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François Bayrou et Emmanuel Macron le 23 février |
L’alliance que
François Bayrou a proposé à Emmanuel Macron et que ce dernier a accepté
ressemble comme deux gouttes d’eau à celle que le président du Mouvement
démocrate avait scellé avec Alain Juppé.
Bien entendu, la
situation n’est pas totalement identique mais il convient de rappeler pour
beaucoup d’amnésiques ce qui s’est passé depuis que Juppé a décidé d’être candidat
à la candidature LR pour la présidentielle.
Dès l’annonce de
celle-ci, François Bayrou s’est immédiatement déclaré en sa faveur tout en
ajoutant qu’il était dubitatif sur la primaire organisée par la Droite et qu’il
avait à conseillé son ami bordelais de ne pas y participer, en vain.
Trois raisons
participaient à ce soutien.
La première était
que Bayrou devait une fière chandelle à Juppé qui, le sortant du fond du trou
où il se trouvait après la présidentielle de 2012, lui avait permis de devenir
maire de Pau et de revenir au premier plan de la vie politico-médiatique.
La deuxième était
que Juppé se présentait au nom de la droite humaniste, farouchement hostile à
l’extrême-droite mais aussi à la droite radicale et populiste incarnée alors
par Nicolas Sarkozy tout en jetant des ponts vers le Centre.
La troisième était
que François Bayrou n’était pas alors dans les conditions appropriées pour se
présenter lui-même une quatrième fois à la présidentielle – on se rappelle que
lors des élections municipales, il avait promis d’ailleurs de se dédier
entièrement à sa bonne ville de Pau – et qu’il n’entrevoyait pas de fenêtre
pour sa candidature dans la situation politique d’alors.
Mais les choses ont
évolué très vite.
D’abord, François
Bayrou a rapidement retrouvé sa place dans le monde politico-médiatique ce qui lui a permis de constater que les
médias étaient toujours aussi friands de ses propos en l’invitant à tour de bras,
lui redonnant une stature nationale.
Ensuite, il s’est
assez vite rendu compte que la situation politique évoluait à vitesse grand v et qu’une
candidature de l’axe central (allant de la droite humaniste jusqu’à la gauche
réformiste en passant par le Centre) avait, non seulement du sens, mais une
réelle opportunité d’être dans le peloton de tête en 2017.
Pour preuve, Alain
Juppé caracolait en tête de tous les sondages et autres baromètres de
popularité en s’étant approprié l’espace central – il se présentait même comme
un candidat central – tandis qu’Emmanuel Macron avec ses multiples
transgressions libérales au gouvernement, remportait un franc succès auprès de
l’opinion en se positionnant comme social-libéral et progressiste.
Dès lors, lui qui
avait toujours occupé l’espace central et qui défendait un libéralisme social
s’est de nouveau senti poussé des ailes présidentielles, surtout, s’est senti
légitime pour incarner ce mouvement puissant qui semblait naître autour d’une
candidature centrale.
C’est comme cela
qu’il faut comprendre les premières critiques qu’il adressa début 2016 à Juppé
et à son programme estimant qu’il allait travaillait afin que l’ancien premier
ministre de Jacques Chirac le fasse évoluer vers le Centre.
C’est aussi à ce
moment là qu’il commença à fortement douter en public que Juppé puisse
remporter la primaire, estimant que Nicolas Sarkozy était mieux placé parce qu’il
était le chef de la Droite.
Un Sarkozy dont il
a fait son ennemi intime depuis 2007 au même titre que François Hollande depuis
2012, celui qui lui claqua la porte au nez par une fin de non-recevoir pour
constituer une nouvelle majorité présidentielle incluant le MoDem.
Il a donc affirmé
que si Nicolas Sarkozy gagnait la primaire, il prendrait ses responsabilités
sans dire ce qu’elles étaient.
Mais personne ne
fut dupe et tout le monde comprit qu’il s’agissait d’une nouvelle candidature
présidentielle.
D’ailleurs, en
privé, il ne se privait pas de le dire quasiment ouvertement expliquant les
raisons qui pourraient le faire gagner.
D’autant qu’il
pensait alors que François Hollande se représenterait et que face aux deux
derniers présidents de la république largement discrédités et clivants aux yeux
de l’opinion publique ainsi que face à la menace Le Pen, il avait réellement
une chance de pouvoir se qualifier pour le second tour puis de l’emporter en
tant que candidat républicain contre l’extrême-droite.
Bien entendu, il
continuait à dire qu’il serait fidèle à Alain Juppé sauf si celui-ci virait à
droite toute en reprenant les arguments de campagne de Sarkozy.
Néanmoins, on peut
supposer qu’il serait demeuré fidèle au maire de Bordeaux si celui-ci avait
remporté la primaire LR.
