Aristote estimait que le meilleur comportement politique
était celui de la «médiocrité», c’est-à-dire, au sens littéral, celui médian,
dans la moyenne, du milieu, du «juste milieu» comme il l’appelait, celui qui
permettait une harmonie sociale dans le consensus et la paix.
Il pensait que c’était aussi la meilleure façon d’avoir une
vie personnelle équilibrée c’est-à-dire la plus heureuse possible.
Il ne pensait certainement pas au sens moderne et usuel de
médiocrité – qui concerne l’insuffisance et le manque de qualité de quelqu’un
ou quelque chose qui se trouve en-dessous de la moyenne qui manque d’élévation,
d’aptitudes, de talents et de capacités – qui signifie et s’applique tellement
bien à un grand nombre de centristes et, on l’a compris, pas parce qu’ils se
trouvent au milieu du spectre politique…
Parce que le Centre n’est justement pas ce lieu de la
médiocrité, de l’opportunisme et de l’absence d’idées, il est important de se
demander, à l’aube de la présidentielle qui peut s’en revendiquer ou le
représenter et qu’est-ce qu’il représente aujourd’hui politiquement.
L’espace centriste est constitué en France par de nombreux
partis.
Au centre-gauche, on trouve le Parti radical de gauche qui
est composé majoritairement de modérés même si l’on peut trouver quelques
bizarreries en son sein comme la candidature en 2002 de Christiane Taubira sous
ses couleurs, parti dont elle n’a jamais été membre, elle l’égérie de la gauche
de la Gauche! (Il faut dire qu’elle avait été, auparavant, proche de Bernard
Tapie, opportunisme quand tu nous tiens…)
Au centre-droit, il y a l’UDI qui, rappelons-le, est une
confédération.
A l’intérieur de celle-ci, on trouve Les centristes
(ex-Nouveau centre) qui est à la droite du centre-droit composé de
pro-sarkozistes et de pro-fillonistes, Force européenne démocrate qui se veut
démocrate-chrétienne, le Parti radical qui est ancré au centre-droit, parti qui
fut dirigé un temps par Jean-Louis Borloo le fondateur de l’UDI, et l’Alliance
centriste qui est plus proche du centre-centre.
Quelques micro-formations sont aussi membres de l’UDI mais
ne représentent pas grand-chose, même si les partis que l’on vient de citer ne
sont pas non plus très puissants.
Au centre du Centre, on trouve le Mouvement démocrate de
François Bayrou qui peut compter des centristes plus à droite et d’autres plus
à gauche mais qui regroupe ceux qui se disent uniquement centristes et surtout
des fidèles du maire de Pau.
On pourrait élargir la sphère de l’espace centriste à certains
membres du PS, notamment une partie de ceux qui se sont rangés derrière Manuel
Valls (dont beaucoup voteront Emmanuel Macron) et à certains membres de LR,
notamment ceux qui quittèrent l’UDF lors de la création de l’UMP et qui ont été
des soutiens d’Alain Juppé lors de la primaire du parti de droite.
Cet espace centriste se trouve inséré dans un axe central
qui s’est formé ces quatre dernières années devant les menaces venues des
extrêmes ainsi que de la radicalisation d’une partie de la Gauche et d’une
partie de la Droite.
Un axe central qui se veut le défenseur d’une démocratie
républicaine libérale progressiste et sociale.
Il est pro-européen, veut une mondialisation humaniste et
équilibrée, défend une société ouverte où la liberté est le moteur dans
l’égalité des chances et des opportunités, mettant en avant la méritocratie.
Son crédo est le changement par la réforme avec la recherche
du consensus le plus large pour adapter la société française au monde du XXI°
siècle.
Actuellement, cet axe central va de la droite réformiste et
progressiste (qui se trouve majoritairement à l’intérieur de LR) à cette même
gauche (qui se trouve majoritairement à l’intérieur du PS) en passant par le
Centre et le social-libéralisme progressiste incarné par Emmanuel Macron et
fondateur du mouvement En marche!
Pour le personnaliser, on peut dire que c’est un axe Juppé-Arthuis-Bayrou-Macron-Valls.
Malgré des convergences très fortes et des proximités qui
sont plus nombreuses que les divergences, cet axe n’est ni uni, ni allié et ne
représente donc pas encore une force politique en tant que telle.
Cependant, avec la candidature d’Emmanuel Macron, on assiste
à un début de commencement de fédération de ces courants puisque le candidat
d’En marche! réunit derrière lui des gens et des personnalités politiques qui
viennent de toutes les composantes de l’axe central.
Si Macron gagne la présidentielle, il faudra voir si cet axe
va devenir une réalité, c’est-à-dire une coalition majoritaire qui gouvernera
le pays pour les cinq prochaines années, voire s’il sera cet espace
«post-partisan», théorisé par Barack Obama (mais qu’il ne put jamais mettre en
place) où des alliances majoritaires de circonstances se noueront autour de
lois et de mesures avec un soutien par défaut d’un gouvernement minoritaire.
