Emmanuel Macron & Alain Juppé |
On peut supposer que si Alain Juppé avait été candidat et qu’il
était arrivé en tête du premier tour, comme les sondages le lui prédisaient
unanimement, Emmanuel Macron aurait écrit le texte ci-dessous pour le soutenir
face au Front national et intitulé «NON!».
Toute personnalité politique d’une envergure certaine qui
défend la démocratie républicaine devrait adhérer à cet appel qui est d’une
grande dignité et d’une grande responsabilité.
Car, n’oublions pas que pour qu’il y ait débat démocratique,
c’est-à-dire que les idées et les projets s’affrontent, il faut qu’il y ait une
démocratie.
Cet appel à soutenir le candidat d’En marche! démontre de
manière évidente la proximité des valeurs entre Juppé et Macron qui faisait des
deux hommes des candidats centro-compatibles pour cette présidentielle comme
nous l’avons écrit ici.
Mais elle démontre de manière encore plus profonde, ce qui
unit les hommes et les femmes qui défendent la démocratie républicaine face au
danger de l’extrémisme, du populisme et de la démagogie, incarnés ici par
Marine Le Pen.
- Voici le texte d’Alain Juppé qui est celui d’un démocrate
courageux et aux fortes convictions:
NON!
La France court au désastre.
Ce qui paraissait impossible il y a peu de temps encore n’est
plus aujourd’hui improbable: Mme Le Pen peut devenir la Présidente de la
République française; à tout le moins le score du Front National au deuxième
tour peut dépasser la barre des 40%, voire des 45%, ce qui serait déjà un coup
de tonnerre politique.
La trahison de N. Dupont-Aignan, l’attitude ambigüe de J.L.
Mélenchon, l’effondrement du PS, les finasseries de certains de mes propres «amis»
politiques ajoutent à la confusion générale sur laquelle prospère le FN.
La victoire de l’extrême-droite en France constituerait un
séisme géopolitique. L’Union européenne qui peut résister au Brexit, et même en
tirer profit, ne survivrait pas à un «Frexit». Je ne sous-estime pas le
désamour de nos concitoyens pour l’Europe; je mesure l’ampleur des changements
qui seront nécessaires pour la remettre sur la bonne voie. Mais liquider la
construction européenne que nous avons patiemment édifiée serait une
aberration. Car l’Europe a réussi. Elle nous a apporté 70 ans de paix, ce que
notre continent n’avait pas connu depuis des siècles. Elle est aujourd’hui un
espace de liberté et de prospérité comme il en existe peu au monde. Je
comprends que ces affirmations choquent nos concitoyens qui vivent dans le
chômage, la précarité, la pauvreté. Mais, au prix de réformes profondes,
l’Europe peut nous aider à en sortir. Ce n’est pas sans raison qu’elle attire
de si puissants flux migratoires. C’est en soi un problème qu’il faut traiter
car nous ne pouvons pas accueillir «toute la misère du monde». Mais c’est la
preuve d’une réussite. Comparons-nous!
Certains invoquent les mânes du Général de Gaulle pour
conforter leur europhobie. Quelle falsification historique! C’est De Gaulle qui
a voulu nous faire entrer dans la Communauté européenne en 1958, en activant le
traité de Rome qui n’était encore qu’un papier; c’est De Gaulle qui a imposé la
Politique Agricole Commune; c’est De Gaulle qui a fait de l’entente
franco-allemande la pierre angulaire de la construction européenne et du
redressement français. Je suis gaulliste et européen et j’en suis fier!
La dislocation de l’Union européenne serait aussi une menace
pour notre sécurité collective, pour l’Alliance atlantique déjà fragilisée par
les déclarations contradictoires de la nouvelle administration américaine, et
méthodiquement sapée par la diplomatie russe qui ne fait pas mystère de sa
volonté de revenir au monde d’avant. Le monde sans l’Union européenne perdrait
encore un peu de sa stabilité, en un temps où le mot de «guerre» refleurit dans
certains discours.
