Emmanuel Macron |
Dans son discours fleuve aux ambassadeurs français en poste
à l’étranger, Emmanuel Macron a indiqué que ses objectifs, fixés lors de la
campagne présidentielle, n’avaient pas varié même si le combat s’annonçait
encore plus difficile que prévu du fait de l’évolution de la situation mondiale
ces deux dernières années avec la présence de Trump à la Maison blanche et de l’extrême-droite
dans plusieurs gouvernements européens, dont l’Italie, membre fondateur de l’UE,
ainsi que l’agressivité de pays autoritaires comme la Russie ou la Turquie.
Dans ce cadre, il a réaffirmé sa volonté de construire une
meilleure Europe et estime qu’il ne faut pas abandonner la mondialisation mais
la refonder sur des valeurs humanistes.
De même, il plaide toujours pour une coopération
internationale en matière d’environnement avec des objectifs élevés (son
discours a précédé de quelques heures la démission de Nicolas Hulot de son
poste de ministre de l’écologie au gouvernement).
Sans oublier, évidemment, la lutte contre le terrorisme en France
et dans le monde qui passe par une coopération de tous les Etats de la planète.
Pour que la France puisse être un des moteurs de ces
actions, il veut qu’elle soit une puissance «médiatrice» dans le cadre d’un
vrai multilatéralisme.
Voici les principaux extraits de son discours:
- (Il faut) choisir des objectifs clairs et donc limités, et
prendre de nouvelles mesures afin d’en assurer le suivi. Nous avons encore trop
tendance à considérer que tout est prioritaire et ne pas suffisamment avoir une
culture du résultat. Même en diplomatie, le succès se mesure – certes pas en un
jour et même sans doute jamais en un jour – à la capacité néanmoins d’infléchir
des attitudes, de construire des amitiés et des alliances, de remporter des
marchés. En un mot, de faire avancer les intérêts de la France et des Français
et de faire partager un peu de notre vision et conception du monde.
Nous avançons dans un contexte qu’il faut appréhender avec
calme et lucidité. Calme, car il ne s’agit pas de changer de stratégie dès
qu’un événement extérieur apparaît. Lucidité, car il ne s’agit pas pour autant
de sous-estimer les crises du monde. Or, durant l’année qui vient de s’écouler,
que s’est-il passé?
La France a réaffirmé sa volonté européenne, sa vision, son
projet. La France a proposé une Europe qui protège, plus souveraine, unie et
démocratique mais, dans le même temps, les extrêmes ont progressé et les
nationalismes se sont réveillés. Est-ce une raison pour abandonner? Certainement
pas. Serait-ce une raison pour dire que nous avons tort? Tout le contraire.
Nous payons là plusieurs décennies d’une Europe qui, il faut le regarder en
face, s’est parfois affadie, affaiblie, qui n’a peut-être pas toujours
suffisamment proposé. Il faut en réalité redoubler nos efforts.
La France s’est aussi faite le chantre d’un multilatéralisme
fort. Or, le système multilatéral hérité du siècle passé est remis en cause par
des acteurs majeurs et des puissances autoritaires qui parfois fascinent de
plus en plus. Devons-nous rendre les armes? Est-ce la responsabilité de la
France si tel ou tel pays choisit telle sensibilité, si une autre puissance
souveraine décide différemment de ce que nous pensons? La responsabilité de la
France est de faire entendre sa voix, de la défendre. Pas de se substituer à la
parole des autres. Il nous faudra donc prendre de nouvelles initiatives,
construire de nouvelles alliances, porter les débats au bon niveau si nous
souhaitons appréhender tous les défis contemporains et le bon niveau est bien
celui d’un débat de civilisation pour nos valeurs et la défense de nos
intérêts.
- L’année dernière, j’avais devant vous exposé les quatre
objectifs de notre action diplomatique, au nom de la politique que je mène pour
la nation : la sécurité de nos compatriotes, la promotion des biens communs,
l'influence et l’attractivité de notre pays et, enfin, une nouvelle ambition
européenne.
Ces objectifs sont toujours valides mais les circonstances
testent la robustesse de nos principes et la constance de notre action.
- Evoquer la lutte contre le terrorisme, c’est bien entendu
revenir sur notre politique au Sahel et au Moyen-Orient où sévissent les
groupements terroristes qui menacent la stabilité de ces régions mais qui nous
ont aussi directement frappés d’où ont été organisées les attaques qui ont
touché notre pays.
Avec toujours le même fil rouge : notre sécurité comme notre
vision du monde imposent la stabilité du Proche et du Moyen-Orient; cette
stabilité ne peut se construire que dans le pluralisme ethnique, religieux,
politique et le travail avec toutes les parties prenantes. Elle impose donc
tout à la fois notre implication et notre exigence quant au respect de la
dignité de chacun et des droits humains, mais aussi notre humilité car à aucun
moment nous ne saurions nous substituer à la souveraineté des Etats en
question. C’est le sens de notre travail avec le Liban, la Jordanie ou l’Egypte
ces derniers mois. C’est ce qui fait que nous serons écoutés et que nous
pourrons continuer à être efficaces.
Evoquer dans l’environnement contemporain notre action pour
la sécurité des Français, c’est aussi poursuivre notre engagement à lutter
contre les armes chimiques et la prolifération nucléaire.
La France saura prendre ses responsabilités sur le sujet
iranien, sans complaisance ou naïveté, en maintenant un dialogue étroit avec
nos partenaires, parmi lesquels les Etats du Golfe.
- Parler de notre sécurité, c’est aussi parler de la
sécurité de l’Europe au regard des risques extérieurs.
