Il est de gauche et il le répète encore une fois dans cette
longue interview qu’il a donnée à l’hebdomadaire économique Challenges.
Mais la Gauche d’Emmanuel Macron ressemble beaucoup au
Centre.
Quant à sa volonté de se faire une place dans le débat
politique, elle est une nouvelle fois évidente.
Néanmoins sa stratégie pour y parvenir est parfois teintée de
populisme.
C’est d’ailleurs là que le leader d’En marche devra
clarifier ses positions et sa vision de la politique et de la société
françaises.
Enfin, il définit la fonction présidentielle dont celui qui
l’occupe doit donner du sens et ne pas être dans l’actualité.
Son modèle, une présidence «gaullo-mitterrandienne» dont,
évidemment, il se sent l’héritier.
Reste à convaincre les Français…
Une réconciliation à
la mode «gaullo-centriste»
Afin de réconcilier les Français, le leader d’En marche
emprunte à l’idéologie gaullienne du rassemblement au-delà des partis mais
aussi à la pensée centriste où la réforme est la pierre angulaire d’une société
en permanente adaptation pour trouver un juste équilibre et assurer le
consensus.
Partisan du consensus qui, selon lui, s’obtient sur une
majorité d’idée, Macron semble vouer aux gémonies le compromis qui, lui, est un
très large accord et qui est selon lui, responsable de tous les petits
arrangements qui ne permettent pas aux réformes d’’aller jusqu’au bout.
Mais il semble ignorer que le consensus ne s’obtient que par
le compromis ou, alors, son consensus n’est qu’un unanimisme qu’il lui sera
difficile de trouver…
De même, le consensus de Macron ignore les droits de la
minorité, chère aux centristes.
- «L’heure est grave pour notre pays. L’enjeu est de
préserver sa cohésion, d’organiser sa réconciliation. Nous vivons une période
de fracturation de la France: il y a désormais plusieurs France. Ces déchirures
qui traversent notre pays produisent une crise profonde et perturbent notre
imaginaire collectif. L'enjeu capital? Notre capacité à réconcilier ces différentes
France. Le politique ne peut plus se satisfaire de s'adresser à des publics
différents et antagonistes; il est indispensable de trouver les chemins de la
réconciliation des deux France: celle qui vit la mondialisation et les grandes
transformations à l’œuvre comme une chance et celle qui en a peur; la France
des nomades heureux et la France des sédentaires qui subissent.
- «Pour réunifier ces France, il faut proposer une nouvelle explication
du monde et projeter le pays tout entier dans un horizon retrouvé de progrès
collectif. Les Français forment un peuple éminemment politique. Ils attendent
beaucoup des dirigeants politiques qu’ils se donnent. Si ceux-ci renoncent à
leur expliquer où ils les emmènent, il leur sera impossible de les embarquer
avec eux! Ils ne rejettent pas la réforme: quand ils se cabrent contre une
réforme, c'est d'abord parce que les responsables politiques n'ont pas estimé
opportun de la leur expliquer. Il est dès lors indispensable de l'inscrire, de
la projeter dans une ambition collective. La clef est d’expliquer le cours du
monde et de réunir ces France divisées dans une aventure où chacune d'entre
elles pourra trouver sa place.
- «La France s’est installée dans une situation où la
mémoire nationale est clivée, fracturée entre deux mémoires qui ne se
reconnaissent pas mutuellement. Nous avons laissé se créer des histoires
parallèles, ouvrant de nouvelles fractures et émiettant les références
culturelles qui devraient pourtant unifier la France. C’est ainsi qu'une partie
de la gauche s'est construite une mémoire reposant sur la lutte des classes et
l'anticolonialisme, thématiques devenues les clefs de lecture quasi-exclusives
de la situation sociale de la France d’aujourd’hui. Cette gauche s’est en outre
fourvoyée en opposant le social à l’économique. Dans le même temps, une partie
de la droite s’est ancrée dans une vision historique rétrécie à un
identitarisme dont elle nourrit désormais son rapport à la République. Or la
capacité à regarder l'Histoire de France en face, dans toute sa complexité et
dans toute sa globalité, est nécessaire pour affronter l’avenir.