Séisme géopolitique, désastre économique aussi. L’abandon de
l’euro qui nous a si bien protégés dans les tempêtes récentes et qui nous
garantit des taux d’intérêt historiquement bas serait une faute majeure, à
laquelle d’ailleurs, quel que soit leur vote, la majorité des Français n’adhère
pas. Tout le monde, y compris le parti de Mme Le Pen, s’accorde à prévoir une
dévaluation immédiate du franc FN de l’ordre de 20 à 30%. Nos dettes et
notamment celle de l’Etat seraient immédiatement augmentées d’autant. On nous
dit que nos exportations en profiteraient; peut-être à terme si notre appareil
productif répond à la demande internationale; ce qui est sûr, c’est que nos
importations seraient mécaniquement renchéries de 20 à 30%, à commencer par le
pétrole, d’où la hausse des prix, la baisse du pouvoir d’achat dont
souffriraient comme toujours les plus fragiles. Tout cela, tout le monde le
sait!
Défaite morale par dessus tout. Quelles que soient, ces
derniers temps, les tentatives de dédiabolisation des dirigeants du FN ou leurs
danses du ventre à l’intention de l’extrême-gauche (ce qui est là une constante
historique), la vérité est criante : l’histoire, l’idéologie, les hommes et les
femmes qui ont fondé ou animent ce parti, bref le monde FN est depuis toujours
aux antipodes du nôtre; son antigaullisme a été constant depuis 1940. De façon
récurrente, les déclarations de ses chefs nous rappellent que nos valeurs n’ont
rien à voir avec sa vulgate.
C’est pourquoi, Françaises, Français, je vous appelle
solennellement à résister à la tentation de tout casser, de «renverser la table»
comme hélas! vous y ont parfois incités certains responsables de ce qui fut un
grand parti de la droite et du centre, le parti qu’avec d’autres j’avais fondé.
Quand, dans une élection à deux candidats, on veut éliminer
l’un, il n’y a pas d’autre solution que de voter pour l’autre. L’abstention ou
le vote blanc, c’est un coup de pouce à Mme Le Pen.
Je ne vous demande pas pour autant d’adhérer à la personne
ou au programme d’E. Macron. Nous ne le connaissons pas bien. Sa «nouveauté»
séduit, son peu d’expérience des hautes responsabilités inquiète. Quant à son
programme, il reste flou et ambigu. Mais il faut choisir. Après le scrutin
présidentiel viendront d’autres échéances, à commencer par les élections
législatives. Nous devrons alors reconstruire une proposition politique, fondée
sur les valeurs de la droite et du centre que j’ai toujours portées. Une droite
humaniste qui conjugue liberté économique et justice sociale, une droite
résolument et lucidement européenne, une droite confiante dans l’avenir, dans
l’invention d’une croissance durable, dans la transformation numérique du
monde, dans la jeunesse du monde.
Je vous adjure donc, mes chers compatriotes, de voter pour
E. Macron parce qu’il est le seul le 7 mai à pouvoir éviter à la France le
malheur du FN.
Je sais que vous n’avez pas de conseil à recevoir, que vous
êtes majeurs et vaccinés, que les consignes des partis ou des dirigeants
politiques vous insupportent. Mais si ma parole peut encore avoir un peu de
crédit auprès de vous, et d’abord auprès des jeunes qui m’ont accompagné avec
tant de foi, ne la balayez pas d’un revers de main. Je ne demande rien, je
n’attends rien, je ne cherche pas à me placer. Je ne serai pas Président de la
République, je ne redeviendrai pas Premier Ministre, je ne serai plus ministre.
C’est aux 30-40 ans de prendre la relève. Ma seule ambition est de les y aider.
Je ne me lasserai donc pas de vous dire: Peuple de France,
ressaisis-toi, reste fidèle à ton génie, aie confiance.