A cet égard, durant l’année qui vient de s’écouler, nous
avons progressé à un rythme inégalé durant les soixante dernières années. Le
renforcement de notre politique commune de défense depuis l’été 2017, la
création d’un fonds de défense afin de financer des initiatives concrètes, la
conclusion de deux accords stratégiques pour les chars et les avions de combat
entre l’Allemagne et la France, la conclusion avec huit autres Etats membres de
l’initiative européenne d’intervention que j’avais proposée en septembre 2017
pour favoriser un esprit de défense entre Européens, sont des avancées
aujourd'hui actées et inédites. Jamais l’Europe n’avait avancé aussi vite en
matière de défense.
L’Europe a pris conscience qu’elle devait se protéger et la
France a dans ce cadre pris toutes ses responsabilités, à travers la loi de
programmation militaire promulguée le 14 juillet dernier qui redonne une vision
stratégique actualisée face à ces nouvelles menaces à notre pays et des moyens
cohérents pour répondre à celles-ci.
La France et l’Europe ont en quelque sorte pris acte des
nouvelles menaces contemporaines et du fait que nous avions besoin d’une
autonomie stratégique et de défense pour répondre à ces dernières.
Je porterai dans les prochains mois un projet de
renforcement de la solidarité européenne en matière de sécurité. Nous devons en
effet donner plus de substance à l’article 42-7 du Traité sur l’Union
européenne, invoqué pour la première fois par la France en 2015, après les
attentats. La France est prête à entrer dans une discussion concrète entre
Etats européens sur la nature des liens réciproques de solidarité et de défense
mutuelle qu’impliquent nos engagements aux termes du traité. L’Europe ne peut
plus remettre sa sécurité aux seuls Etats-Unis. C’est à nous aujourd’hui de
prendre nos responsabilités et de garantir la sécurité et donc la souveraineté
européenne.
Nous devons tirer toutes les conséquences de la fin de la
guerre froide. Des alliances ont aujourd’hui encore toute leur pertinence, mais
les équilibres, parfois, les automatismes sur lesquels elles s’étaient bâties
sont à revisiter. Et cela suppose aussi pour l’Europe d’en tirer toutes les
conséquences. Cette solidarité renforcée impliquera de revisiter l’architecture
européenne de défense et de sécurité. D’une part, en initiant un dialogue
rénové sur la cyber-sécurité, les armes chimiques, les armements classiques,
les conflits territoriaux, la sécurité spatiale ou la protection des zones
polaires tout particulièrement avec la Russie.
Je souhaite que nous lancions une réflexion exhaustive sur
ces sujets avec l’ensemble de nos partenaires européens au sens large, et donc
avec la Russie. Des progrès substantiels vers la résolution de la crise
ukrainienne, tout comme le respect du cadre de l’OSCE – je pense en particulier
à la situation des observateurs dans le Donbass – seront bien entendu des
conditions préalables à des avancées réelles avec Moscou. Mais cela ne doit pas
nous empêcher de travailler dès maintenant entre Européens. Je compte sur vous
pour cela.
- Nous n’avons pas, sur ce sujet, à céder à quelque
fascination que ce soit, et que nous voyons poindre un peu partout à travers
l’Union européenne ; ces fascinations pour les démocraties illibérales ou pour
une forme d’efficacité qui passeraient par la renonciation à tous nos
principes. Non. Notre sécurité passe par la réaffirmation de nos valeurs, des
Droits de L’Homme qui sont au fondement même, non seulement du Conseil de
l’Europe, mais de l’Union européenne, et la défense de toutes celles et ceux
qui les portent chaque jour, je pense aux organisations non gouvernementales,
aux intellectuels, aux artistes, aux militants, aux journalistes. Et sur ce
sujet aussi, nous aurons à prendre, en particulier, en marge de l’assemblée
générale des Nations Unies plusieurs initiatives.
- Le deuxième objectif que j’avais assigné, il y a un an, à
notre diplomatie, c’est la promotion des biens communs, la protection de la
planète, la culture, l’éducation de nos enfants, la santé des populations, les
échanges commerciaux ou encore l’espace numérique sont les éléments du
patrimoine mondial que nous devons défendre. Mais pour cela, il faut d’abord
des règles collectives, acceptées par tous, indispensables pour permettre la
bonne coopération, et donc les progrès en matière de défense de ces biens
communs. Or, la première menace qui pèse sur nos biens communs, c’est bien la
crise du multilatéralisme lui-même.
Le multilatéralisme traverse en effet une crise majeure qui
vient percuter toutes nos actions diplomatiques, avant tout, en raison de la
politique américaine. Le doute sur l’OTAN, la politique commerciale unilatérale
et agressive conduisant à une quasi-guerre commerciale avec la Chine, l’Europe
et quelques autres, le retrait de l’accord de Paris, la sortie de l’accord
nucléaire iranien en sont autant de marques. Le partenaire avec lequel l’Europe
avait bâti l’ordre multilatéral d’après-guerre semble tourner le dos à cette
histoire commune. La France, chaque fois, a été la première et la plus claire
dans son opposition à ces décisions, mais tout en cherchant, chaque fois, à
convaincre avant que ces décisions ne soient prises, et à maintenir
l’indispensable dialogue de qualité entre nos deux pays. Et je revendique
pleinement cela.