Sauf que, plus
l’échéance de ce scrutin se rapprochait, plus François Bayrou prenait la parole
dans les médias pour critiquer l’ancrage très à droite de LR et évidemment la
personne de Nicolas Sarkozy, tenant des propos extrêmement durs à l’encontre de
ce dernier, choquant les sympathisants LR, ce qu’il ne pouvait évidemment
ignorer.
Tout ceci commença
sans surprise à énerver les dirigeants de LR ainsi que les amis de Nicolas
Sarkozy.
Ces derniers y
virent d’ailleurs un moyen efficace d’attaquer Alain Juppé en affirmant que
s’il était désigné comme candidat de LR, il serait l’otage de François Bayrou,
honni comme centriste par les sympathisants de la droite mais surtout comme un
judas qui a fait perdre Sarkozy en 2012 en ayant déclaré qu’il allait voter
pour François Hollande.
S’en suivit une
bataille médiatique qui commença à tourner au vinaigre pour Juppé qui demanda,
trop tard, à Bayrou de ne plus faire de déclarations assassines.
Ce qui est
troublant dans cette affaire c’est que le président du MoDem ne pouvait ignorer
comme tous les acteurs politiques que ses sorties faisaient plus de tort que de
bien à Juppé.
Jouait-il alors sa
propre carte en étant persuadé qu’il avait une opportunité certaine à se
présenter lui-même à la présidentielle?
Beaucoup le pensent
même s’il est difficile de l’affirmer comme une vérité.
Toujours est-il
qu’Alain Juppé a commencé à baisser dans les sondages, ce qui l’a conduit à
terminer en deuxième position derrière la surprise Fillon au premier tour de la
primaire LR et de se faire battre à plate couture au deuxième.
L’ancien premier
ministre de Nicolas Sarkozy s’était positionné de manière très opportuniste sur
le créneau de la droite radicale quand il plafonnait à moins de 10% des
intentions de vote et il est apparu pour les sympathisants comme un Sarkozy
plus acceptable (c’était avant le Pénélope Gate!), de plus comme un vrai homme
de droite et surtout pas otage du centriste Bayrou.
Ce dernier, un
temps désarçonné par cette victoire, déclara bien vite qu’il ne pouvait
soutenir la candidature de Fillon car son programme était dangereux pour la
France.
Mais, à l’opposé de
ce que beaucoup d’observateurs pensaient, il n’’en profita pas pour annoncer sa
candidature à l’Elysée.
Car il y avait
Emmanuel Macron.
D’abord jugé comme
quantité négligeable et bulle qui allait rapidement se dégonfler, Bayrou ne s’en
préoccupa guère tout en lui lançant des piques.
Puis, quand il s’avéra
que le phénomène Macron bénéficiait d’une réelle dynamique, le président du
MoDem tira sur lui à boulets rouges, l’insultant et tentant de le discréditer
sans toutefois y parvenir.
Tant de haine s’expliquait
parce que pendant que Bayrou soutenait Juppé, Macron, en deux temps trois
mouvements, lui avait raflé l’espace central.
Et sa dynamique
sondagière ainsi que médiatique en faisait désormais un des acteurs principaux
de la prochaine présidentielle au grand dam du président du MoDem qui plafonnait
à 8% d’intentions de vote dans les sondages sur la présidentielle même s’il
restait en haut des classements des baromètres d’opinion.
Car, pour François
Bayrou, Emmanuel Macron n’était qu’un vil usurpateur qui n’avait aucune
légitimité à incarner l’axe central.
D’ailleurs, il
était, à l’époque, bien plus agressif vis-à-vis de l’ancien ministre de l’économie
que les centristes de l’UDI qui proposèrent à ce dernier de les rejoindre.
Donc, Bayrou décida
d’attendre.
De fin décembre à
mi-février, il expliqua ainsi qu’il réfléchissait pour savoir s’il allait se
présenter.
En réalité, il
voulait d’abord savoir quel serait le candidat du PS.
Si cela avait été
Manuel Valls, ce dernier aurait été un concurrent direct d’Emmanuel Macron en
lui prenant des voix sur sa gauche et une candidature centriste aurait eu du
sens.
Mais c’est Benoit Hamon
qui fut désigné candidat socialiste, donc un homme de la gauche de la gauche,
peu dangereux pour Emmanuel Macron, surtout ne le privant d’aucun vote.
Tout se compliquait
donc pour Bayrou qui pensait encore que Macron ne tiendrait pas la distance.
Il crut qu’il avait
eu raison lorsqu’éclatèrent les polémiques sur les propos de Macron concernant
la colonisation et la manif pour tous.
Certains prédirent
un effondrement des intentions de vote du leader d’En marche! ce qui aurait enfin
permis la candidature de Bayrou.
