Dans cette rubrique, nous publions les
points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement
ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire
progresser la pensée centriste.
Jean-François Borrou est le pseudonyme
d’un journaliste proche des idées centristes et qui collabore épisodiquement à
cette rubrique. Ses propos sont les siens et non ceux du CREC.
|
Le Pen & Macron |
En tant que journaliste, c’est-à-dire celui qui dont la
mission est d’informer avec responsabilité parce qu’un citoyen qui est au
courant est celui qui peut exercer réellement sa citoyenneté, parce que la
liberté d’expression est un fondement indépassable de la démocratie et parce que
sans elle mon métier n’existerait pas, remplacé par celui de propagandiste,
comme c’est le cas dans nombre pays, c’est plutôt la consternation avant la
colère.
La consternation de voir que les médias français sont aussi
irresponsables que leurs homologues américains et qu’ils n’ont rien appris du
naufrage de ces derniers face à Donald Trump, lors de la campagne électorale de
2016.
Face à Marine Le Pen, ils ont exactement les mêmes pratiques
et comportements, donnant ainsi une crédibilité démocratique indue à une
candidate d’extrême-droite qui ne peut en avoir.
Je parle ici de crédibilité, ce qui n’est pas la même chose
que la légalité qui permet aujourd’hui l’existence du Front national et sa
liberté de parole, celles-ci lui étant reconnue même si cela pose un problème
majeur du fonctionnement des régimes démocratiques et républicains.
Reste que c’est une autre histoire, sans doute fondamentale
et qu’il faudra un jour traiter et dont la problématique se résume à cette contradiction
majeure: comment la démocratie peut-elle donner la liberté de dire et d’agir à
ceux qui veulent la détruire, donc à détruire la liberté, faisant donc en sorte
de permettre à la liberté de détruire la liberté…
Dans l’Histoire, nombre de régimes totalitaires et
dictatoriaux sont arrivés au pouvoir de la sorte.
Rappelons en l’espèce cette règle fort simple: il y a besoin
que d’un seul individu sur terre qui veut sa liberté pour que tout régime liberticide
et totalitaire que défendent les extrémistes n’ait aucune légitimité.
Car ce n’est pas la loi de la majorité qui prime mais bien
le respect des droits de la minorité, fondement indépassable de la démocratie.
Mais revenons plus prosaïquement à cette élection et à la faute
des médias.
D’abord, par cette sorte d’égalité entre les deux candidats,
Macron et Le Pen – je ne parle pas ici de l’égalité de temps de parole qui est
contenue dans la loi –, c’est-à-dire que, par exemple, les propos mensongers et
irresponsables de Le Pen sont traités de la même façon que de simples faits et
réalités cités par Macron.
C’est encore pire lorsque, face aux mensonges de Le Pen, ils
mettent la réalité en balance comme s’il s’agissait de deux interprétations
possibles de celle-ci.
C’est derrière l’équité entre les candidats que les journalistes
se retranchent pour défendre cette drôle de manière d’agir qui est d’accepter
le mensonge au nom de la justice…
C’est exactement grâce à cette supercherie que Trump a pu
débiter autant de «fake news» pendant sa campagne et qu’il a continué depuis le
premier jour où il s’est installé à la Maison blanche.
On pensait la leçon retenue, et bien, pas du tout!
Ensuite en jouant le jeu peu ragoûtant du sensationnalisme,
du buzz et du faux suspens.
Ainsi, comment une chaine comme BFMTV ou un journal comme le
JDD peuvent-ils titrer dimanche 30 avril que rien n’est joué (et ils ne sont
pas les seuls) alors que les seules mesures qu’ils ont pour l’affirmer, sont
des sondages qui donnent Macron à 60% des intentions de vote?!
Peut-être qu’in fine, Emmanuel Macron sera battu mais au
moment où ces médias ont fait leur choux gras de cette pseudo-incertitude, ils
débitent un énorme mensonge.
Dès lors, il s’agit rien de moins que de faire du racolage
pour augmenter son taux d’audience ou son tirage, c’est-à-dire pour gagner plus
d’argent sur le dos de la vérité.
C’est exactement grâce à ce manquement grave de la déontologie
que Trump a pu exister.
En s’appuyant sur cette couverture sensationnaliste des
médias sans lien avec ce qui se passait réellement, cela lui a permis d’être
constamment dans le salon des Américains avec cette idée qu’il pouvait concrètement
devenir le président des Etats-Unis alors qu’aucun élément ne le corroborait
(rappelons une énième fois qu’Hillary Clinton a gagné le suffrage universel et
que Trump a remporté l’élection grâce au système électoral et que cette
victoire était imprévisible par les médias et les analystes malgré ce que
disent de manière éhontée certains d’entre eux).
Ce n’est pas le fait de rapporter les mensonges de Le Pen
qui est grave mais de leur donner la légitimité d’une réalité en ne les
contredisant pas systématiquement.
Bien entendu, il est fort possible que des médias au niveau
de leur direction ou de leur rédaction, aient choisi Le Pen contre Macron, ceci
pouvant expliquer cela dans certains cas.
Ainsi, quand on en voit certains renvoyer dos à dos Macron
et Le Pen plus ou moins subtilement, on comprend que les valeurs de la
démocratie ne sont pas les leurs.
Mais, ici, je voulais parler de ce comportement
journalistique irresponsable d’une presse démocratique pas d’une prise de position
partisane.
Comme l’expliquait Théophraste Renaudot, le «créateur» de la
presse en France au XVII° siècle, «La Gazette (son journal, NDLR) ne ment pas,
même quand elle rapporte quelque nouvelle fausse qui lui a été donnée pour
véritable. Il n’y a donc que le seul mensonge qu’elle controuverait à dessein
qui la puisse rendre digne de ce blâme».
Et il ajoutait que le journaliste doit «éclaircir ce qui est
obscur» et que si «un grand nombre de nouvelles courent sur la place», la
presse doit «les vérifier et rechercher la vérité».
Rien a changé depuis cette époque où existaient déjà les
falsificateurs de la réalité face à ceux qui voulaient faire un travail honnête
et digne, les seuls qui ont l’honneur d’être appelés journalistes.
Jean-François Borrou