Imaginons d’abord le scénario où, lors de la présidentielle
du 8 novembre, un populiste de droite, Donald Trump, aurait affronté un
populiste de gauche, Bernie Sanders, tous deux portés par une vague de
supporters «en colère» et prêts à en découdre, dénonçant le «système» comme pourri
et corrompu.
Imaginons que le résultat, quel que soit le vainqueur donne
à l’un une majorité de grands électeurs alors que l’autre remporte le vote
populaire avec 47,93% contre 46,37% à son opposant et plus de deux millions de suffrages
d’avance (au 25 novembre).
Quelle aurait été la réaction de Trump ou de Sanders s’ils
avaient gagné le vote populaire avec cette marge ou même avec une voix d’avance
mais étaient minoritaires en nombre de délégués, c’est-à-dire qu’ils avaient
été donnés perdants de la présidentielle?
Quelle aurait été la réaction de leurs troupes respectives
devant ce déni de démocratie?
On ose imaginer les propos hargneux, les manifestations
violentes et une Amérique otage de deux populismes qui avaient fait de la
démocratie républicaine libérale leur ennemi principal pendant la campagne.
Et que n’aurait-on entendu les médias dénoncer une élection
qui n’aurait pas respecté la décision souveraine du peuple.
Or c’est bien ce qui s’est passé pour Hillary Clinton.
Et si elle a bien perdu selon les règles de l’élection
présidentielle américaine, ce qu’elle a reconnu immédiatement sans incriminer
le «système», elle a largement gagné devant le peuple.
C’est un fait et personne ne peut le contester.
Or, depuis sa défaite face à Donald Trump, les critiques ne
cessent de pleuvoir, la rendant responsable de la victoire d’un populiste
démagogue, du rejet des Américains pour le système et les élites et de bien
d’autres choses.
En cause, sa personnalité incapable de mener une bonne
campagne électorale et une défaite de son positionnement politique centriste.
Ce qui est une contre-vérité puisqu’elle a gagné...
Néanmoins, on peut estimer que face à une sorte de clown
dangereux dont on voit tous les jours qu’il n’a aucun programme, qu’il change
d’avis comme de chemise et qu’il ne trouve pas assez de personnes sérieuses
dans son camp pour remplir les nombreux postes de son administration mais qu’il
peut réagir de manière violente et totalement imprévisible, qu’Hillary Clinton,
vu ses compétences, par ailleurs, ainsi que les bons résultats de la présidence
de Barack Obama, un président avec une popularité de fin de mandat aussi haute,
aurait du l’écraser, ce qui n’a pas été le cas et a permis à Trump de remporter
la majorité des grands électeurs.
Du coup, dans la recherche de ce qui a fait chuter Hillary
Clinton, on peut se demander si ce n’est pas son positionnement centriste qui est
également celui de Barack Obama.
Est-ce donc la défaite du Centre et du Centrisme aux
Etats-Unis alors que celui-ci semblait bien établi au pouvoir pour plusieurs
années encore?
La question mérite d’être posée car elle conditionne le
prochain paysage politique du pays où, face à un parti républicain
définitivement ancré à la droite de la Droite, le Parti démocrate doit se
demander s’il demeure sur une ligne majoritairement centriste ou s’il doit se
déporter sur sa gauche.
Car, selon les analystes, ce qui a fait défaut à Clinton,
c’est une partie de l’électorat populaire qui vote généralement démocrate et
qui s’est abstenu, voire qui a choisi Trump, ainsi qu’une partie de l’électorat
jeune.
Et tous ceux-ci étaient des supporters de Bernie Sanders,
positionné très à gauche et dont les sondages le donnaient très largement
vainqueur de Trump quand ils prédisaient une victoire beaucoup moins importante
d’Hillary Clinton.
Même si ces sondages ne peuvent donner la clé puisqu’ils
furent réalisés bien en amont de l’élection, ils permettent de saisir cette
désaffection d’une partie des électeurs démocrates et/ou de gauche qui ont fait
défaut à Clinton.
Dès lors, il manquait sans doute une majorité populaire pour
le projet centriste d’Hillary Clinton et donc pour le bilan de la présidence de
Barack Obama, c’est-à-dire qu’une partie des gens qui ont voté pour elle, ne
soutenaient pas son programme électoral mais ne voulaient surtout pas de Donald
Trump à la Maison blanche.
C’est si vrai que Clinton a du gauchiser son discours et son
programme, au grand dam d’ailleurs d’Obama, notamment en matière de
mondialisation et de globalisation économique avec des accents protectionnistes,
pour les attirer.
Mais cela n’a pas suffi pour convaincre une partie des
électeurs de gauche car la candidate démocrate est demeurée globalement sur des
positions centristes comme le montrent ses discours et ses prestations lors des
débats face à Trump.
Ceux-ci, dans une démarche bien connue de déni de la réalité
et d’affirmations du style «blanc bonnet et bonnet blanc» ont dès lors refusé d’aller
voter et ont fait la différence dans certains Etats-clés.
Néanmoins, la gauchisation n’est peut-être pas la bonne
solution pour le Parti démocrate.
Car les modérés et les centristes qui ont voté pour Hillary
Clinton pourraient alors faire défection et aller voir du côté républicain, non
pas pour voter Trump mais pour l’après-Trump.
Les démocrates ont déjà connu pareille situation après la
défaite de 1968 où Richard Nixon l’avait emporté d’une courte tête face à
Hubert Humpfrey.
Ce tournant à gauche leur avait causé une longue traversée
du désert, uniquement interrompue par un mandat de quatre de Jimmy Carter,
avant que le parti ne retourne avec succès au centre-gauche et au centre avec
Bill Clinton et sa Troisième voie.
Reste que la défaite de Clinton montre une nouvelle fois que
le Centrisme est la cible constante d’attaques clientélistes et extrémistes
violentes.
Ainsi, une politique de juste équilibre est sans cesse agressée,
et sur sa droite, et sur sa gauche, donc plus fragile électoralement parlant
que les politiques de droite ou de gauche qui ne connaissent que l’ennemi d’en
face.
Barack Obama, avant Hillary Clinton, a connu cela et les
défaites des élections de mi-mandat en sont la preuve alors que le bilan de sa
présidence était positif.
On ne peut non plus totalement exclure dans la défaite d’Hillary
Clinton le réflexe bien connu maintenant dans les démocraties du XXI° siècle de
«sortir les sortants» de manière mécanique.
Beaucoup d’électeurs volatiles se font une spécialité de voter
contre les équipes en place prétendument parce qu’elles auraient échoué même si
ce n’est pas le cas et qu’il faut essayer autre chose.
Nombre d’élections récentes dans les démocraties
occidentales montrent que ce phénomène inquiétant se répand de plus en plus car
il montre que les programmes et les personnalités comptent moins qu’un réflexe
populiste d’être contre celui qui est en place, quel qu’il fut.
Alexandre Vatimbella