
permet, entre autres, de faire quelques concessions voulues avec la réalité).
Et, comme pour n’importe quel produit, la forme est au moins
aussi importante que le fond.
Un gros titre vendeur vaut mieux qu’un titre informatif, une
image «choc» vaut mieux qu’une image documentaire…
Et, comme pour n’importe quel spectacle, la mise en scène
est primordiale.
Il convient ici de ne jamais oublier que les entreprises de
presse ont toujours été des sociétés commerciales dont le but est d’avoir le
plus de clients possible, donc de faire le plus de profit possible.
Et quand cette caractéristique commerciale est doublée d’une
volonté partisane, cela a plutôt tendance à multiplier le côté spectaculaire au
détriment de l’aspect informatif.
Dans un système de concurrence, il faut donc être meilleur
que l’autre.
Les quotidiens et autres supports papiers se sont livrés des
luttes dantesques pendant des décennies.
Puis ce sont les radios qui se sont affrontées avant que ce
ne soit les chaînes de télévision «publique» (on se rappelle les luttes entre la
première et la deuxième chaîne sur l’audimat du journal télévisé de 20
heures…).
Désormais, avec un paysage audiovisuel et numérique où le
nombre d’acteurs s’est multiplié, la chasse au client a pris une dimension
jamais vue auparavant.
Et pour que ce client aille plutôt regarder cette chaîne
d’info en continu que sa rivale, plutôt ce site internet que son alter ego,
aille plutôt écouter cette radio que sa concurrente (même chose pour la presse
écrite), il faut lui «vendre» l’information du mieux possible et le plus vite
possible.
Le mélange spectaculaire et immédiateté produit un mélange
détonnant qui, de plus, entre en synergie avec l’inculture et la mauvaise
formation d’une partie du personnel journalistique (auquel il faudra bien un
jour s’attaquer).
Dès lors, où est l’information citoyenne?
On pourrait penser qu’elle se trouve du côté du service
public de l’information que la plupart des pays du monde possède et qui devrait
remplir le rôle de permettre aux citoyens de s’informer en-dehors des problèmes
commerciaux et partisans.
C’est en tout cas sa mission dans les démocraties
républicaines.
Or cette mission, en particulier en France, n’est absolument
pas remplie.
D’une part parce que le service public a été mis en
concurrence avec le secteur privé (dont la logique demeure essentiellement
commerciale, ne serait-ce d’ailleurs que pour subsister) et parce qu’il est
souvent le lieu d’une intense polarisation idéologique donc partisane.
Du coup, partout on l’on va pour s’informer, nous
n’obtiendront que des informations biaisées où les faits sont souvent tronqués,
systématiquement mis en scène, presque toujours parasités par un commentaire
qui ne dit pas son nom dans un but commercial et/ou idéologique.
Ce paysage médiatique, comme on l’a vu, n’est pas nouveau
mais le phénomène de l’information spectacle (que les Américains appellent
«infotainement») est désormais la normalité.
Ce qui m’amène à parler de la défense bien connue du monde
médiatique (au-delà de ses dénégations sur les comportements cités ci-dessus):
si nous sommes comme ça, c’est parce que le lecteur le demande.
Tous ceux qui ont travaillé dans le milieu journalistique ou
ont eu affaire à lui, ont entendu cette affirmation.
Comme le public demande du spectacle, donnons-en lui comme
le faisait les Romains avec les jeux.
Là, se trouve une des supercheries les plus hypocrites.
Que des entreprises commerciales cherchent par tous les
moyens à vendre leurs produits, c’est une évidence et elle est même légitime
(quand il n’y a pas tromperie du client).
Le problème, c’est que l’information (en tout cas dans de
multiples secteurs, de la politique à l’économique, du social à l’international),
n’est pas un produit comme un autre.
Qu’il existe des médias qui contentent les souhaits de
certains, peu importe.
Néanmoins, il ne peut être question de tordre le cou à la
réalité pour vendre du mensonge sur des informations citoyennes en prétextant
que c’est le bon peuple qui le demande.
Une telle justification est contraire à la mission de la
démocratie républicaine, donc à la liberté de la presse qui lui est
consubstantielle.
L’information doit être vraie et le commentaire libre mais l’une
et l’autre doivent être clairement séparés.
Nous ne le changerons pas et, comme le rappelait Alexis de
Tocqueville, il faut préférer les maux d’une presse libre imparfaite à
l’absence de liberté d’information.
Néanmoins, nous pouvons l’amender dans un sens où le
citoyen, à côté de ces médias commerciaux, doit pouvoir se tourner vers un vrai
service public qui respecterait, enfin, les règles journalistiques de base en
matière d’indépendance, d’honnêteté et qui remplirait son rôle d’informer (avec
cette volonté formatrice qui est à la base d’acquérir ce savoir qui permet au
citoyen d’être une personne responsable, c'est-à-dire capable d’agir sur son
existence en toute connaissance de cause).
De même, nous pouvons créer des entreprises de presse
associatives qui seraient à la base d’un pluralisme partisan qui, aujourd’hui,
est menacé par l’aspect uniquement commercial des médias.
Enfin, un effort très important doit être fait dans la
formation, à la fois, des citoyens (notamment lors de la formation scolaire)
qui doivent pouvoir décrypter et comprendre au mieux l’information qu’on leur
sert mais aussi des professionnels, en particulier les journalistes, qui
doivent avoir une base solide mais aussi le respect d’une déontologie qui,
certes, existe aujourd’hui mais semble être un phare dont la lanterne est
tombée en panne depuis trop longtemps.
Et que l’on se rappelle que si, sans liberté de la presse,
pas de démocratie, sans une information citoyenne pas de vraie démocratie.
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