Dans cette rubrique,
nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent
pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le
débat et de faire progresser la pensée centriste.
Emile
Servan-Schreiber, cogniticien, dirige la société de conseil Lumenogic, et le
marché prédictif Hypermind.com. Ses propos sont les siens
et non ceux du CREC.
Tout au long de la Ve République,
les gens d’esprit n’ont cessé de se moquer du Centre. On lui reproche d’être
mou, inconstant, sans conviction. On le traite de force d’appoint. Pourtant, en
2017, c’est un candidat centriste - se réclamant à la fois de la droite et de
la gauche - qui est le favori pour gagner l’élection présidentielle. Comment expliquer
cette percée historique?
C’est que nous sommes entrés dans
l’âge de l’intelligence collective, et que celle-ci s’exprime naturellement
mieux au centre que sur les bords. Les français en quête de solutions
intelligentes se tournent donc en masse vers le Centre.
Nombreux sont les candidats qui
dans cette campagne ont invoqué l’intelligence collective. Jean-Luc Mélenchon
fustigeait récemment place de la République «des hommes et des femmes providentiels,
des comités d’experts de toutes sortes qui, sans cesse, se substituent à
l’intelligence collective.» Dans la même ligne, Benoit Hamon postulait sur
Twitter que «l'intelligence collective est bien supérieure au prétendu génie
des hommes providentiels de la Ve République.» Même Marine Le Pen est d’accord,
prônant depuis 2011 l’usage généralisé du référendum «parce que je crois à
l’intelligence collective.» Mais le fait que l’extrême gauche et l’extrême
droite se voient chacune comme le meilleur vecteur de l’intelligence collective
suggère au contraire qu’aucune des deux n’y entend grand chose.
Qu’est-ce que l’intelligence
collective? Pour les scientifiques, c’est la capacité d’un groupe à être plus
intelligent que les individus les plus intelligents du groupe. C'est l'inverse
de la «pensée unique». Si le groupe est intelligent c’est parce que chacun y
contribue son savoir, forcément partiel et teinté de subjectivité. Mais quand
tout est mis sur la table, les savoirs s’accumulent et se complètent, tandis
que les biais individuels s’annulent les uns les autres. Reste une somme de
connaissances consolidée et débarrassée du brouillard subjectif. C’est
mathématique. Mais pour que cela fonctionne, quatre ingrédients sont
nécessaires : diversité des opinions, indépendance d'esprit, décentralisation
des sources et, enfin, un mécanisme efficace pour synthétiser l'information
récoltée. Si on respecte la recette, le groupe sera plus intelligent que «le
meilleur d’entre nous». Mais si un seul ingrédient vient à manquer, on sombre
facilement dans la sottise, ou pire.
On comprend alors pourquoi le
Centre politique est collectivement plus intelligent que la Droite ou la
Gauche. Étant issus intellectuellement des deux bords, mais pourtant résolus à
travailler ensemble, les centristes évacuent plus facilement les biais
idéologiques qui empoisonnent et qui aveuglent. Le manque de discipline
partisane, qui leur est souvent reproché, permet en fait à chacun de contribuer
au débat sans subir de pression pour se conformer à une pensée unique. Au
Centre, on ne fulmine pas contre les «traitres» qui osent suivre leurs
convictions plutôt que les ordres.
Diversité des points de vue et
indépendance d’esprit sont donc les deux premiers ingrédients de l’intelligence
collective qui ont toujours fait partie de l’ADN du Centre. Mais cela ne
suffisait pas jusqu’à présent, car sans personnalité charismatique pour
réaliser une synthèse, on ne pouvait que constater, comme François Bayrou, que
« rassembler les centristes, c’est comme conduire une brouette pleine de
grenouilles : elles sautent dans tous les sens ». Emmanuel Macron est le
troisième ingrédient de la recette, celui qui permet la synthèse créatrice de
valeur. Inutile de lui reprocher sa manie de considérer plusieurs idées apparemment
contradictoires «en même temps», car c’est justement là le secret de
l’intelligence; l’inverse, selon Freud, de la névrose, cette « incapacité
à tolérer l’ambiguïté».
Quand au dernier ingrédient, la
décentralisation des sources, on le retrouve dans la «grande marche», cette
récolte massive des opinions de français sur tout le territoire.
Le succès d’Emmanuel Macron vient
donc de ce qu’il a su révéler le potentiel de l’intelligence collective au
Centre. Il y est plus fort qu’ailleurs sur l’échiquier politique. En 2017, la
France a besoin de cette intelligence !
Emile Servan-Schreiber