Cette mondialisation et ce multilatéralisme ont eu des
effets positifs qu’il ne faut pas sous-estimer: ils ont sorti de la pauvreté
des centaines de millions d’habitants de la planète, ils ont mis fin à une
conflictualité idéologique qui divisait le monde, ils ont permis une phase de
prospérité et de liberté inédites, d’expansion pacifique du commerce
international, qui est une réalité des dernières décennies. Cependant, cet
ordre économique, social et politique est en crise. D’abord, parce qu’il n’a
pas su réguler les dérives qui lui sont propres : déséquilibres commerciaux qui
ont profondément touché certaines régions, perdantes de la mondialisation,
catastrophes environnementales longtemps oubliées, inégalités considérables au
sein de nos sociétés et entre nos sociétés.
Et du Brexit à la position contemporaine américaine, c’est
bien ce malaise avec la mondialisation contemporaine qui s’exprime. Simplement,
la réponse à mes yeux ne passe pas par l’unilatéralisme, mais par une
réinvention, une nouvelle conception de la mondialisation contemporaine.
Ensuite, cette mondialisation capitaliste a généré une accélération des flux
financiers, une hyper-concentration des techniques, des talents, mais aussi des
profits qui ont fait émerger des acteurs qui bousculent et affaiblissent nos
règles collectives, et des grands gagnants comme des grands perdants.
Enfin, parce que, partout dans le monde, les identités
profondes des peuples ont resurgi, avec leurs imaginaires historiques. C’est un
fait. Ceux qui croyaient à l’avènement d’un peuple mondialisé, protégé des
morsures de l’histoire, se sont profondément trompés. Partout dans le monde, la
psyché profonde est revenue à chacun de nos peuples, et c’est vrai, de l’Inde à
la Hongrie, en passant par la Grèce, jusqu’aux Etats-Unis. Regardez-y de plus
près, elle est parfois détournée, parfois exacerbée, mais c’est un fait qui dit
quelque chose du retour des peuples. C’est une bonne chose sans doute, en tout
cas, je le crois.
C’est le signe que cette mondialisation indifférenciée ne
permettait pas de répondre à tout, qu’elle a même échoué de répondre à quelques
points, et qu’il nous faut donc en repenser les règles et les usages compte
tenu justement de ces échecs, de ces transformations. Ainsi, la véritable
question n’est pas tant de savoir si je vais prendre Donald Trump par le bras
au prochain sommet, mais bien comment nous allons collectivement appréhender ce
moment de grandes transformations que nous vivons, et auxquelles nos sociétés
sont toutes confrontées.
- La grande transformation démographique, qui bouscule
aujourd’hui l’Afrique comme l’Europe, et tous les continents, il faut bien le
dire. La grande transformation écologique et environnementale, plus criante que
jamais. La grande transformation des inégalités et la grande transformation
technologique. Le rôle de la France est de proposer une voie humaniste pour
relever ces défis, et avec l’Europe précisément, de proposer une nouvelle
organisation collective.
La réponse ne passe donc pas par l’unilatéralisme, mais bien
par une réorganisation de notre action autour de quelques biens communs
stratégiques, et par la construction de nouvelles alliances.
- En matière de lutte contre le changement climatique,
d’abord, l’accord de Paris sur le climat doit continuer à être défendu. Nous
voyons tous les jours, avec l’intensification des extrêmes climatiques et des
catastrophes naturelles, la confirmation de l’urgence de ce combat. Et nous
continuons à le mener, et nous continuerons avec des actions concrètes.
Le Sommet One Planet, dont la France a pris l’initiative
avec l’ONU et la Banque mondiale, le 12 décembre dernier à Paris, a permis
d’adopter des engagements financiers nouveaux, substantiels. Un nouveau sommet
international de suivi sera organisé le 26 septembre prochain à New York. Nous
devons continuer à mobiliser tous les acteurs engagés dans cette lutte :
entreprises, organisations non gouvernementales, collectivités locales, grandes
fondations internationales.
Ce combat pour la planète restera au cœur de notre politique
étrangère, comme l’a montré la place prise par ce thème dans les visites que
j’ai pu faire au Saint-Siège, en Chine ou en Inde, en particulier avec le
premier sommet de l’Alliance solaire internationale que nous avons organisé
avec l’Inde. Il doit se traduire aussi par la négociation et l’adoption d’un
nouveau pacte mondial pour l’environnement qui est à mes yeux un objectif
prioritaire, et qui impliquera la mobilisation de l’ensemble de notre
diplomatie, mais également par la préparation active des grandes échéances de
négociations sur la biodiversité en 2019 et 2020. Et une mobilisation sur le
sujet des océans comme des pôles qui impliquera, là aussi, la mobilisation de
nombreux postes.
Cette diplomatie environnementale est majeure pour répondre
à ce grand bouleversement du monde. Elle est majeure parce qu’elle caractérise
l’engagement français et européen en la matière, parce qu’elle permet de nouer
de nouvelles alliances, en particulier avec la Chine et plusieurs autres
puissances, et donc construire, là aussi, nouvelle forme de coopération
internationale, et parce qu’elle permet très profondément de répondre à nos
intérêts, sur le court, moyen et long terme.
- Le deuxième bien universel que nous avons replacé au cœur
de notre politique de coopération internationale, c’est l’éducation, la
culture, le savoir. La France, en effet, a montré son engagement en organisant
avec le Sénégal la conférence de reconstitution du Partenariat mondial pour
l’éducation à Dakar, il y a quelques mois, qui a permis de lever plus de deux
milliards d’euros pour l’éducation dans le monde, en particulier l’éducation
des jeunes filles, et pour laquelle, La France a multiplié sa contribution par
10.
C’est à mes yeux tout à la fois notre rôle universaliste et
humaniste, mais aussi la contribution la plus essentielle que nous pouvons
apporter à la crise démographique que j’évoquais tout à l’heure. Partout où la
démographie flambe de manière inconsidérée, c’est parce que l’éducation a
reculé, et en particulier, l’éducation des jeunes filles. Et c’est un discours
que la France doit savoir porter.
