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François Bayrou & Emmanuel Macron |
Quant il crée le Mouvement démocrate en 2007, au sortir
d’une présidentielle où il a obtenu 18,57% des voix et terminé en troisième
position, François Bayrou veut créer un grand mouvement central – et non centriste
– qui pourrait lui permettre de s’installer à l’Elysée en 2012.
C’est pourquoi il déclare alors qu’il n’est pas centriste
(il cherche même une nouvelle dénomination à son positionnement politique) et
qu’il veut accueillir au Mouvement démocrate tout le centre-gauche (dont l’aile
droite du PS) et tout le centre-droit (dont l’aile gauche de l’UMP, aujourd’hui
LR).
Le tout dans un mouvement où, rappelons-le, on adhère
surtout par internet (d’où le diminutif MoDem) qui doit s’appuyer
essentiellement sur la société civile en renouvelant les cadres politiques afin
de remplacer une «classe politique» rassie, discréditée et souvent corrompue.
Les premiers mois du MoDem sont très encourageants dans
cette optique même si les législatives qui suivent la présidentielle de 2007
sont un échec mais, il faut dire, le mouvement est tout nouveau, n’a pas eu le
temps de présenter des candidats partout et est victime de la scission qui
s’opère entre Bayrou et la plupart de ses anciens lieutenants qui s’en vont
créer le Nouveau centre en s’alliant avec l’UMP et Nicolas Sarkozy.
Déjà, la cassure entre le centriste qui ne veut pas choisir
entre la Gauche et la Droite – rappelons qu’il a refusé la main tendue de la
candidate du PS, Ségolène Royal, entre les deux tours et qu’il n’éprouve aucune
sympathie pour celui de l’UMP, Nicolas Sarkozy – et les centristes qui
affirment que leur alliée «naturelle» est la Droite.
Il faut ajouter à cela que François Bayrou considère l’UDF
d’alors (qu’il transforme en Mouvement démocrate) comme sa chose et qu’il y
exerce le pouvoir sans partage, s’appuyant essentiellement sur sa
collaboratrice la plus proche, Marielle de Sarnez, ce qui suscite beaucoup de
grincements de dents chez les élus du parti qui quittent le navire tout autant
contre la nouvelle ligne politique choisie par leur leader que par ses méthodes
de gouvernance.
Toujours est-il que le Nouveau centre ne va être que le
réceptacle, à la fois, des anti-Bayrou et de notables qui veulent sécuriser
leurs sièges d’élus et espèrent un poste gouvernemental (les plus emblématiques
de ceux-ci étant Hervé Morin, Maurice Leroy et François Sauvadet).
Le Mouvement démocrate se trouve donc dans une situation
dynamique mais difficile, partant de pratiquement zéro tout en étant l’héritier
d’un parti qui, quelques années auparavant, compter une centaine de députés…
Néanmoins, le handicap majeur fut sans doute l’incapacité de
François Bayrou de penser le MoDem autrement que comme le moyen de gagner la
présidentielle.
Car, au-delà de son ambition personnelle, il a très vite
estimé – à l’opposé de toute une tradition centriste qui est essentiellement
parlementariste – que, non seulement, la reine des élections est la
présidentielle dans le régime constitutionnel de la V° république mais qu’elle
organise toute la vie politique.
Comme il l’explique encore aujourd’hui, celui qui gagne la
présidentielle, gagne mécaniquement les législatives qui suivent, d’autant plus
que, désormais, le quinquennat a fait un package avec les deux moments clés de
la démocratie française.
Une vision partagée par Emmanuel Macron.
Dès lors, pas besoin d’avoir des élus en nombre, il suffit
d’avoir un mouvement populaire puissant et structuré qui, lors d’une
présidentielle, se mobilise, fait élire son candidat et ensuite remporte les
législatives qui suivent.
Sur le papier, une telle stratégie est cohérente.
Pour autant, dans la réalité, pour qu’elle fonctionne, il
faut que ce mouvement, en l’occurrence le MoDem, ait une véritable existence et
ne soit pas seulement un outil qui permet au chef d’exister entre deux
présidentielles et qui lui permet d’avoir des troupes à sa dévotion lors de la
course à l’Elysée, une fois tous les cinq ans.
