L’élection présidentielle et les législatives ont vu une
victoire pour le moins inattendu du Centrisme, tel que le CREC le définit
depuis toujours, grâce à Emmanuel Macron.
Et, il y encore quelques jours, on aurait affirmé dans la
foulée qu’il s’agissait aussi d’une victoire des centristes.
Or ceci n’est plus du tout évident.
Pourtant, les chiffres semblent parler d’eux-mêmes.
Avant les élections, il y avait 29 députés centristes, tous
de l’UDI, quelques résidus de centristes élus à LR et aucun ministre.
Après les élections, on trouve 370 députés appartenant à des
partis «centristes», plusieurs ministres et… un Président de la république.
Ce sera sans doute difficile de faire mieux.
Néanmoins, les situations des diverses organisations
centristes sont contrastées.
- Le Mouvement démocrate
Avant: 0 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 42 députés, 2 ministres/secrétaire d’Etat
Le MoDem a vécu un double-paradoxe où, en voie d’extinction,
il s’est vu ensuite sur le toit du monde avant de redescendre, proche désormais
des enfers avec son poids politique en question.
Moribond, avec un candidat virtuel à la présidentielle qui
ne dépassait pas les 6% d’intentions de vote, sans aucun député et dans des
difficultés financières inextricables, le MoDem a joué end début d’année 2017
sa dernière carte avec un succès inespéré.
Après la défaite à la primaire de LR d’Alain Juppé qu’il
avait soutenu tout en le mettant souvent en difficultés par ses propos (souvent
exprès) et voyant qu’il ne pourrait pas être élu à l’Elysée ce qui pourrait le
faire sortir de la politique (et de l’Histoire…) par la petite porte, François
Bayrou a décidé de s’allier avec Emmanuel Macron.
De cette façon, il espérait sauver sa peau politique (et du
même coup son avenir) et celle de son parti qu’il avait pourtant si malmené
depuis sa formation du fait de ses ambitions présidentielles qui primaient sur
le développement de ce dernier.
Et, dans un premier temps, cela a été un succès que peu
aurait pu prévoir.
Non seulement, Emmanuel Macron était élu mais le Mouvement
démocrate pouvait faire élire une quarantaine de députés et installé deux de
ses membres au gouvernement dans des ministères importants (la Justice et les
Affaires européennes), même s’il a espéré en avoir plus.
Mais, comme d’habitude, François Bayrou en a fait trop.
Son hubris démesurée l’a amené à se croire l’égal du nouveau
président de la république et qu’il allait pouvoir être une sorte de
co-président, voire de vice-président à défaut d’avoir été nommé premier
ministre.
Quand il a vu que ce ne serait pas le cas, il a bombé le
torse jusqu’à ce que l’affaire des attachés parlementaires européens du MoDem
le rattrape et sorte à un moment où il semblait devenir incontournable.
Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est qu’il n’y a
aucune preuve de l’incrimination de Bayrou pour l’instant.
Mais l’homme a tellement accumulé d’ennemis et de haines
dans le monde politico-médiatique ces dernières années – ce qu’il a été
incapable de voir – qu’il a été emporté par une tourmente qui, au-delà de son
cas personnel, pose bien des questions sur le fonctionnement de la démocratie
et de la présomption d’innocence.
Toujours est-il que de ressuscité, le Mouvement démocrate
pourrait, malgré ses députés, ne pas se relever de cet épisode où son chef,
seule incarnation de son existence par sa propre volonté, risque sa carrière
politique.
- L’UDI
Avant: 28 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 18 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
L’UDI peut être satisfaite, elle a réussi à garder 18
députés quand des projections lui en donnaient 10.
Sauf qu’elle en avait 29 dans la précédente assemblée et que
les erreurs politiques et stratégiques ont décrédibilisé un parti qui n’avait
déjà pas bonne presse dans l’opinion et qui apparait aujourd’hui comme un
cartel d’opportunistes à la recherche d’une identité quelconque si cela lui
rapporte et prêts à toutes les compromissions pour obtenir une visibilité
médiatique.
Les dernières déclarations de son président, Jean-Christophe
Lagarde, où il se dit, à la fois, dans l’opposition, mais aussi dans le soutien
à Emmanuel Macron sont les derniers développements d’un comportement totalement
erratique de celui qui a été capable en quelques mois d’affirmer que l’UDI
aurait un candidat à la présidentielle (et de se faire élire président de l’UDI
sur cette promesse), puis qu’elle n’en aurait pas puis qu’elle pourrait
soutenir Emmanuel Macron puis qu’il n’était pas question qu’elle puisse
soutenir le même Macron puis qu’elle soutenait Alain Juppé puis qu’elle aurait
un candidat si Jean-Louis Borloo se présentait puis qu’elle soutenait François
Fillon puis qu’elle ne soutenait plus François Fillon puis qu’elle aurait un
candidat si Borloo voulait bien se présenter puis qu’elle soutenait François
Fillon.
Le tout dans un vide de projet et de programme d’une
confédération où les haines sont plus nombreuses que les amitiés.
- L’Alliance centriste
Avant: 3 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 1 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
L’Alliance centriste aurait pu espérer un meilleur
traitement avec le ralliement très rapide de son ancien président et fondateur,
Jean Arthuis, à Emmanuel Macron puis celui de la formation centriste qui, dans
la foulée, s’est fait exclure de l’UDI.
Son président, Philippe Folliot, peut estimer que le bilan
est bien mitigé.
Il faut dire que l’Alliance centriste ne représente pas
grand-chose et ne pouvait sans doute pas espérer beaucoup mieux pour ces
ralliements.
Sauf que le soutien indéfectible d’Arthuis à Macron a montré
aux autres centristes la voie à suivre et, de ce point de vue, a été important.
D’où certainement une certaine amertume d’Arthuis.
- La République en marche (En marche!)
Avant: 0 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 308 députés, 8 ministre/secrétaire d’Etat
La République en marche (En marche!) est un mouvement
hybride.
Positionné au Centre, il n’est pourtant pas composé
uniquement de centristes, loin s’en faut.
Sa victoire éclatante est une première dans la politique.
Reste maintenant à prouver qu’il peut être un parti de
gouvernement, ce qui n’est pas gagné d’avance.
En revanche, s’il y réussit tout en gardant son orientation
actuelle, alors il pourra être, avec Emmanuel Macron, le symbole de ce nouveau
centriste du XXI° siècle que l’on attendait en France et que l’on avait vu à l’œuvre
avec Barack Obama aux Etats-Unis, sauf que ce dernier n’avait pas eu dans le
Parti démocrate, une LREM américaine dévouée à son entière ambition politique.
Un petit mot sur les «centristes» de LR qui sont les grands
perdants avec l’UDI de cet épisode électoral.
Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la
plupart d’entre eux n’était plus centriste depuis longtemps.
Il y a d’autres questions qui se posent après cet épisode
électoral qui a bouleversé le paysage politique français.
Il en est, ainsi, des relations des centristes qui sont au
pouvoir.
On a vu que celles qui se sont établies entre En Marche! et
le Mouvement démocrate ne sont pas excellentes.
Les pressions de Bayrou sur le président de la république et
son parti, ses impairs et ses déclarations où ils se posaient en père de la
victoire ont plus qu’énervé les leaders macronistes.
De l’autre côté, le président du MoDem a peu d’estime pour
ceux-ci.
Si, aujourd’hui, il n’est pas (encore) question de
différends politiques qui remettraient en cause l’alliance entre les deux
formations, rien ne dit que cela sera le cas dans six mois, un an, avant ou
après, tellement Bayrou est imprévisible.
Mais les relations sont exécrables dès à présent entre les
personnalités centristes qui ont soutenu et rejoint Macron.
Ne parlons même pas des relations entre Corinne Lepage qui
est à l’origine des problèmes politico-judiciaires de Bayrou et du MoDem – elle
n’avait pas accepter les rodomontades du président du MoDem à propos des
investitures aux législatives sans oublier un ressentiment du temps où elle
faisait partie de ses proches – qui laissent augurer une atmosphère pour le
moins tendue entre eux.
Il y a aussi, pour les mêmes raisons, un casus belli entre
Jean Arthuis, aussi un ancien proche, et le même Bayrou qui tout fait pour empêcher les candidats
soutenus par l’ancien président de l’Alliance centriste de se présenter et de
mettre ses créatures à leur place.
Le tweet qu’Arthuis a envoyé après le deuxième tour des
législatives résume à lui seul l’état des relations entre les deux hommes: «La
République en Marche dispose d’une majorité à l’Assemblée, sans le MoDem.
Maintenant au travail»!
Et puis il y a les anciens UDI qui n’ont pas été très bien
servis et qui n’ont aucune sympathie pour le Mouvement démocrate et ses
dirigeants.
On compte ici également l’Alliance centriste qui, en tant
que parti politique, a également rejoint les rangs de la macronie en quittant
l’UDI.
Plus quelques personnalités, dont Jean-Louis Borloo ou
Jean-Paul Delevoye, qui l’ont fait titre personnel.
Tout ce petit monde sera difficile à gérer et à faire
travailler ensemble.
Et, avec le temps, comme d’habitude en politique, les fortes
et irréductibles inimitiés entre membres d’une même coalition se transformeront
en conflits plus ou moins ouverts.
De ce point de vue, Macron aura certainement du pain sur la
planche.
L’autre question essentielle est de savoir si les centristes
ralliés ne vont pas être absorbés petit à petit dans La République en marche.
Si le Mouvement démocrate a gardé son indépendance, il n’a
obtenu des députés que parce qu’il présentait ses candidats sous la bannière du
mouvement politique d’Emmanuel Macron.
D’un certain côté, cette intégration serait normale et, sans
doute, plus rationnelle.
Mais pour être légitime, il faudra que LREM démontre dans le
temps que son caractère centriste n’était pas de circonstance.
Pour conclure, le Centre connait une période faste mais qui
devrait également aboutir à une recomposition de l’espace centriste où, s’il y
aura des gagnants, il y aura aussi des perdants.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC