Le débat actuel entre tenants du conservatisme et ceux du
progressisme est intéressant à plus d’un titre parce qu’il oblige à aller au
fond de la problématique.
D’abord, évacuons cette évidence tarte à la crème: oui, chacun
de nous est à la fois un conservateur et un progressiste.
Nous voulons conserver certaines choses et en changer
d’autres.
Ainsi, un conservateur peut-être progressiste dans certains
domaines et un progressiste peut être conservateur dans d’autres.
Mais attention à ne pas faire de fausses interprétations.
Vouloir demeurer en vie ne fait pas de nous des
conservateurs.
Vouloir s’améliorer ne fait pas de nous des progressistes.
A l’inverse de certains auteurs à la courte vue ou au
dessein de confusion, tout ne peut donc pas être vue avec le seul prisme d’une
opposition conservation-progression, cependant tout ne peut pas se résumer, non
plus, à la complémentarité entre progression et conservation.
Le conservateur en politique n’est évidemment pas un
progressiste et vice versa.
Ensuite, si nous voyons bien ce que souhaite un
progressiste, aller de l’avant par rapport à la situation actuelle pour
l’améliorer, cela est nettement moins clair pour les conservateurs.
En effet, veulent-ils conserver l’ordre des choses actuel ou
veulent-ils revenir à un ordre ancien?
Et ces ordres actuel et ancien, quels sont-ils?
Pour l’ordre actuel quels sont les progrès acceptables dans
une optique conservatrice?
Pour l’ordre l’ancien, s’agit-il de celui d’il y a un an,
dix ans, cent ans, mille ans, etc.?
Et s’il s’agit d’un ordre ancien et non de celui qui est
actuel, ne doit-on pas parler de réactionnaire ou de passéiste pour
caractériser celui qui veut revenir en arrière, et non de conservateur qui
s’appliquerait uniquement à celui qui veut conserver l’ordre présent?
Et puis il y a cette fameuse affirmation selon laquelle les
conservateurs se trouvent autant à droite qu’à gauche.
Analysons-là en prenant un exemple franco-français, les 35
heures de travail hebdomadaire.
Quel que soit le résultat de cette mesure, ce qui importe
est de savoir si ce sont ceux qui la combattent ou ceux qui la soutiennent qui
sont des conservateurs.
Si l’on se place du point de vue du progrès dans celui de
l’émancipation de l’individu par rapport à son environnement, pouvoir moins
travailler et plus profiter de la vie, en tant que la définition du travail
serait un effort contraignant, alors le passage à 35 heures de la durée
hebdomadaire du travail salarié est un progrès.
Maintenant, la question est de savoir si son fonctionnement
et son maintien dans une société qui souffre d’un manque de croissance
économique et d’un fort taux de chômage est un bienfait ou une entrave pour
augmenter cette croissance et faire baisser ce chômage.
Si la réponse est positive, alors ne pas vouloir changer
cette durée du travail en l’augmentant peut apparaître comme un conservatisme.
Néanmoins, il serait sans doute plus approprié de parler ici
de clientélisme, ce qui n’est pas la même chose.
Car ceux qui défendent les 35 heures le font avant tout par
rapport à une partie de la population qui en bénéficie et non par rapport à un
ordre établi qu’il faut conserver en l’état.
C’est si vrai que les défenseurs des 35 heures sont pour le
«progrès» puisqu’ils souhaitent passer aux 32 heures et que beaucoup d’entre
eux ne seraient pas mécontents que le «travail» soit réalisé entièrement par
des robots pour créer cette fameuse société des loisirs où l’on ne s’activerait
que pour des occupations de plaisir et d’enrichissement personnels.
Même si l’on peut éventuellement les qualifier d’utopistes,
on comprend bien que l’on ne peut les qualifier de conservateurs mais que l’appellation
de «clientélistes» s’applique bien.