(…)
La lutte pour l’éducation est la meilleure réponse à tous
les obscurantismes et les totalitarismes. L’éducation, la culture,
l’intelligence sont au cœur de ce combat que nous devons mener partout. C’est
la seule réponse durable au défi démographique mondial. Et c’est ainsi que nous
lutterons en profondeur contre les inégalités, en particulier entre les femmes
et les hommes. Et c’est pourquoi j’ai fait, dans notre pays comme à l’international,
de l’éducation une priorité absolue.
- Troisième bien commun, c’est la santé. Sur ce sujet, la
France reprendra le fil de ses engagements en réunissant le 10 octobre 2019, à
Lyon, la conférence de reconstitution du Fonds mondial contre le SIDA, du
paludisme et la tuberculose. Mais d’ici là, je souhaite que nous reprenions
avec force l’important combat mené contre les faux médicaments, que la France
avait initié, et que nous intensifions notre implication dans la lutte contre
les grandes pandémies, je pense en particulier à la lutte contre Ebola en
Afrique centrale.
- Le quatrième bien commun fondamental, c’est l’espace
numérique. Nous devons à la fois accompagner son essor, investir pour la
promotion de nos intérêts stratégiques et économiques et encadrer pour qu’il
puisse être accessible à tous et protecteur de nos droits fondamentaux. Ce
grand bouleversement, c’est exactement le sens du sommet Tech For Good,
organisé à Paris au printemps dernier, et que nous renouvellerons chaque année,
pour encourager la réflexion sur les régulations indispensables dans ces
nouveaux secteurs, avec l’ensemble des acteurs internationaux, et pour prendre
aussi des mesures et des engagements concrets. Qu’il s’agisse de fiscalité, de
respect de la vie privée, de droits sociaux, d’éthique, nous devons forger des
réponses respectueuses de la souveraineté des pays, en n’acceptant jamais que
tel ou tel acteur économique, tel ou tel espace de l’activité humaine, puissent
échapper à notre souveraineté et à notre vigilance.
C’est le sens de l’engagement que nous avons pris, en
particulier avec le Royaume-Uni, au niveau européen comme au niveau
international, pour lutter contre la diffusion des messages terroristes, ou des
contenus à caractère terroriste. C’est le travail de régulation que nous
continuerons à mener au niveau européen et international, pour précisément
accroître les bonnes pratiques dans le domaine. Le 12 novembre prochain, à
Paris, se tiendront en même temps l’Internet Governance Forum et le CivicTech
Forum, qui permettront des avancées sur ces sujets. Je veux faire de la France
un centre majeur d’attractivité, mais aussi de réflexion et de construction de
ces règles nouvelles, parler des biens communs et de cette nouvelle grammaire
de la mondialisation.
- Le commerce international n’est définitivement pas
équitable, l’organisation collective que nous avons aujourd’hui n’est pas des
plus efficaces, mais y répondre par l’unilatéralisme absolu et la guerre
commerciale est la moins bonne des réponses. La réponse doit passer par une
refondation en profondeur de notre ordre mondial international. C’est pourquoi
j’ai invité dès mai dernier à l’OCDE à lancer un groupe de travail conjoint
entre les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine et le Japon.
Nous devons clarifier les règles existantes, améliorer le
règlement des différends, adopter une régulation plus efficace sur le plan
international et intégrer dans notre politique commerciale nos propres exigences
sociales et environnementales. On ne peut pas avoir une politique commerciale
qui, en quelque sorte, serait pensée à part de tout.
- En matière sociale, notre ordre mondial peut être bien
mieux régulé. Et je pense que les 100 ans de l’OIT en 2019 doivent nous
permettre d’aller plus loin et de marquer une nouvelle ambition. Partout où la
mondialisation est critiquée, ce qu’on critique, ce sont ces aberrations
sociales, ce que critiquent les classes populaires et moyennes, au Royaume-Uni,
aux Etats-Unis, comme dans notre pays, c’est le fait qu’elles ne s’y retrouvent
plus, que cet ordre a construit des inégalités que j’évoquais tout à l’heure,
qui ne sont plus soutenables.
Il nous faut donc les penser, non pas les uns contre les
autres, mais construire, comme nous avons su le faire dans d’autres domaines,
les voies et moyens d’une coopération internationale, qui puisse nous aider à
définir des standards communs, et donc penser, là aussi, la convergence de ceux
qui le veulent, la coopération de tous. C’est pourquoi je veux faire de la
question des inégalités le sujet majeur de l’engagement français durant l’année
qui s’ouvre, notamment au G7, que nous présiderons en 2019.
C’est, au total, cette refondation de l’ordre mondial qui
est notre cap. La France et l’Europe y ont un rôle historique à jouer. Je ne
crois pas que l’avenir du monde se bâtira sur des hégémonies, ni sur des
théocraties, ni sur de nouveaux totalitarismes. Mais cela suppose un sursaut
immédiat de notre démocratie. Nous ne gagnerons pas cette bataille en disant
simplement que les démocraties ont par définition raison, quand nous voyons
partout les extrêmes monter, et cet ordre international se désagréger. Quand je
parle d’un multilatéralisme fort, cela suppose de regarder ce qui, pour nos
concitoyens, constitue des défis essentiels, et de savoir y apporter une
réponse internationale.