Parce qu’il faut que les militants trouvent un intérêt à
militer et que les cadres trouvent un intérêt à s’investir autrement que pour
voir leur chef dans les médias et, éventuellement, à la tête du pays.
Et, qu’ensuite, ce mouvement rayonne dans le pays tout
entier, suscitant une adhésion de la part de la population qui lui permette
d’exister constamment dans le débat politique et avec nombre d’élus qui portent
son message et non une fois tous les cinq ans avec un seul porte-parole.
François Bayrou n’a pas réussi dans cette entreprise parce
qu’il n’a pas su allier le destin personnel d’un chef d’Etat qui est réel et la
nécessité d’animer un parti politique qui est un destin collectif et où il
faut, à la fois, déléguer et mettre les mains dans le cambouis.
Une erreur qu’Emmanuel Macron n’a pas faite à la création
d’En marche!, mouvement qu’il a, en plus, créé avant la présidentielle et non
après comme Bayrou avec le MoDem.
Dès lors, quand survient le phénomène Macron, Bayrou est
tout de suite déstabilisé.
D’une part parce qu’il voit très rapidement que celui-ci
s’attaque exactement au même espace politique que lui avec un retour immédiat,
notamment lorsque l’ancien ministre de l’Economie met sur pied En marche! qui
lui rappelle évidemment le projet initial du MoDem et son succès des premiers
mois.
D’autre part parce que ce concurrent – qu’il va voir très
vite comme un adversaire qui s’installe et qui fait le buzz médiatique, autre
stratégie qui allait de pair avec la création du MoDem –, est en train de
réussir son pari là où, lui-même s’est cassé les dents.
D’autant que depuis des mois, il a analysé la situation et
il sait que celle-ci est propice à une candidature victorieuse venue de
l’espace central.
En effet, François Hollande est largement discrédité à
gauche, Nicolas Sarkozy l’est tout autant à droite et la France n’est pas
encore prête à tomber dans le piège de Marine Le Pen.
Il sait dès lors, et il le dit, qu’un candidat central a des
chances, donc que lui-même a des chances, de gagner la présidentielle.
Sauf que les sondages ne sont pas excellents et, surtout,
que la candidature d’Alain Juppé à la primaire de LR est en train de capter
l’électorat dont il a besoin pour se faire élire.
Un Alain Juppé qu’il se doit, en plus, de soutenir en retour
de ce que le maire de Bordeaux a fait pour lui en le faisant élire à la mairie
de Pau alors qu’il était au fond du trou politiquement parlant.
Cependant, avant tout le monde – et peut-être par souhait
intime – il estime que Juppé a de grandes chances de perdre la primaire alors
même qu’il caracole en tête des baromètres d’opinions et dans les intentions de
vote à la présidentielle mais aussi pour cette explication entre les chefs de
la Droite.
Selon son analyse, Nicolas Sarkozy devrait, en tant
qu’ancien président de la république et chef moral de LR, s’imposer grâce à sa
légitimité.
Il va se tromper d’homme – Sarkozy était trop discrédité –
mais pas de ce rejet d’un candidat modéré par les militants de droite qui se
rangent alors de manière très surprenante derrière le mollasson Fillon qui se
présente comme un radical thatchérien prêt à en découdre avec tout le monde.
Sa victoire semble lui donner les clés de l’Elysée puisque
l’on ne voit pas quel candidat socialiste pourrait lui barrer la route, ni
d’ailleurs Marine Le Pen.
Quant à une candidature d’un centriste, elle semble
plafonner autour de 5% à 7% avec aucun signe d’une quelconque dynamique.
D’autant qu’Emmanuel Macron s’est lancé dans le grand bain
de la présidentielle après avoir fondé En marche!, un mouvement qui ressemble
comme deux gouttes d’eau au MoDem original (et non ce qu’il est devenu).
Bien sûr, il est derrière Fillon (d’ailleurs, à l’époque, ce
n’est pas lui qui semble le plus fragile pour le deuxième tour mais Le Pen).