De même, les conservateurs qui voudraient revenir à plus ou
moins 40 heures de travail hebdomadaire, voire à des durées qui seraient
négociées systématiquement entre le salarié et l’employeur dans une vision de
deux volontés égales, sont plutôt des réactionnaires puisqu’ils veulent revenir
à un ordre ancien et non conserver un ordre actuel.
En outre, on peut également les qualifier de clientélistes
puisqu’ils se battent pour une partie de la population, les salariés qui
veulent pouvoir travailler autant qu’ils le veulent pour gagner plus mais,
surtout, les employeurs, qui veulent avoir une flexibilité dans ce domaine
vis-à-vis de leurs salariés.
On le voit, ces deux soi-disant «conservatismes» sont plutôt
des clientélismes et, de plus, ne sont pas de même nature et de même finalité.
Dans l’un il y a une volonté de progrès même si elle n’est
pas bonne pour le pays selon certains.
Dans l’autre, il y a une volonté de réaction, de retour à
une situation précédente, que certains peuvent trouver bonne pour le pays.
Et même si l’on adopte par convention le terme de
conservatisme pour les deux comportements, on voit bien qu’ils ne sont pas de
même nature.
Par ailleurs, on s’aperçoit de la difficulté de définir avec
précision qu’elle est la conservation que souhaite les conservateurs – au sens
traditionnel du terme utilisé par les anglo-saxons – et si celle-ci n’est pas
seulement une réaction contre l’ordre actuel, réaction qui avance cachée sous
un terme moins polémique et plus rassurant.
Parce que l’on peut évidemment discuter de quel progressisme
parlent ses tenants mais, au moins, on sait qu’ils veulent une société qui
bouge et qui évolue, une société qui se réforme.
Ici, il faut bien dire que le révolutionnaire n’est pas, par
essence, un progressiste.
On peut même voir des révolutionnaires conservateurs ou
plutôt réactionnaires qui veulent changer de société pour revenir à un état
précédent.
De même, un progressiste qui voudrait accaparer le progrès
pour une partie seulement de la population serait en contradiction avec la
définition politique du progrès.
En fait, au-delà des appellations, il y a quatre manières
politiques de gouverner.
La première est de conclure que le «monde qui est», est le
bon, ne doit pas changer, doit être préservé tel quel et qu’il faut endiguer
par l’immobilisme actif les dangers qui peuvent l’atteindre: c’est le «conservatisme
préservateur».
La deuxième est de voir dans le «monde qui est» un
dévoiement de ce qu’il a été et de considérer qu’il faut revenir à une époque
donnée qui était la meilleure: c’est le «résurrectionnisme réactionnaire».
La troisième est de croire que la réalité du «monde qui est»
n’est en fait que la manifestation d’un système particulier et qu’une idéologie
différente peut le transformer de fond en comble pour en créer un nouveau: c’est
le «révolutionnarisme destructeur-créateur».
La quatrième est de bien analyser les réalités du
fonctionnement des sociétés du «monde qui est» et de s’appuyer sur celles-ci
pour le faire évoluer vers une meilleure organisation qui aura des conséquences
positives pour les individus: c’est le «réformisme constructeur».
La première option est un renoncement au mouvement
émancipateur, la deuxième est un refus de la modernité émancipatrice, la
troisième est une illusion chimérique d’une émancipation de la réalité, la quatrième
est un pragmatisme progressiste de l’émancipation possible.
C’est dans le cadre de ce dernier que se situe le progressisme
moderniste raisonnable du Centrisme qui rejette la réaction, la conservation et
la révolution comme des comportements déraisonnables parce que refusant d’accompagner
raisonnablement l’évolution en en faisant un progrès positif.
Un Centrisme qui veut garder ce qui est bon tout en
continuant inlassablement à l’améliorer et être ouvert à l’innovation positive
dans tous les domaines et de l’implanter de la meilleure façon possible
lorsqu’il s’agit d’une réelle avancée.
C’est dans ce cadre que se trouve le progrès selon la vision
centriste du réformisme.