C’est bien sur les failles de la gouvernance mondiale et l’affaiblissement
des démocraties que la paix chèrement acquise de 1918 s’est brisée au cours des
années 30. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’inviter à Paris, pour les
cérémonies du 11 novembre, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement qui
inaugureront le premier Forum de Paris sur la Paix. Ce Forum vise à renforcer
notre action collective en associant Etats et organisations internationales, au
premier rang desquels l’ONU, avec la société civile : les ONG, les entreprises,
les syndicats, les experts, les intellectuels, les groupes religieux. La
gouvernance internationale doit se décliner concrètement, et chaque citoyen
peut y prendre part.
Cette refondation suppose précisément ce temps de réflexion,
et ce sursaut commun, c’est celui, j’espère, que nous saurons faire vivre le 11
novembre prochain à Paris. Cette refondation suppose aussi que nous
reconcevions nos organisations, nos instruments de concertation et nos
coalitions.
En 2019, la France présidera donc le G7. Je souhaite que
nous puissions en renouveler les formats et les ambitions. Nous devons, en
restant un groupe cohérent porté par des niveaux de développement et
d’exigences démocratiques communs, nouer un dialogue constant plus fort, avec
la Chine sur le climat et le commerce, avec l’Inde sur le numérique, avec
l’Afrique sur la jeunesse. En tout cas, nous ne devons pas reproduire ce
théâtre d’ombres et de divisions qui, je crois, nous a davantage affaibli qu’il
ne nous a fait avancer. Je proposerai donc d’ici à la fin de l’année aux autres
pays membres une réforme, en lien d’ailleurs avec les Etats-Unis, qui prendront
après nous la présidence du G7 en 2020.
- Nous devons construire une nouvelle relation à l’Asie.
Elle se bâtira notamment autour de notre dialogue essentiel et fructueux avec
la Chine. J’ai dit que je m’y rendrai chaque année et j’ai jeté les bases de ce
dialogue il y a quelques mois à X’ian. La Chine a posé l’un des concepts
géopolitiques les plus importants des dernières décennies avec ses nouvelles
routes de la soie. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’existait pas. Nous
ne devons céder à aucune fascination coupable ou court-termiste : c’est une
vision de la mondialisation qui a des vertus de stabilisation de certaines
régions mais qui est hégémonique. Et je souhaite donc que la France puisse
porter une voix d’équilibre et de préservation à la fois de nos intérêts et de
notre vision du monde dans ce dialogue constructif, exigeant et confiant avec
la Chine.
Notre relation avec le Japon est aussi essentielle, qui
présidera le G20 en même temps que nous le G7, et qui fut notre dernier invité
du 14 juillet avec Singapour et dont l’actuelle saison culturelle en France
montre la profondeur de nos liens. Les relations avec l’Inde, la plus grande démocratie
du monde, et avec l’Australie, dans le cadre de la stratégie indo-pacifique
sont essentielles. Mais c'est plus particulièrement avec l’Afrique que nous
devons refonder ces coalitions contemporaines que j’évoquais à l’instant et
notre capacité précisément à influer sur le cours du monde.
- L’Afrique n’est pas seulement notre interlocuteur pour
parler des crises qui l’affectent, elle est d’abord notre alliée pour inventer
les grands équilibres du monde de demain. C’est pourquoi je vous demande à tous
d’être les acteurs de ce dialogue : la relation avec l’Afrique, et c’est un
message essentiel que je veux ici vous faire passer, n’est pas que l’affaire de
nos Ambassadeurs en Afrique. Quand je parle de l’Afrique, je parle de
l’ensemble du continent africain dans sa diversité et ses richesses, comme je
l’ai expliqué dans mon discours à Ouagadougou, en invitant tous les talents de
nos deux continents, et notamment les jeunes européens et africains, à
dialoguer sur leur avenir commun.
L’importance de l’Afrique pour la France, c’est non
seulement celle du voisin le plus proche mais aussi une partie de notre
identité, à travers notre histoire commune, à travers les diasporas que j’ai
prévu de rencontrer cet automne et c’est pour nous la nécessité de mieux
impliquer dans le renouveau de notre relation avec le continent ces dernières.
Je compte également sur la contribution des membres du Conseil présidentiel
pour l’Afrique, que je salue pour leur engagement à mes côtés.
- Lors du discours de la Sorbonne en septembre dernier, j’ai
proposé une vision complète, ambitieuse d’une Europe plus souveraine, plus
unie, plus démocratique. Sur cette voie, nous avons déjà obtenu de premiers
résultats en matière de défense – je les évoquais tout à l'heure -, en matière
de travail détaché, en matière de convergence sociale et fiscale, de politique
commerciale. Nous aurons dans les prochains mois à continuer le travail en
matière de migration ou de numérique.
Nous avons, sur cette base et compte tenu du contexte
politique que notre premier partenaire allemand a eu à connaître, mené un
travail durant plusieurs mois qui a permis à Meseberg en juin dernier de
sceller une étape historique entre la France et l’Allemagne et de construire un
document stratégique qui, sur tous ces points, y compris celui d’un budget de
la zone euro, nous fixe un agenda commun d’ici à 2021 qui permettra, je crois,
de développer de manière cohérente cette vision d’une Europe souveraine, unie
et solidaire qui doit être la nôtre.
Culture et éducation ; climat et énergie ; santé et alimentation
; numérique et innovation: dans chacun de ces domaines, nous avons avancé et
proposé une initiative commune. Nous avons aussi adopté une méthode ambitieuse,
celle de parler à tout le monde, là aussi en Europe. J’ai visité en un an plus
de la moitié des pays de l’Union européenne. J’ai évidemment échangé avec
l’intégralité, de manière bilatérale, des chefs d’Etat et de gouvernement. J’ai
souhaité marquer le premier été par une tournée en Europe centrale et orientale
et je serai demain au Danemark où aucune visite d’Etat n’a eu lieu depuis
trente-six ans puis en Finlande.
Nous avons parfois oublié certains pays de l’Europe sous
prétexte que nous les voyons à chaque conseil européen. Mais il y a à
convaincre, à comprendre aussi la dynamique profonde de nombre de peuples
européens à construire une relation bilatérale forte qui serve notre politique
européenne. L’Europe ne se fait ni à Bruxelles, ni à Paris, ni à Berlin : elle
se construit dans la diffusion inlassable de nos idées, de nos projets, de
manière non hégémonique.
Je vous le dis aujourd'hui avec gravité et humilité : ce
combat européen ne fait que commencer. Il sera long, il sera difficile. Il sera
au centre de l’action de la France tout au long de mon mandat et en particulier
dans l’année qui s’ouvre, car nous sommes au milieu d’une crise européenne.
Partout en Europe, les doutes sont là. Le Brexit en est un
symptôme. La montée des extrêmes est presqu’une règle générale et la France
fait figure d’exception. Les divisions entre le nord et le sud sur le plan
économique, entre l’est et l’ouest sur les sujets migratoires fracturent encore
trop souvent notre Union européenne et nous vivons aujourd'hui une crise
politique sur les migrations à laquelle nous devons faire face.
Alors face à cela, quelle réponse apporter? Ne rien renoncer
de l’ambition exprimée il y a un an. Rien. Au contraire, apporter davantage de
clarté et quelques angles que je veux ici, pour conclure mon propos, partager
avec vous. D'abord, de quelle Europe parlons-nous ? Quand nous parlons à
l’Afrique, quand nous parlons de nous-mêmes, quand nous parlons de tous ces
grands défis, le périmètre, le contour de cette Europe ne doit pas non plus
faire l’objet d’une forme de confort intellectuel. L’Union européenne n’est pas
écrite de tout temps et les modifications de son périmètre ne sont ni un drame
ni forcément un mouvement qu’on devrait subir. Il y a bien évidemment d’abord
le Brexit mais j’attire l’attention collective: n’y a-t-il pas quelque chose
d’absurde dans une Union européenne qui aujourd'hui va consacrer une énergie
colossale à discuter du Brexit et, en même temps, voudrait discuter du début
d’une négociation d’adhésion de l’Albanie ou de tel ou tel autre pays des
Balkans occidentaux? Tous ces pays ont quelque chose à voir avec notre histoire
et notre stratégie mais est-ce que nous sommes là, dans ce cercle initié et
lucide, est-ce que nous pouvons être satisfaits de ce cours des choses ? Est-ce
que nous pensons que c’est la meilleure manière de répondre à nos défis? Est-ce
que nous pensons que les choses vont comme elles vont, quand il s’agit du
périmètre de l’Europe, de quelle Europe nous voulons? Résolument pas.
Alors pour ce qui est du Brexit, je souhaite que l’accord se
fasse d’ici à la fin de l’année en fixant le cadre de nos relations futures.
Mais je le répète, le Brexit, c’est un choix souverain qu’il faut respecter,
mais c’est un choix qui ne saurait se faire aux dépens de l’intégrité de
l’Union européenne. C’est le choix du peuple britannique pour lui-même, mais
pas pour les autres et la France souhaite maintenir une relation forte,
privilégiée avec Londres, mais pas au prix de la dissolution de l’Union
européenne. Et que l’intégrité soit défendue par la capitale dont c’est la
cause, dans son propre pays, est une chose, mais nous avons à défendre
l’intégrité de nos valeurs, de notre socle et de l’Union européenne. Et donc
nous aurons sur ce point un dialogue exigeant, indispensable, mais il nous
faudra, quoi qu’il en soit penser la relation de l’Union européenne après le Brexit
avec Londres, c’est indispensable. Et le penser consistera justement à définir
à tout le moins un partenariat stratégique à construire.
C’est la même exigence que je veux à nos frontières, j’ai
déjà évoqué le cas de la Russie tout à l’heure, le cadre d’une architecture
européenne de sécurité et de défense, mais nous ne pouvons durablement
construire l’Europe sans penser notre relation à la Russie et la Turquie. La
penser sans complaisance et sans naïveté. Est-ce que nous pensons aujourd'hui
là aussi de manière lucide et sincère que nous pouvons continuer une
négociation d’adhésion à l’Union européenne de la Turquie, quand le projet
chaque jour réaffirmé du président turc avec lequel j’ai eu une intensité de
contacts inédite depuis un peu plus d’un an, est un projet panislamique
régulièrement présenté comme antieuropéen, dont les mesures régulières vont
plutôt à l’encontre de nos principes ? Résolument pas. Et là aussi nous devons
sortir de l’hypocrisie pour construire une solution me semble-t-il plus efficace,
plus cohérente pour nous. Il nous faut donc construire un partenariat
stratégique qui n’est pas l’adhésion à l’Union européenne, mais un partenariat
stratégique avec la Russie et avec la Turquie, parce que ce sont deux
puissances importantes pour notre sécurité collective, parce qu’il faut les
arrimer à l’Europe, parce que l’histoire de ces peuples s’est fait avec
l’Europe et que nous devons ensemble construire notre avenir. Et donc sur tous
ces plans il faut une relation que nous avons à réinventer, sur un plan
exigeant, mais sans céder à l’espèce de tâtonnement bureaucratique auquel nous
nous sommes habitués sur ces sujets.
Nous sommes sortis de la guerre froide et la Turquie du
président ERDOGAN n’est pas la Turquie du président KEMAL. Ces deux réalités
sont là et il nous faut en tirer toutes les conséquences.
Ensuite il faut assumer, accepter, porter le fait que cette
Europe sera une Europe de plusieurs cercles, parce que c’est déjà le cas et
donc il faut accepter qu’il y ait une Europe large, peut-être plus large que
l’Union européenne, le Conseil de l’Europe étant d’ailleurs cette base la plus
large, fondée sur nos principes, qui parfois sont remis en cause au sein même
de l’Union. Mais il y a donc la place pour une Europe large, la place pour un
marché commun et en ce cœur la place pour des coopérations renforcées, une
intégration plus forte. Et cela suppose d’avoir un peu d’audace et d’accepter
de revisiter des tabous de part et d’autres, des tabous de transfert d’un côté
du Rhin, des tabous de changement de traité de l’autre côté du Rhin. Et sur ce
point la vision que porte la France aujourd'hui, celle que nous porterons dans
le cadre des échéances à venir, suppose une révision des traités qu’il s’agisse
de la réforme de l’Union européenne comme de la zone euro, je la souhaite et je
souhaite que nous puissions la construire sur la base des consultations
démocratiques en cours, sur la base des résultats des élections européennes à
venir et d’un travail intergouvernemental qui s’imposera dans les semestres qui
viennent. Parce que nous avons besoin de repenser notre organisation
collective, nous avons besoin d’une Commission plus efficace et moins nombreuse
et nous avons besoin de repenser les axes stratégiques de cette Europe.
Enfin, nous serons et nous sommes aujourd'hui collectivement
testés parce que cette Europe, je l’ai dit à plusieurs reprises et je viens de
parler de son périmètre, de son étendue, a à faire face à tous les défis
contemporains dont je vous parle depuis tout à l’heure. Et nous n’avons qu’une
réponse européenne crédible : celle de notre autonomie stratégique. La question
n’est pas de savoir si nous arrivons à convaincre les Etats-Unis d’Amérique,
c’est un grand peuple et un grand pays, la question est de savoir si les
Etats-Unis d’Amérique nous regarde comme une puissance avec une autonomie
stratégique, c’est ça la vraie question qui est posée pour l’Europe
aujourd'hui. Et force est de constater qu’aujourd'hui ce n’est pas le cas, nous
devons nous regarder avec lucidité, quand bien même celle-ci est cruelle, je ne
crois pas très sincèrement aujourd'hui que la Chine ou les Etats-Unis
d’Amérique pensent que l’Europe est une puissance avec une autonomie
stratégique comparable à la leur. Je ne le crois pas.
Et je crois que si nous ne parvenons pas à construire cela,
nous nous préparons des lendemains moroses. Et donc comment construire cette véritable
souveraineté européenne? Eh bien en répondant aux défis dont j’ai parlé depuis
tout à l’heure, en faisant de l’Europe, le modèle de cette refondation
humaniste de la mondialisation. C’est ça le défi qui est le notre et c’est ça
exactement le débat qui est posé aujourd'hui au peuple européen dans le cadre
des élections qui adviennent.
Il y a le choix clair d’un côté, l’Europe n’est pas efficace,
elle ne répond plus à ces défis de la mondialisation, ce n’est pas totalement
faux. Elle n’a pas d’autonomie stratégique, il faut donc la désagréger.
Alors les plus sophistiqués vous diront: nous sommes pour la
désagréger, sauf lorsqu’elle nous apporte quelque chose, parce que l’Italie est
contre l’Europe qui n’est pas solidaire sur le plan migratoire, mais elle est
pour l’Europe des fonds structurels lorsque j’écoute certains ministres ; le
président du conseil italien le sait bien d’ailleurs, il est sur une ligne
beaucoup plus structurée. La Hongrie de Viktor Orban, elle n’a jamais été
contre l’Europe des fonds structurels, de la politique agricole commune, mais
elle est contre l’Europe quand il s’agit de tenir de grands discours sur la
chrétienté. Et donc il y a une voie claire de l’opportunisme européen, mais du
nationalisme revendiqué, désagrégeons cette structure bureaucratique, elle ne
nous apporte plus rien, faisons semblant d’oublier ce qu’elle nous apporte et
assumons une ligne claire.
De l’autre côté, il nous faut porter une ligne, là aussi
claire, celle d’une volonté de souveraineté européenne, en quoi et comment
l’Europe peut apporter seule une réponse à nombre de nos défis? Et je crois que
c’est le cas, et je crois que c’est tout particulièrement le cas pour ce qui
est de la crise politique aujourd'hui qui sévit en Europe. Je parle de crise
politique, parce que les sujets dont nous avons parlé tout l’été en matière de
migration, sont avant tout une crise politique. L’Europe a eu à subir en 2015
une vraie crise migratoire, quand des millions d’Afghans, de Syriens sont venus
en raison des conflits. L’Europe a eu à subir, il y a un peu plus d’un an une
vraie crise migratoire venant de Libye mais ces flux ont été divisés par dix
ces dernières semaines, ce n’est pas une crise migratoire, c’est une crise
politique, celle de la capacité justement à répondre à ce défi.
Sur ce sujet, il faut regarder les choses en face, pourquoi
avons-nous cette crise politique européenne et en particulier italienne ? Parce
qu’il n’y a pas eu de solidarité européenne. Pourquoi avons-nous eu une crise
politique en Grèce naguère ? Parce qu’il n’y avait pas eu de solidarité
européenne. C’est pour ça que j’ai toujours lié la solidarité européenne avec
une vraie politique de souveraineté et donc ce qui arrive en Italie, nous
l’avons produit politiquement par notre absence de solidarité. Est-ce que cela
excuse les discours xénophobes, les facilités ? Je ne le crois pas et je crois
que d’ailleurs ces mêmes xénophobes n’apportent aucune solution au mal qu’ils
dénoncent. Parce que, qu’ils aillent chercher la solidarité de ceux dont ils
veulent se séparer, grand bien leur fasse, ça ne marche pas souvent, et
d’ailleurs tous ceux qui portent une voix nationaliste ou unilatérale s’entendent
très bien pour dénoncer l’Europe, s’entendent rarement pour trouver les
solutions communes, y compris pour eux-mêmes. Les axes dont on nous parle
n’apportent aucune solution, aucune.
Et donc sur ce sujet, je crois que la France, avec les
partenaires constructifs et la Commission européenne, doit mettre en place,
contribuer à mettre en place un dispositif pérenne, respectueux des principes
humanitaires et du droit solidaire et efficace. Ce qui veut dire que nous ne
devons, ni ne pouvons sortir du droit d’asile tel que nous l’avons pensé.
J’écoute chaque jour les discours qui disent «ne prenez pas les gens, ne les
acceptez pas, c’est de la faiblesse, de la bonne volonté», la France, et je
m’en félicite, fait partie des pays qui durant la crise politique de cet été a
accueilli le plus de réfugiés, 250, je vous invite à garder en mémoire la
proportion de ces chiffres, parce que sur la base des cinq missions de l’OFPRA
que nous avons organisées, nous les avons identifié comme relevant du droit
d’asile. Mais qui sont les responsables politiques, responsables
fondamentalement, lucides, qui peuvent nous expliquer qu’on devrait renoncer au
respect du droit d’asile en France et en Europe? Mais ce droit d’asile, il est
dans notre constitution, nous Français, il est dans tous nos textes européens.
La clé simplement, c’est d’accepter cette différenciation. Il y a ceux qui
relèvent du droit d’asile qu’il faut accueillir de manière inconditionnelle en
ayant la bonne organisation, avec l’autre rive de la Méditerranée et avec le
reste de l’Afrique et il y a ensuite une politique de migration à construire au
niveau européen avec l’Afrique pour éviter, réduire, maitrise les flux
migratoires liés à des migrations économiques et organiser un retour beaucoup
plus efficace à ces derniers.
(…)
Une puissance économique et commerciale à travers une zone
euro plus forte, une défense de nos intérêts stratégiques et commerciaux, une
indépendance financière avec des mécanismes que nous devons proposer, et c’est
la demande que nous avons faite à la Commission, pour asseoir l’autonomie
financière de l’Europe, et mettre enfin fin à l’extraterritorialité de
certaines décisions financières et monétaires.
Une puissance économique et commerciale qui construira la
convergence fiscale et sociale en son sein. Je veux une Europe qui soit
puissance numérique, et de l’intelligence artificielle, à travers les
initiatives que nous avons commencé à prendre, d’un fonds pour les innovations
de rupture, d’un vrai marché unique du digital, d’une taxation juste des
acteurs du numérique. Une Europe puissance écologique, alimentaire, et
sanitaire, qui permette partout en Europe de garantir les mêmes droits d’accès
à une nourriture saine et à un environnement plus sain.
Cette vision-là, nous la portons; la mener seuls au milieu
d’autres acteurs européens qui ne la suivent pas est impossible, c’est au
niveau européen que nous devons mener, et que nous mènerons jusqu’à son terme
le combat pour la fin du glyphosate, que la France a initié, je le rappelle, et
sans la France, c’était quinze ans d’autorisation qui étaient à nouveau
octroyés au glyphosate partout en Europe, mais également pour un prix unique du
carbone, pour une vraie souveraineté énergétique, pour une vraie stratégie du
renouvelable.
Je crois à cette vision d’une Europe où à l’heure des choix
qui est le nôtre, il y a la possibilité pour un humanisme progressiste, en
Europe, je crois qu’il y a la possibilité pour un chemin qui permettra de faire
pleinement percevoir à nos concitoyens que l’Europe, sur nombre de sujets qui
les inquiètent n’est pas simplement une partie de la réponse, mais le cœur de
notre autonomie stratégique, le cœur de la réponse que nous pouvons apporter à
nos peuples, et vis-à-vis de nos partenaires.
Nous devons écrire et raconter l’histoire de l’Europe que
nous voulons, en démontrer les résultats concrets, afin de convaincre nos
concitoyens que la voie de la coopération en Europe, dans le monde, est la
seule qui puisse conduire à des relations de confiance mutuelle dans l’intérêt
de la France.
- Il y a 40 ans, quasiment jour pour jour, Soljenitsyne
prononçait à Harvard un très grand discours qu’on a appelé après le Déclin du
courage, et il disait déjà à peu près tout de ce que je viens de décrire, sur
la fragilité du monde occidental qu’il avait pourtant découvert et qui était
perçu comme le lieu de toutes les promesses. Ce que nous devons enrayer
aujourd’hui, c‘est précisément le déclin du courage.
Et donc pour y faire face, notre vocation est partout, et
c’est ce que j’attends de vous, d’être une puissance médiatrice, une puissance
diplomatique, militaire, culturelle, éducative, nationale et européenne, et
d’être toujours médiatrice, médiatrice, ça veut dire que la France ne renonce
jamais à porter sa voix, mais qu’elle cherche toujours à construire des
alliances sur cette base, ça n’est pas une puissance de compromis, ça n’est pas
une puissance médiane, c’est une puissance de médiation, celle qui justement
cherche à bâtir cet ordre international qui, seul, je le crois très
profondément, nous permettra de rendre un peu plus humaine et humaniste, la
mondialisation qui est la nôtre.
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