Les adversaires de la démocratie républicaine n’aurait pu
rêver meilleur argument et objet de propagande: à la tête de la plus grande et
plus vieille démocratie du monde, celle où toutes les élections se sont
toujours tenues en lieu et en heure, se trouve un clown dangereux que l’on
savait menteur, incompétent, cupide, raciste, égotiste et malhonnête mais que
l’on découvre – selon bien des spécialistes, des observateurs et d’anciens
alliés – crétin (au sens littéral du terme), incapable, paranoïaque, inculte et
peut-être mentalement dangereux.
Quand un général américain fait une déclaration publique fracassante
indiquant que si Donald Trump lui donnait l’ordre de lancer des missiles
nucléaires, il n’obéirait pas, on peut raisonnablement se poser des questions
sur le personnage et ressentir une certaine angoisse.
Mais la question principale qui se pose, et pas seulement
aux Etats-Unis, c’est comment peut-on protéger la démocratie républicaine
contre l’élection d’un Trump.
Et, dans le cas où c’est impossible, cela remet-il en cause
l’existence même du régime démocratique?
Il faut rappeler des choses simples mais ô combien
essentielles.
D’abord, la démocratie est un régime fragile, non pas parce
qu’elle n’est pas légitime mais parce qu’elle est constitutivement ouverte et
bienveillante, donc facilement attaquable par ses ennemis qui ne s’embarrassent
guère de principes à son encontre.
Ensuite, pour qu’elle fonctionne, elle a besoin de
rationalité tout en canalisant les passions destructives partisanes et
clientélistes attisées par l’unique recherche d’un intérêt égoïste et
égocentrique.
En conséquence, un gouvernement démocratique et républicain
doit être humaniste, équilibré, honnête, responsable, digne, respectueux,
protecteur de la minorité et doit s’appuyer sur des citoyens qui reconnaissent
et adhèrent à ces valeurs.
Or, avec Trump, ses soutiens et ses supporteurs, c’est tout
le contraire.
Ils ne remplissent aucun de ces critères même ad minima.
Pire, ils sont prêts à jeter aux orties toutes leurs
croyances (comme les évangélistes qui n’ont plus que faire des préceptes
défendus par leur religion), pour garder le pouvoir et l’utiliser à leur guise.
On rappellera également qu’un des objectifs affichés de
Donald Trump est de dérégler complètement l’action gouvernementale pour la
rendre inefficace, le tout dans la haine incommensurable et totale vis-à-vis de
son prédécesseur, Barack Obama.
Plus le mandat du président américain avance, plus les
dégâts sont nombreux pour la démocratie.
Du coup, il faut bien se demander si un régime qui permet
d’être détruit légalement de l’intérieur par un de ses ennemis affichés doit
être défendu ou devons-nous nous résoudre à déclarer que la démocratie
républicaine n’a plus beaucoup de présent et aucun avenir.
Ses tares ne sont pas nouvelles et nombre de penseurs et de
philosophes les ont pointé sans relâche depuis des siècles, même ceux qui la
défendent.
Néanmoins, dans une vision dynamique et progressiste,
beaucoup d’entre eux estimaient jusqu’à maintenant que l’évolution démocratique
était inéluctable car elle suivait celle d’une progression du niveau de vie et,
surtout, du niveau intellectuel des populations.
Or, la montée constante des populismes démagogiques ces
dernières années dans l’ensemble des pays démocratiques semblent indiquer le
contraire.
N’avons-nous pas vu la démocratie et la république trop
belles, trop fortes, trop «incontournables»?
En émancipant l’individu, tâche première d’une démocratie,
sans lui inculquer assez les notions de responsabilité et de respect, n’a-t-on
pas creusé la tombe même de ce régime?
Le constat actuel de l’existence d’une autonomie
irresponsable, irrespectueuse, égoïste, égocentrique et assistée de l’individu
partout dans le monde et plus précisément dans les démocraties ne montre-t-il
pas que tout espoir est vain de construire une société, humaniste, libre, égale,
fraternelle et respectueuse?