Passons maintenant à ce que représente l’espace centriste
dans la population.
Au niveau militant, les partis centristes,
traditionnellement, en ont peu mais il est faux de dire qu’il ne s’agit que de
notables à la recherche de postes électifs, même si cette catégorie est
présente cependant pas beaucoup plus que dans les partis de droite et de
gauche.
On trouve beaucoup de personnes venues des classes moyennes
ainsi que des jeunes plus qu’on ne le pense.
Au niveau électoral, les partis centristes représentent moins
de 10% des voix actuellement.
Le potentiel électoral du Centre est autour de 15% et peut
monter à 20%, ce qui n’en fait pas un courant dominant électoralement parlant.
Néanmoins, trois éléments peuvent expliquer cette base
électorale réduite.
La première est que beaucoup de gens qui sont modérés,
centraux voire centristes votent pour d’autres partis qui sont, selon eux, plus
à même de gouverner dans un réflexe de vote utile.
La deuxième est la très mauvaise image des partis centristes
qui sont souvent vus comme de simples cartels électoraux – ce qu’est, par
exemple, essentiellement l’UDI actuellement – qui sont près à toutes les
concessions, toutes les compromissions et toutes les alliances pour avoir le
plus d’élus possibles et de strapontins gouvernementaux.
La troisième est que, comme nous l’avons vu, l’espace
centriste est morcelé ce qui est une quasi-constance depuis qu’il existe et qui
n’incite pas à voter pour lui.
A cela deux raisons: la première, négative, est l’existence
de chamailleries continuelles et de haines tenaces entre des personnes sensées
réunir une majorité de Français autour d’une vision consensuelle de la
politique et de la vie en commun; la deuxième, positive, est l’individualisme
des centristes qui rechignent toujours à entrer dans un moule ou dans de vastes
organisations où ils craignent de n’être plus que des pions.
La marginalisation des centristes qui ont rejoint l’UMP en
2002 pour former un «grand parti de la Droite et du Centre» et dont certains
sont encore dans LR, montre qu’ils n’ont pas tort de se méfier des usines à gaz…
Pour autant, se réunir dans un grand parti uniquement
centriste aurait du sens et, il faut l’avouer, ce sont avant tout des rivalités
de personnes qui empêchent ce projet d’aboutir depuis maintenant au moins
quinze ans.
D’un certain côté, cette atomisation du Centre a un effet
parfois positif.
Puisque les centristes se trouvent un peu partout, ils
peuvent influer et influencer la vie politique quel que soit le gouvernement et
la majorité en place…
Ce morcellement centriste est néanmoins bien dommage parce
qu’au niveau des idées, tous les sondages le montrent, une majorité de Français
partagent celles du Centre et souvent plébiscitent les mesures qui en sont
issues.
On peut donc supposer que le Centre à une vocation
majoritaire même s’il en est bien loin pour l’instant.
D’autant que, comme il en a pris l’habitude depuis le début
de la V° République – et surtout depuis Pompidou –, les centristes soutiennent
des camps et des candidats à la présidentielle différents.
Ainsi, actuellement (car cela pourrait bouger avant le 23
avril…) pour cette présidentielle, le MoDem soutien Macron, une partie
importante de l’UDI soutien Fillon (et une partie non-négligeable, Macron), les
réformistes de droite soutiennent Fillon (et une petite partie, Macron, et une
autre, personne), les réformistes de gauche ainsi que le Parti radical de gauche
soutiennent Hamon (et une petite partie, Macron, et une autre, personne).
On peut penser que si Emmanuel Macron est élu, l’espace
centriste aura tendance à s’unir derrière lui en grande partie que ce soit au
début de son mandat ou au fil de celui-ci.
En revanche, si le vainqueur est François Fillon ou Benoit
Hamon, aucune réunion centriste n’est à prévoir.
Toujours est-il qu’il n’est pas possible, en voyant les
programmes radicaux de Fillon (droite) et de Benoit Hamon (gauche), de se dire
centriste tout en les soutenant.
C’est pourquoi, pour répondre, in fine, à la question de
savoir qui est réellement centriste à l’heure actuelle, on dira que ce sont
ceux qui sont derrière Macron – qui n’est pas un centriste mais qui est
totalement centro-compatible – voire qui n’ont pris partie pour aucun candidat
mais certainement pas ceux qui ont rejoint les candidats de LR et du PS.
Cela aurait été évidemment une autre histoire si ceux-ci
s’étaient appelés respectivement Alain Juppé et Manuel Valls.
Quant à savoir ce que le Centre représente réellement, les
deux élections – présidentielle et législative – nous donneront une indication
des plus utiles malgré l’absence d’unité chez les centristes et de candidat à
la présidentielle...
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC