Simone Veil |
Depuis son décès, Simone Veil appartient à la communauté
nationale et c’est bien ainsi pour celle qui était, rappelons-le, la personnalité
politique préférée des Français (et la seule à apparaître dans les premières
places des classements des sondages tous milieux confondus).
Reste qu’elle n’a pas été, durant sa vie et ses combats
multiples, neutre, bien au contraire.
Elle s’est toujours battue pour une société humaniste, pour
un monde responsable et s’est toujours inscrite dans le mouvement centriste.
Tenter de la diluer dans toutes les idéologies partisanes
comme le font actuellement les différents partis politiques et les
commentateurs, c’est lui enlever le cœur même de ce qu’elle était et de ce
pourquoi elle luttait.
Quoi qu’il en soit, la décision d’Emmanuel Macron de la
faire entrer au Panthéon qui réunit un grand nombre des plus grandes
personnalités de la France, est à saluer.
Voici le discours prononcé par le Président de la république
lors de l’hommage national à Simone Veil aux Invalides à Paris:
Au moment de rendre à Simone Veil l’hommage de la nation,
après les témoignages si puissants et poignants de ses deux fils, suspendons un
instant le fil obligé des discours officiels et contemplons cette vie car elle
ne cesse décidément de nous étonner.
Jamais nous n’en pourrons mesurer les souffrances si
profondes, si violentes, de celles qui brisent une âme – qu’il s’agisse de la
noire expérience des camps de la mort où moururent sa mère bien-aimée Yvonne,
son père André, son frère Jean; plus tard du décès accidentel de sa sœur
Madeleine, compagne de déportation, et de son neveu Luc: de la mort trop précoce
de son fils Claude-Nicolas; enfin de la disparition d’Antoine, si présent
aujourd'hui dans nos pensées, dans notre cœur, Antoine l’indispensable, Antoine
toujours bouillonnant d’idées et d’histoires, si gai et au fond si solide.
Mais jamais non plus de cette vie nous pourrons peser
exactement l’invincible ardeur, l’élan profond vers ce qui est juste et bien,
et l’énergie inlassable à le faire triompher. Oui, cette vie de femme offre à notre
regard des abîmes dont elle aurait dû ne pas revenir et des victoires
éclatantes qu’aucune autre qu’elle n’aurait su remporter.
A ce mystère d’existence, de caractère, à ce mystère qui
défie la raison commune et nous inspire tant de respect et de fascination, nous
donnons en France un nom, bien ancré dans notre génie national. Ce nom c’est la
grandeur. Cette grandeur est celle des combats qu’elle livra les uns après les
autres, parfois les uns en même temps que les autres car ce ne furent ni plus
ni moins que les combats du siècle.
Son engagement pour transférer en France sous statut de
réfugiées politiques ces femmes qui subissaient dans les geôles françaises en
Algérie le viol, la faim, les coups, fut d’une lucidité implacable, généreuse,
qui aujourd'hui encore nous stupéfie. Sa bataille pour que cessent les
conditions sordides et meurtrières dans lesquelles se déroulaient les
avortements, mais aussi contre l’hypocrisie sociale qui les favorisaient fait
partie pleinement de l’histoire de notre modernité.
Son combat pour l’Europe ne datait pas de son élection comme
députée au Parlement européen, puis comme première présidente de celui-ci. Il
remontait plus loin, dans l’intimité même de son existence. Il datait de 1945.
Les plaies de la déportation n’étaient pas refermées mais cela ne l’empêchait
pas de vouloir renouer avec l’Allemagne.
Un de ses proches m’a fait cette confidence : jamais il
n’entendit Simone Veil prononcer sur l’Allemagne et les Allemands la moindre
parole amère ou blessante. Elle aima l’Europe, elle la défendit toujours. Dans
les moments où le pays pouvait douter, ou d’autres la critiquait, elle était
là. Parce qu’elle savait qu’au cœur de ce rêve européen, il y avait avant tout
ce rêve de paix et de liberté pour lequel elle s’est tant battue.
Elle ne fit pourtant pas de l’oubli et encore moins du
pardon aux bourreaux la condition de cette réconciliation. Bien au contraire.
Parce qu’elle tenait que la mémoire est là pour que l’inconcevable ne se
reproduise pas, et non pour amoindrir l’horreur. Je vois ici, dans cette cour,
tant et tant de compagnons de ses combats menés durant tant d’années alors que
trop nombreux étaient ceux qui étaient prêts à ne rien dire. Comme présidente
de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, elle observa cette ligne d’une
exigence totale. Ne rien céder à l’oubli, redonner corps à toute trace,
redonner des visages et des noms et réconcilier.
D’autres combats – ils sont si nombreux – nous reviennent à
l’esprit comme celui pour la ratification de la déclaration universelle des
droits de l’homme à la tribune des Nations Unies, celui de la protection
sociale, ses combats de ministre aux côtés de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques
Chirac, François Mitterrand et Edouard Balladur, celui des droits de l’homme en
Yougoslavie et partout, toujours, sa lutte pour les femmes, son engagement
contre le racisme, contre l’antisémitisme. Les temps, hélas, lui fournirent
bien des raisons de s’engager avec force.
Mais il y a plus encore. Ces combats, elle les mena bien
souvent avant que la société et les mœurs ne les aient faits leurs, avant que
la majorité ne les ait adoptés. Elle eut raison bien souvent avant l’opinion
commune et souvent contre elle. Simone Veil fut cet éclaireur de la République
qui monte seul à l’assaut de Bastille réputées imprenables et qui, pourtant,
les prend, pour ensuite nous les offrir en partage, à nous qui n’avions pas cru
que cela serait possible, ou qui par indifférence parfois avions permis que le
scandale prospère.
Aujourd’hui, la République s’enorgueillit d’avoir livré ces
combats. Mais avons-nous toujours été justes avec cette Juste ? Le salaire de
son courage, ce fut souvent la haine venimeuse des uns, les injures exécrables
des autres. De cela elle fut blessée, mais jamais abattue. Elle tenait tête,
car elle savait la solitude des pionniers, le sort cruel qu’on réserve à ceux
qui bousculent l’ordre établi et dérangent l’assoupissement général. La
victoire était à ce prix car la victoire, en vérité, n’avait pas de prix.
La liberté aussi était à ce prix et Simone Veil l’avait
résolument choisie. Elle sut se tenir aux marges, dans cette insoumission
intraitable et vigilante qui, lorsqu’elle se met en action, obtient les plus
belles conquêtes et change ce qui se croyait établi pour toujours. Mais d’où
lui venait cette force, cette volonté toujours de se battre pour des causes
justes? Quelle fut cette boussole intérieure qui toujours lui indiquait le
chemin vrai? Comment se fait-il que jamais elle ne se trompa de combat?
A cela, chacun apportera sa réponse selon ce qu’il eut à
connaître d’elle. Je crois, pour ma part, que le secret s’en trouve dans son
expérience si précoce et si radicale de l’arbitraire et du Mal.
De cela, elle tira presque aussitôt une morale de vie
inaltérable. La souffrance ne donne qu’un droit : celui de défendre le droit de
l’autre. Tel était son absolu, né de sa douleur intime ineffaçable : aider,
protéger l’autre, en particulier les plus faibles.
Nous le savons elle eut souvent la dent dure avec les plus
puissants. Mais elle fut toujours tendre avec les faibles. Elle ne défendit pas
les femmes parce qu’elles étaient femmes, mais parce qu’elles étaient humiliées
par la puissance des hommes.
Combien il reste à faire à cet égard comme à tant d’autres !
Comme nous avons encore besoin de cette capacité de colère et d’action qui
jusqu’au bout l’animèrent !
Car, ne nous y trompons pas, les combats de Simone Veil ne
sont pas des victoires acquises pour toujours, ce qui les a fait naitre
ressurgit sans cesse, ici ou ailleurs, aujourd’hui malheureusement dans trop
d’endroits en Europe et au cœur de nos sociétés.
Intolérance, sectarisme, haine fanatique ou doctrinaire,
extrémismes avançant sous le masque d’un populisme débonnaire, compromissions
de toutes sortes avec ce qui piétine notre humanité restent des braises
ardentes prêtes à rallumer les pires embrasements.
La détermination inexorable de Simone Veil à faire prévaloir
en tout l’humain, est ici notre cap.
Son humanité, du reste, n’était pas réservée à la sphère
publique. Elle irriguait son intimité à l’égard de son époux, de ses fils, de
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants.
Aux lettres si nombreuses qu’elle recevait où des
correspondants lointains exprimaient leur détresse ou leur solitude, elle
répondait avec attention. Parfois, dit-on, cela irritait un peu Antoine. Elle
employait pour cela une langue française de grande élégance que nourrissait sa
vive passion pour la littérature française, ce goût inculqué dès l’enfance par
son père. Il eût été si fier de voir sa fille accueillie à l’Académie française.
Lorsqu’une vie se consacre à la justice, et singulièrement à
la justice pour les plus faibles, les plus exposés, les plus humiliés ; lorsque
cette vie est nourrie par une bienveillance sans partage à l’égard de cette
humanité dont pourtant elle a vu la face la plus hideuse ; et lorsque cette vie
choisit de se construire sous l’égide de la République, c’est la France qui en
est grandie.
Vous avez, Madame, prodigué à notre vieille Nation des dons
qui l’ont faite meilleure et plus belle. Vous avez jeté dans nos vies cette
lumière qui était en vous et que rien ni personne n’a pu jamais vous ôter. Les
Français l’ont su, l’ont compris. Votre grandeur fit la nôtre.
Aussi, ce n’est pas seulement l’hommage de la Nation qu’en
ce jour endeuillé nous vous présentons. C’est la France et l’Europe tout
entière qui sont là témoignant de vos combats.
Et au moment où vous nous quittez, je vous prie, Madame, de
recevoir l’immense remerciement du peuple français à l’un de ses enfants tant
aimés, dont l’exemple, lui, ne nous quittera jamais.
C’est pourquoi j’ai décidé, en accord avec sa famille, que
Simone Veil reposerait avec son époux au Panthéon.»
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