Cependant, aucun
cataclysme ne frappa Macron.
Evidemment, le
président du MoDem aurait pu encore attendre un peu pour scruter un éventuel
bouleversement qui lui aurait ouvert la présidentielle mais il fallait qu’il se
détermine notamment pour jouer un rôle dans cette élection, voire après et
peut-être pour 2022.
Dès lors, il avait
trois choix.
Se présenter au
risque de se prendre une veste avec moins de 5% des voix et, surtout, de faire
perdre le candidat de l’axe central le mieux placé, Macron, ce qui aurait sans
doute signé sa sortie définitive de la vie politique nationale, sans pour
autant que des signaux apparaissent lui permettant d’y croire seulement un peu.
Ne pas se présenter
en jouant les sages au-dessus de la mêlée et en préparant 2022, jouant sur une
victoire de Fillon puis sur son échec lors de son quinquennat, sans donner de
consignes de vote, au risque d’apparaître comme un homme seul incapable de
tendre la main à Macron dont il partage beaucoup de points de vue et qui est en
position de gagner.
Ne pas se présenter
et soutenir Emmanuel Macron.
Si François Bayrou
a choisi cette dernière option, ce n’est évidemment pas par sympathie envers le
leader d’En marche! duquel il a dit beaucoup de mal mais parce qu’il ne peut
aller contre son propre électorat qui est séduit par celui-ci et pour ne pas
insulter l’avenir.
Bien sûr, on ne
peut enlever la dimension morale de cette décision face à une situation où il
faut barrer la route à l’extrême-droite et empêcher un homme soupçonné de
détournements de fonds publics de l’emporter au risque de ridiculiser la France
dans le monde et, avant tout, de provoquer une nouvelle cassure entre les
Français et leurs représentants politiques.
On comprend bien
que l’alliance proposée par Bayrou à Macron ne se fait pas dans la joie et la
bonne humeur mais dans la raison et le devoir.
Pour autant Macron
doit-il se réjouir d’une alliance avec Bayrou qu’il a été évidemment obligé
d’accepter tellement les termes généraux posés par le président du MoDem pour
la conclure ne lui posaient aucun problème et, surtout, parce qu’il ne pouvait
fâcher la partie centriste de son électorat en la refusant.
Le scénario positif
répond par l’affirmative avec la possibilité pour le leader d’En marche! de
récupérer une partie des 5% des intentions de vote qui se portaient encore sur
le président du MoDem dans les sondages, ces pourcents qui feront peut-être la
différence au premier tour pour terminer dans le duo de tête, de crédibiliser
encore un peu plus sa candidature puisqu’une personnalité politique de premier
plan le rejoint avec ses troupes et que cette alliance est capable de donner un
supplément de dynamisme à sa campagne au moment où elle était à un tournant.
Mais il y a un
scénario négatif.
Nous l’avons vu,
Bayrou joue depuis toujours avant tout son destin présidentiel – ce qui ne veut
pas dire qu’il joue contre la France – et il a fait perdre son précédent allié
en étant un repoussoir pour beaucoup des électeurs de ce dernier, deux éléments
qui pourraient plomber la candidature d’Emmanuel Macron.
Ainsi, dans
l’électorat d’Emmanuel Macron il y a des gens de droite qui se sont ralliés à
lui parce qu’il était «ailleurs» et non au centre et qu’il n’était pas Bayrou.
De même qu’il y a
des gens de gauche qui ont fait de même en pensant qu’il était toujours des
leurs et qu’il ne penchait pas autant que cela vers le Centre.
L’alliance avec
Bayrou risque de lui donner une image centriste ce qu’il ne veut pas du tout
parce qu’il sait que cela pourrait lui nuire auprès de ces deux électorats dont
il a absolument besoin pour passer le premier tour.
D’ailleurs, dans
son acceptation de l’alliance proposée par Bayrou, il n’a pas parlé de celle-ci
comme étant celle du Centre mais seulement de la décision d’un homme en sa
faveur dont il a seulement évoqué «aussi» son combat pour le Centre en France.
Quoi qu’il en soit,
à partir de maintenant, Macron va devoir montrer qu’il n’est pas phagocyté par
Bayrou et il va devoir gérer la parole du président du MoDem afin d’éviter que
celui-ci ne lui plombe sa campagne.
Le peut-il?
C’est évidemment
tout l’enjeu de ces prochaines semaines mais personne ne peut répondre très
exactement à cette interrogation ainsi qu’à celle de savoir si Bayrou va plus
détourner d’électeurs potentiels de Macron qu’il va lui en apporter.
De même, personne
ne sait si François Bayrou ne sera pas dans une démarche critique de la campagne
de Macron au moindre propos de ce dernier qu’il ne partagera pas.
Alexandre
Vatimbella
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