Toutes ces interrogations sont légitimes et il serait
dangereux des les balayer d’un revers de main.
Heureusement, nous n’avons pas encore atteint le point de
non-retour.
Oh, il n’est pas si éloigné que cela mais nous avons encore
un peu de temps afin d’éviter le pire, un peu comme pour le changement climatique.
Car, ne nous berçons pas de belles illusions, les forces
anti-démocratiques et anti-républicaines sont puissamment implantées et sont en
marche.
De multiples sondages montrent que beaucoup de citoyens sont
prêts à s’y rallier, incapables de réfléchir à ce qu’ils ont et ce qu’ils
perdraient en cas de disparition de la démocratie républicaine.
Ce qui permet de garder l’optimisme, c’est que dans le cas
emblématique de Trump aux Etats-Unis, celui-ci a gagné la présidentielle de
2016 sans le vote populaire et que si l’élection avait lieu aujourd’hui, il le
perdrait à nouveau.
Rappelons qu’il l’a emporté parce qu’il a bénéficié, à la
fois, d’un système électoral injuste, de l’abstention d’une partie de
l’électorat démocrate chauffé à blanc contre Hillary Clinton par Bernie Sanders
et par l’adoption de lois iniques dans les Etats dirigés par le Parti
républicain et qui empêche une bonne partie de l’électorat favorable au Parti
démocrate d’aller voter.
Mais que l’on ne s’y méprenne pas ici sur les enjeux par
rapport à tous les doutes qui nous assaillent et les craintes qui nous
étreignent.
Il se peut que les peuples ne méritent pas la démocratie
républicaine (car, oui, celle-ci se mérite).
Mais cela ne signifie pas que ce ne soit pas le meilleur
système, voire le système «naturel» car il est le seul à garantir le plus de
liberté possible à l’individu dans le respect de l’autre.
De ce point de vue, la démocratie républicaine ne peut être
à la merci d’une décision de la majorité, ni même de la totalité de la population
car personne ne peut décider de supprimer la liberté de l’autre ou des
générations à venir.
Alors, la tâche de tous les démocrates républicains, dont
les centristes, est de travailler sans relâche à ce que la population mondiale
mérite cette démocratie, en l’aidant à prendre conscience que trois concepts
sont indépassables pour la vie bonne, trois concepts que, nous Français, avons
mis au fronton de tous nos édifices publiques: liberté, égalité, fraternité
auquel nous devons ajouter respect.
L’action doit toucher d’abord tout le système de
transmission du savoir (école et information).
De ce point de vue, on ne peut que se féliciter que celui-ci
soit une priorité d’Emmanuel Macron.
Mais nous devons également rendre cette société plus
équilibrée, plus juste et faire de tout ceux qui y vivent des gardiens
responsables.
Enfin, pour garder cet optimisme que certains qualifieront
de béat, réjouissons-nous que le magazine américain Time n’ait finalement pas
nommé Trump comme sa «personne de l’année».
Non seulement celui-ci s’était vanté un peu vite d’avoir été
choisi puis, devant la réaction indignée de la rédaction du magazine, avait
insulté ce dernier en affirmant ne plus vouloir cette distinction même si elle
lui était finalement attribuée.
En faisant le choix de récompenser les femmes agressées
sexuellement et qui ont rompu le silence cette année, Time a adressé un
formidable pied-de-nez à ce populiste démagogue doublé d’un prédateur sexuel
qui entrait dans les loges des jeunes filles concourant à «Miss USA» sans
frapper et qui déclarait que la bonne technique de drague était d’«empoigner la
chatte» de femmes tout en reconnaissant l’avoir fait (des femmes ont également
témoigné en ce sens).
D’autant que le bonhomme déclare désormais que tout cela est
mensonger et que ses propos enregistrés à ce sujet étaient faux alors même que
celui à qui il les a tenus dit le contraire et que l’enregistrement est bien
authentique…
Oui, la décision de Time est un acte de résistance que tout
démocrate se doit de saluer.