Cependant, il obtient de bons sondages et peut espérer
représenter tout l’espace central, surtout que Hollande a annoncé qu’il ne se
représenterait pas.
La situation permet alors à Macron de récupérer les
électeurs du centre-gauche (ce qu’il fera encore plus facilement lorsque Hamon
battra Valls lors de la primaire du PS), un partie de ceux du centre-droit qui
ne veut pas d’un Fillon à la droite de la Droite, copain comme coquin avec les
anciens soutiens de Sarkozy, ainsi que ceux du Centre qui n’ont pas de candidat
officiel.
Et tout ceci va se précipiter lorsque l’on va apprendre que
François Fillon qui avait fait de l’honnêteté en politique un de ses chevaux de
bataille électoral, est accusé de détournements de fonds avant d’être mis en
examen (et qu’il refuse de se retirer alors même qu’il avait indiqué qu’une
telle situation ne pouvait aller de pair avec une candidature à l’Elysée).
S’est alors ouvert un boulevard pour Macron, celui que
Bayrou avait conceptualisé il y a déjà deux ans et sur lequel il voulait
s’engager pour enfin réaliser son rêve personnel et qui, de même, validait
toute son analyse politique.
On comprend la déception de François Bayrou qui a alors
tenté, dans un premier temps, de déstabiliser et de détruire la candidature
d’Emmanuel Macron avec des propos d’une grande dureté, sans doute cette
dernière étant d’autant plus forte que la proximité de deux hommes était déjà évidente.
C’est pourquoi, très rapidement, s’est posé le dilemme pour
le président du MoDem de se présenter (avec la quasi-certitude de faire un
mauvais score), de s’opposer à Macron pour un problème d’égo (ce que souhaitait
avec grand espoir Fillon) ou de reconnaître le leader d’En marche! comme son
héritier politique et, surtout, celui qui a trouvé la clé pour amener l’espace
central au pouvoir, bénéficiant, il est vrai, de circonstances exceptionnelles
que Bayrou n’a pu connaître, malheureusement pour lui.
En l’espèce, l’élimination de Juppé et de Valls, deux
candidats qui auraient parlé aux mêmes électeurs que lui, les problèmes de
justice de Fillon, l’absence de dynamique pour une candidature venue des partis
centristes, la catastrophique campagne de Hamon et les périls Le Pen et
Mélenchon.
Pour autant, toute élection est contingente de la situation
dans laquelle elle se déroule et ceux qui sont élus le sont en rapport de
celle-ci.
Il suffit de se rappeler les victoires de Jacques Chirac en 2002
et de François Hollande en 2012.
Avec tout ce que l’on vient de dire, l’évidence est qu’En
marche! est aujourd’hui le MoDem de 2007 (et on celui de 2012, répétons-le) et
que Macron est ce que Bayrou aurait voulu être (mais n’a jamais pu être),
c’est-à-dire le mouvement, pour le premier, et le candidat unique, pour le
second, de l’espace central.
Si ces similitudes ne prêtent pas à discussion, il faut tout
de même ajouter qu’Emmanuel Macron n’est pas François Bayrou et réciproquement.
Le premier vient d’une tradition social-libérale alors que
le second vient de la démocratie chrétienne.
Macron est véritablement un homme nouveau en politique alors
que Bayrou, à la création du MoDem, ne l’était pas ce qui était certainement un
handicap dans sa démarche de renouvellement où il devait expliquer en quoi il
en faisait partie alors qu’il était déjà dans la politique depuis plus de vingt
ans.
Enfin, Bayrou n’a jamais pu avoir les soutiens et les
ralliements que Macron a pour cette élection, ce qui l’a cantonné plus que son
«héritier» dans une case politique précise alors même qu’il faisait tout pour
s’en évader.
Pour autant, leur alliance fait sens et n’est aucunement de
circonstance.
Et dans une image à peine forcée, on peut dire que si Bayrou
avait été élu en 2007, il aurait été un précurseur français à Barack Obama
alors que si Macron est élu cette année, il sera un héritier du premier
président noir américain.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC