Emmanuel Macron & Alain Juppé |
Selon la radio RTL, Emmanuel Macron et Alain Juppé ont
déjeuné plusieurs fois en tête à tête, la dernière fois à l’Elysée voici trois
semaines.
Selon le quotidien Le Figaro, c’est au cours de celui-ci que
Macron a évoqué les élections européennes et sa volonté de réunir les progressistes
pro-européens sur une même liste, idée qui aurait séduit Juppé et qu’il a
reprise à son compte quelques jours plus tard devant les journalistes.
Quant à l’hebdomadaire Le Point, il rend compte d’un
petit-déjeuner au Sénat entre le maire de Bordeaux et une vingtaine de ses
fidèles afin «d’échanger sur la forme que pourrait prendre un éventuel
ralliement» au président de la république.
Mais, pour paraphraser Juppé «nous n’en sommes pas encore
là!»
Néanmoins, la convergence politique entre les deux hommes,
tous deux positionnés sur l’axe central (réunissant humanistes progressistes de
droite, de gauche et du Centre) est évidente sur la politique étrangère, sur
l’éducation, sur l’ensemble de la politique étrangère, notamment, même s’il ne
faut pas évacuer les différences ou les minimiser.
Les propos d’Alain Juppé sur la création d’un «grand
mouvement central pro-européen» pour les prochaines élections européennes en
sont la preuve, surtout que si l’on est capable de s’allier sur une question
aussi importante que l’avenir et l’approfondissement de l’Union européenne,
c’est que l’on partage nombre de positions politiques.
Aujourd’hui, devant la droitisation de LR avec la probable
direction du parti qui va échoir à un Laurent Wauquiez qui chasse sur les terres
de la droite radicale et extrémiste, les juppéistes ont le choix entre le
soutien critique à Emmanuel Macron ou dans une alliance plus structurée qui
feraient d’eux des membres de la majorité présidentielle.
Il ne faut pas oublier qu’Edouard Philippe, le premier
ministre, est un proche d’Alain Juppé et que les deux hommes n’ont pas rompu
depuis l’installation du premier nommé à Matignon, bien au contraire, même si
le second fait bien la distinction entre lui et l’ancien maire du Havre.
Pour les juppéistes, le mieux serait évidemment de créer un
parti de droite libérale et de centre-droit, une sorte d’UMP bis mais
débarrassée de son aile la plus droitière, celle qui, depuis des années, lorgne
vers le FN et une alliance électorale avec l’extrême-droite.
Ainsi, selon les propos d’Alain Juppé, «Les uns considèrent
qu'en s'ouvrant au centre, on ouvre la voie au Front national, je ne le crois
pas. (…) Dans tous les pays où la droite se durcit, l'extrême droite monte.
C'est ce qui s'est passé en Autriche, c'est ce qui se passe en Pologne
aujourd'hui».
Mais Juppé et ses amis ne veulent sans doute pas créer un
groupuscule comme peut l’être aujourd’hui Les constructifs autour de Thierry
Solère et Franck Riester, voire un petit parti sans grande influence telle l’UDI
ou même le Mouvement démocrate avant l’heureuse surprise des élections de 2017.
C’est donc dans un rassemblement assez large qu’ils voient
la constitution d’une formation qui pourrait peser sur la vie politique
française et reconstruire la droite réformiste et humaniste tout en jouant la
carte du soutien critique au pouvoir en place.
Celle-ci permettrait en outre la continuation de la
recomposition du paysage politique avec, après la création de LREM positionnée
au centre de l’axe central, l’aggiornamento de cette droite qui fait partie
idéologiquement de ce dernier, en attendant un même mouvement du côté de la gauche
social-libérale (celle-ci étant trop en miette et en déshérence actuellement
pour s’atteler à cette tâche avec un Manuel Valls très isolé).
Toujours est-il que la prochaine élection du président de LR
sera sans doute la date pivot pour que les juppéistes se mettent en route.
Comme le dit au Point Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin
et fidèle du marie de Bordeaux, «On a fait le constat que la recomposition
politique était loin d'être achevée».
De son côté, Dominique Bussereau, président du conseil
départemental de la Charente-Maritime a rappelé que «Nous avons fait le point
sur la situation des Républicains, celles des Constructifs, de l'UDI» mais qu'«il
n'y a pas eu de prise de position commune, car il y avait des gens de
différentes sensibilités autour de la table».
C’est sans doute cela qui posera problème pour que tous ces
juppéistes s’unissent dans une même formation.
Mais qu’ils le fassent ou non, tous devraient, ad minima,
opter pour une opposition constructive à Emmanuel Macron dans un premier temps.
Bien entendu, la création d’un parti de droite libérale et
de centre-droit serait, en même temps, un concurrent de LREM et son objectif
serait de s’étendre, à terme, au détriment de cette dernière, voire de
récupérer son aile droite si le «macronisme» n’était qu’éphémère.
Alain Juppé n’aurait-il pas déclaré que si Macron échouait,
Edouard Philippe aurait vocation à diriger son «grand mouvement central».
De son côté, le président de la république souhaite
évidemment un rapprochement avec cette droite libérale et progressiste qui
partage la philosophie de son programme de réformes.
Cela lui permettrait de montrer au pays qu’il existe un axe
central particulièrement fort pour le soutenir dans sa volonté de transformer
le pays et dont il serait le chef «naturel».
De même, sur le plan européen, la constitution d’un grand
mouvement central pour les élections au Parlement européen démontrerait, en cas
de succès, la volonté de la France d’approfondir l’Union européenne et de
prendre le leadership dans ce domaine.
Cependant, Emmanuel Macron ne mésestime certainement pas la
possibilité, avec un rapprochement, de créer un futur concurrent de LREM, voire
d’une personnalité issue de cette formation de droite libérale et progressiste
qui serait son principal adversaire lors de la prochain présidentielle.
On peut donc penser que si rapprochement il y a, il voudra l’encadrer
le plus possible.
In fine, une alliance en bonne et due forme entre Juppé et
Macron dépendra de la situation politique de la France, de l’Europe et du
monde.
S’il y a montée des périls, notamment celle des extrémistes
de tous bords, alors cette alliance a une forte chance de voir le jour.
Mais il y aussi la possibilité que Juppé et Macron
deviennent à terme concurrents pour s’approprier l’axe central au risque même
de détruire celui-ci.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC