Discours d'Emmanuel Macron à La Sorbonne |
Emmanuel Macron a présenté le 26
septembre dans le cadre prestigieux du grand amphithéâtre de La Sorbonne, à
Paris, son projet pour revitaliser et transformer l’Union européenne, pour
aller vers plus de fédéralisme, d’intégration afin de construire une Europe
capable de relever les défis du monde et de la mondialisation, surtout en être
le moteur principal et le principal gagnant.
Cette vision européenne du
Président de la république est éminemment centriste.
Ce n’est ainsi pas par hasard
que, pour ce projet très ambitieux de refondation de l’UE, il se soit mis sous
les auspices de Robert Schuman, père français de la construction européenne
avec Jean Monnet, et grande personnalité centriste.
Voici les principaux extraits de
son discours et les propositions qu’il a faites lors de celui-ci.
Le discours:
- «L’Europe aussi est une idée.
Une idée portée depuis des siècles par des pionniers, des optimistes, des
visionnaires, et que sans cesse, il nous appartient de nous réapproprier. Car
les plus belles idées, celles qui nous font avancer, qui améliorent le sort des
hommes sont toujours fragiles. Et l’Europe ne vivra que par l’idée que nous
nous en faisons. A nous de la vivifier, de la rendre toujours plus belle et
plus forte, de ne pas nous laisser arrêter par la forme que lui donnent les
circonstances historiques. Car cette forme passe, mais l’idée demeure, et son
ambition doit être la nôtre.»
- «Nous sommes les héritiers de
deux déflagrations qui auraient dû jeter la nuit sur notre Europe, celles du
siècle passé, des deux guerres mondiales qui ont décimé l’Europe et auraient pu
nous engloutir. Mais ensemble, nous avons surmonté l’épreuve sans jamais en
oublier les leçons. L’idée a triomphé des ruines. Le désir de fraternité a été
plus fort que la vengeance et la haine. Ce fut la lucidité des pères fondateurs
de transformer ce combat séculaire pour l’hégémonie européenne en coopérations
fraternelles ou en rivalités pacifiques. Derrière la Communauté du Charbon et
de l’Acier, ou le Marché commun, c’est la promesse de paix, de prospérité, de
liberté que le projet forgeait.»
- «Les digues derrières
lesquelles l’Europe pouvait s’épanouir ont disparu. La voici aujourd'hui plus
fragile, exposée aux bourrasques de la mondialisation telle qu’elle va, et même
ce qui sans doute est pire, à des idées qui se présentent comme des solutions
préférables. Ces idées ont un nom: nationalisme, identitarisme,
protectionnisme, souverainisme de repli. Ces idées qui, tant de fois, ont
allumé les brasiers où l’Europe aurait pu périr, les revoici sous des habits
neufs encore ces derniers jours. Elles se disent légitimes parce qu’elles
exploitent avec cynisme la peur des peuples. Trop longtemps, nous avons ignoré
leur puissance. Trop longtemps, nous avons cru avec certitude que le passé ne
reviendrait pas, nous avons pensé que la leçon était retenue, nous avons pensé
que nous pouvions nous installer dans la langueur, l’habitude, abandonner un
peu de cette ambition, de cet espoir que l’Europe devait porter puisqu’elle
devenait comme une évidence dont nous aurions perdu le fil. Mais les passions
tristes de l’Europe sont bien là, qui se rappellent à nous, et elles fascinent.
Elles savent faire oublier la cohorte de malheurs qui, dans l’Histoire, les a
toujours suivies. Elles rassurent, et j’ose le dire, elles peuvent demain
l’emporter, non parce que les peuples sont crédules! Non parce que l’idée
européenne est morte! Mais parce que nous avons, par inconscience, faiblesse ou
aveuglement, créé les conditions de leur victoire. Parce que nous avons oublié
de vouloir le fil de cette ambition! Parce que nous avons oublié de défendre
l’Europe! Parce que nous avons oublié de proposer pour l’Europe! Parce que nous
avons laissé s’installer le doute. Que disent-ils à nos peuples? Que, eux, ont
la solution. Que, eux, protègeront. Mais face à quels défis? Tous les défis qui
nous attendent – du réchauffement climatique, à la transition numérique, en passant
par les migrations, le terrorisme, tout cela, ce sont des défis mondiaux face
auxquels une nation qui se rétrécit sur elle-même ne peut faire qu’à peu près
et peu de chose. Ils mentent aux peuples, mais nous avons laissé faire cela,
parce que nous avons voulu installer l’idée que l’Europe était devenue une
bureaucratie impuissante. Nous avons, partout en Europe, expliqué que quand la
contrainte était là, elle était européenne! Que quand l’impuissance était à la
porte, ce n’était pas nous mais Bruxelles! Oubliant, ce faisant, que Bruxelles,
c’est nous, toujours, à chaque instan ! Nous n’avons plus proposé, nous n’avons
plus voulu. Je ne laisserai rien, rien à toutes celles et ceux qui promettent
la haine, la division ou le repli national. Je ne leur laisserai aucune
proposition. C’est à l’Europe de les faire, c'est à nous de les porter,
aujourd’hui et maintenant.»
- «La seule voie qui assure notre
avenir, celle dont je veux vous parler aujourd'hui, c’est à nous, à vous de la
tracer. C’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique.
Ayons ensemble l’audace de frayer ce chemin. Comme je l’ai assumé à chaque
instant devant les Français, je le dis aujourd'hui avec une conviction intacte:
l’Europe que nous connaissons est trop faible, trop lente, trop inefficace,
mais l’Europe seule peut nous donner une capacité d’action dans le monde, face
aux grands défis contemporains. L’Europe seule peut, en un mot, assurer une
souveraineté réelle, c'est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel
pour y défendre nos valeurs et nos intérêts. Il y a une souveraineté européenne
à construire, et il y a la nécessité de la construire. Pourquoi? Parce que ce
qui constitue, ce qui forge notre identité profonde, cet équilibre de valeur,
ce rapport à la liberté, aux Droits de l’Homme, à la justice est inédit sur la
planète. Cet attachement à une économie de marché, mais à la justice sociale
l’est tout autant. Ce que l’Europe représente, nous ne pouvons pas le confier
aveuglement, ni de l’autre côté de l’Atlantique, ni aux confins de l’Asie.
C’est à nous de le défendre et de le construire dans cette mondialisation.
- «Je le dis à tous les
dirigeants européens, je le dis à tous les parlementaires en Europe, je le dis
à tous les peuples européens: regardez notre époque, regardez-la en face et
vous verrez que vous n’avez pas le choix, vous n’avez pas le luxe de la génération
qui nous a précédés et qui a pu gérer ce qui était acquis et à peine construit.
Vous n’avez pas le luxe de celle-ci. Vous n’avez qu’un choix simple, celui de
choisir de laisser un peu plus de place à chaque élection aux nationalistes, à
ceux qui détestent l’Europe et, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans,
ils seront là. Nous les avons déjà vus gagner ici! Ou vous avez le choix de
prendre vos responsabilités, partout, et de vouloir cette Europe en prenant
tous les risques, chacun dans nos pays, parce que cet attachement au cœur, nous
devons l’avoir, parce que les cicatrices qui ont balafré notre Europe, ce sont
nos cicatrices! Alors cette ambition, nous devons la porter maintenant.
Maintenant, parce que c’est ce temps-là qui est venu, celui du sursaut de nos
concitoyens, mais parce que c’est surtout notre responsabilité pour notre jeunesse
partout en Europe. La responsabilité que prennent aujourd’hui les
gestionnaires, c’est de laisser notre jeunesse dans la main de tous les
extrêmes, c’est d’offrir à notre jeunesse un avenir qui n’aura pas notre luxe,
celui de choisir son propre destin, c’est de promettre notre jeunesse à tous
les bégaiements de l’Histoire. Alors je le dis à tous les dirigeants d’Europe,
quelles que soient nos difficultés, quels que soient les soubresauts, nous
n’avons qu’une responsabilité, celle à laquelle notre jeunesse nous oblige,
celle pour les générations qui viennent, celle de gagner leur gratitude sinon
nous mériterons leur mépris. J’ai choisi.»
Les propositions:
La seule voie qui assure notre
avenir, c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique.
Une Europe souveraine
Les six clés de la souveraineté européenne
1. Une Europe qui garantit la
sécurité dans toutes ses dimensions
- En matière de défense, l’Europe
doit se doter d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun
et d’une doctrine commune pour agir. Il convient d’encourager la mise en place
au plus vite du Fonds européen de défense, de la coopération structurée permanente
et de les compléter par une initiative européenne d’intervention qui permette de
mieux intégrer nos forces armées à toutes les étapes.
- Dans la lutte contre le
terrorisme, l’Europe doit assurer le rapprochement de nos capacités de
renseignement en créant une Académie européenne du renseignement.
- La sécurité doit être assurée,
ensemble, dans toutes ses dimensions: il faut doter l’Europe d’une force
commune de protection civile.
2. Une Europe qui répond au défi
migratoire
- Nous devons créer un espace
commun des frontières, de l’asile et des migrations, pour maîtriser
efficacement nos frontières, accueillir dignement les réfugiés, les intégrer réellement
et renvoyer rapidement ceux qui ne sont pas éligibles au droit d’asile.
- Nous devons créer un office
européen de l’asile, qui accélère et harmonise nos procédures; mettre en place
des fichiers interconnectés et des documents d’identité biométriques sécurisés;
établir progressivement une police des frontières européenne qui garantisse une
gestion rigoureuse des frontières et assure le retour de ceux qui ne peuvent pas
rester; financer un large programme européen de formation et d’intégration pour
les réfugiés.
3. Une Europe tournée vers
l’Afrique et la Méditerranée
- L’Europe doit avoir une
politique extérieure centrée sur quelques priorités: d’abord la Méditerranée et
l’Afrique.
- Elle doit développer un nouveau
partenariat avec l’Afrique, fondé sur l’éducation, la santé, la transition
énergétique.
4. Une Europe modèle du
développement durable
- L’Europe doit être le chef de
file d’une transition écologique efficace et équitable.
- Elle doit favoriser les
investissements dans cette transition (transport, logement, industrie,
agriculture...) en donnant un juste prix au carbone: par un prix minimum significatif
à l’intérieur de ses frontières; par une taxe carbone européenne aux frontières
pour assurer l’équité entre ses producteurs et leurs concurrents.
- L’Europe doit mettre en place
un programme industriel de soutien aux véhicules propres et aux infrastructures
nécessaires (bornes de recharge...).
- Elle doit assurer sa
souveraineté alimentaire, en réformant la politique agricole commune et en
mettant en place une force commune de contrôle qui assure la sécurité alimentaire
des Européens.
5. Une Europe de l’innovation et
de la régulation adaptées au monde numérique
- L’Europe doit mener et non
subir cette transformation, en promouvant dans la mondialisation son modèle
combinant innovation et régulation.
- Elle doit se doter d’une agence
pour l’innovation de rupture, finançant en commun des champs de recherche
nouveaux, comme l’intelligence artificielle, ou inexplorés.
- Elle doit assurer l’équité et
la confiance dans la transformation numérique, en repensant ses systèmes
fiscaux (taxation des entreprises numériques) et en régulant les grandes plateformes.
6. Une Europe puissance
économique et monétaire
- Nous devons faire de la zone
euro le cœur de la puissance économique de l’Europe dans le monde.
- En complément des réformes
nationales, elle doit se doter des instruments qui en feront une zone de
croissance et de stabilité, notamment un budget qui permette de financer des
investissements communs et d’assurer la stabilisation face aux chocs économiques.
Une Europe unie
1. Une solidarité concrète par la
convergence sociale et fiscale
- Nous devons encourager la
convergence au sein de toute l’Union en fixant des critères qui rapprochent progressivement
nos modèles sociaux et fiscaux. Le respect de ces critères doit conditionner
l’accès aux fonds de solidarité européens.
- Sur le plan fiscal, il convient
de définir un corridor de taux d’impôt sur les sociétés; sur le plan social, il
faut garantir à tous un salaire minimum, adapté à la réalité économique de chaque
pays, et encadrer la concurrence par les niveaux de cotisations sociales.
2. Le ciment de la culture et du
savoir
- Créer un sentiment
d’appartenance est le ciment le plus solide de l’Europe.
- Nous devons renforcer les
échanges, pour que chaque jeune Européen ait passé au moins 6 mois dans un
autre pays européen (50 % d’une classe d’âge en 2024), que chaque étudiant
parle deux langues européennes d’ici 2024.
- Nous devons créer des universités
européennes, réseaux d’universités qui permettent d’étudier à l’étranger et de
suivre des cours dans deux langues au moins. Au lycée, nous devons mettre en
place un processus d’harmonisation ou de reconnaissance mutuelle des diplômes
de l’enseignement secondaire (à l’instar de l’enseignement supérieur).
Une Europe démocratique
La refondation européenne ne se
construira pas à l’abri des peuples, mais en les associant dès le début à cette
feuille de route.
1. La nécessité du débat: les
conventions démocratiques
- Pendant 6 mois, des débats
nationaux et locaux, sur la base de questions communes, seront organisés en
2018 dans tous les pays de l’UE volontaires.
2. Le renforcement du Parlement
européen: les listes transnationales
- Dès 2019, en utilisant le quota
des députés britanniques partants, nous devons créer des listes transnationales
qui permettent aux Européens de voter pour un projet cohérent et commun.
Quelle Europe en 2024?
1. L’Union européenne, notre
cadre commun
- L’UE définit notre socle commun,
fondé sur (i) des valeurs démocratiques communes, non négociables; (ii) un
marché unique plus simple et plus protecteur, associé à une politique commerciale
refondée (dans 3 directions : la transparence dans les négociations et la mise
en œuvre des accords commerciaux ; l’exigence sociale et environnementale ; la
réciprocité, avec un procureur commercial européen chargé de vérifier le respect
des règles par nos concurrents et de sanctionner sans délai toute pratique déloyale).
- Si elle permet des
différenciations ambitieuses, cette Union pourra s’élargir progressivement aux
pays des Balkans occidentaux.
-Elle devra pour cela réformer
ses institutions, avec une Commission plus restreinte (15 membres).
2. La différenciation par
l’ambition
- Au sein de cette Union, ceux
qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent le faire sans être empêchés.
Les coopérations seront toujours ouvertes à tous, sur le seul critère du niveau
d’ambition partagée, sans format prédéfini.
3. L’impulsion franco-allemande
- Face à ces défis, l’impulsion franco-allemande
sera décisive. Pourquoi ne pas se donner l’objectif, d’ici 2024, d’intégrer
totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du
droit des affaires au droit des faillites ?
-Cet esprit pionnier et concret, c’est
celui du Traité de l’Elysée, dont la France propose d’engager une révision
traduisant une nouvelle ambition commune.
4. Le groupe de la refondation
européenne
-Tous les Etats qui adhèrent à
cette volonté pourront lancer dans les prochaines semaines un « groupe de la
refondation européenne ».
-Ce groupe accueillera Les représentants
de chaque Etat membre volontaire et associera les institutions européennes.
-D’ici l’été 2018, il travaillera
pour préciser et proposer les mesures qui mettront en œuvre cette ambition, en
se nourrissant des débats des conventions démocratiques. Thème par thème, les
outils nécessaires à la refondation (coopération renforcée, changement de
traité à terme...) seront examinés.
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