- Les principaux défis contemporains ne font pas l'objet du
moindre consensus au sein des grands partis de gouvernement. Des exemples? Le
rapport à la production dans une économie de la connaissance; le rapport aux
inégalités dans un monde mondialisé, financiarisé et numérisé; le rapport à la
société ouverte dans un monde frappé par le terrorisme; le rapport à l'Europe
et à la mondialisation... Sur ces sujets cruciaux, Il n'existe aucun accord
idéologique au sein du Parti Socialiste ou parmi Les Républicains. Cela est dû
au fait que leur cohérence politico-historique s'est construite sur d'autres
thématiques. D’abord à travers le rapport à la République nouvellement créée,
puis à travers le rapport aux relations sociales forgé à l’ère du capitalisme
industriel et de l’économie de rattrapage. Or ces périodes sont révolues et les
défis contemporains ne sont plus les mêmes».
- «(Il y a) la nécessité d'une clarification idéologique qui
permette à chacun de se repositionner selon un clivage pertinent, par exemple
celui qui distingue les progressistes et les conservateurs. Je suis convaincu
que pour dégager une véritable autorité politique, pour faire émerger des
symboles forts et clairs, pour définir une lecture du monde et l'assumer, il
faut dégager des consensus et non pas des compromis. Soyons précis: la fonction
présidentielle exige le consensus construit dans la clarté plutôt que le
compromis entre chien et loup.
Le consensus doit permettre de dégager une majorité autour
d'idées. Il exige la clarté politique et idéologique.
Le compromis tel qu’il est pratiqué la plupart du temps
aboutit à une série d'arrangements imparfaits, obtenus en dernière minute, par
lesquels les forces en présence cherchent, en s’instrumentalisant
réciproquement, à se protéger et à se reproduire.
(…) Les compromis sont permanents entre progressistes et
conservateurs de gauche d’un côté, entre progressistes et conservateurs de
droite de l’autre côté. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à l'épuisement de ce
mécanisme, qui est en réalité une forme de dégénérescence de l'ère
post-mitterrandienne».
Ouvrir la société par
le libéralisme, l’individualisme et un nouveau solidarisme
Libéralisme individualisme et solidarisme sont trois thèmes
chers aux centristes qui sont le fondement même du projet économique et social
d’Emmanuel Macron.
- «Comment tracer à
nouveau un chemin vers le progrès, comment concevoir une capacité à réguler la
mondialisation à ce moment précis du capitalisme. Car il ne faut pas exclure
que nous ayons atteint un stade ultime du capitalisme qui se trouve aujourd’hui
pris dans sa propre incapacité à réguler ou laisser réguler ses excès: la
sur-financiarisation, les conséquences climatiques et environnementales de son
développement, etc. Et dans le même temps nous avons atteint une nouvelle phase
de la mondialisation en particulier avec le numérique: une mondialisation
instantanée des usages, des contenus, des innovations et des productions, mais
aussi une mondialisation des imaginaires. Ces changements bouleversent nos
modes d'organisation socio-économiques et politiques qui sont, eux,
territorialisés».
- «Il faut reconstituer, je le répète, une histoire
positive. Pour cela il est indispensable d'expliquer les phénomènes de
transformation. Oui, des choses vont profondément changer. Nous sommes entrés
dans une économie de la connaissance, de l'innovation, avec des transformations
radicales. Notre défi est d'acquérir la plasticité nécessaire à la réussite.
Nous disposons de formidables ressources pour assurer notre développement
industriel et économique. Nous avons une nouvelle histoire industrielle à
écrire.
La France peut et doit jouer un rôle fondamental dans cette
économie du savoir et de la connaissance. Mais pour cela, il est indispensable
de réinventer un solidarisme contemporain, d’expliquer aux Français que l'Etat
ne va plus défendre leurs statuts, mais qu'il va les protéger en leur donnant
des droits individuels dont il sera le garant. Oui, il va falloir accepter des
changements de vie ; mais ces changements devront permettre à chacun de trouver
sa place. Cette vie se composera différemment avec un engagement de formation
que nous ne tenons plus, une promesse d'émancipation sociale que nous ne respectons
plus. Il sera nécessaire de réinventer plusieurs fois sa vie professionnelle.
C'est une promesse de mobilité avec des sécurités. C’est pour construire ce
projet de rénovation que je m’engage et que j’ai créé En marche».
- «Je ne dis pas que la vie est facile pour tout le monde
mais le fait est que la France n'a pas vécu de périodes d'austérité forte ni
d'épisodes thatchériens. Notre solidarisme a joué à plein, avec pertinence et
force. Mais ce qu'on appelle la solidarité ne se vit, en France, qu'avec
l'appui de l'Etat providence, celui des Trente Glorieuses. Cette démarche
convenait fort bien à des partenaires sociaux corporatistes. Le modèle social
français dispose de solides bases solidaristes, mais il n'en est pas moins
installé dans une approche corporatiste. En réalité, Il est assez injuste. Il
offre des avantages qui ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens. En outre,
il existe une autre et véritable solidarité, une justice sociale qui se
construit par la mobilité individuelle, par la capacité à recréer la
possibilité pour les uns et les autres d'avoir des accès nouveaux. C'est ce que
j'ai essayé de mettre en place: les autocars, les permis de conduire, ces
objets du quotidien que j'évoquais. Nous restons confinés dans une approche
étatiste de la solidarité, une approche insuffisamment mobile débouchant sur
une société de statuts».
- «Aujourd'hui, le système protège davantage les statuts que
les mobilités individuelles. Demain, ce ne sera plus possible. L'approche monolithique
d'un Etat cherchant à protéger ses citoyens du changement est devenue obsolète.
La solution est que l’Etat protège non les statuts ni les rentes de manière
diffuse, mais les individus de manière transparente: c’est vers cela qu’il faut
aller. C’est cela que j’appelle la société du choix. Une société où l’Etat
garantit un socle, des protections individuelles et où les Français ont la
possibilité de choisir leur vie, de s’émanciper».
Europe
Emmanuel Macron rappelle ici qu’il est un Européen convaincu et que
seule une Union européenne renforcée peut permettre de faire face à un certain
nombre de problèmes que connait la France.
En cela, il est en totale symbiose avec les centristes.
- «Les politiques ont malheureusement déserté le champ européen….C’est
une erreur car, au cœur de cette réinvention collective, se trouve l’Europe.
Depuis plusieurs siècles, il n’est pas d’Histoire de France qui ne soit aussi
une histoire de l’Europe. Mais depuis vingt ans, notre discours prétend que
tous les problèmes viennent de l'extérieur, sans jamais prendre notre part
nationale du fardeau. Nous avons installé l'idée que l'Europe était un
problème. Or la véritable souveraineté sur bien des sujets est et sera
européenne».
Une réfutation des
accusations de populisme portées contre lui
Dans cette interview, Emmanuel Macron s’est lancé dans une réfutation des
accusations de populisme que certains ont portées contre lui.
Mais celle-ci se fait par une diatribe populiste et une explication de
texte où le leader d’En marche tente, sans grand succès, de démontrer que les
populistes s’adressent aux bas instincts du peuple alors que lui-même
s’adressent à son intelligence.
En effet, n’est-ce pas ce qu’affirment tous les populistes?...
Il faudra bien qu’il clarifie ce paradoxe.
- «Je suis un produit du système méritocratique français,
pas un produit du système politique français. Je ne suis dans le monde
politique que depuis deux ans et je n'en ai jamais accepté les mœurs. Je suis
issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie de province, mes deux parents
étaient médecins à l’hôpital, et dans ma famille personne n'était jamais
"monté à Paris", personne n'avait fait l'ENA. Le système politique,
avec ses codes et ses usages, je ne cherche pas à le respecter parce que je ne
lui appartiens pas. Ça ne me pose donc aucun problème de transgresser ses
codes. Je dirais même ceci: ma volonté de transgression est d’autant plus forte
que j’ai vu le système de l’intérieur. J’en connais les mérites, mais aussi les
failles et les maladies».
- «Désormais une poignée de détracteurs m'accusent d'être un
"populiste light"... Ils croient ainsi m’insulter car pour eux,
vouloir se rapprocher du peuple est la dernière offense. Ils font une erreur
d’incompréhension sémantique: un véritable populiste flatte le peuple dans ses
bas instincts, il lui ment, le pousse aux extrêmes. Pour ma part, j'essaie de
m'adresser à l'intelligence des citoyens, et je le fais sans m’encombrer des
barrières que le système place entre les politiques et le peuple. Avec notre
diagnostic, nous sommes allés directement à la rencontre des Français: je
conçois que cela perturbe ceux qui s’arrogent le monopole de la connaissance du
terrain. Je suis considéré comme un gêneur parce que j'émets une hypothèse
ontologique radicalement en opposition avec la plupart des responsables
politiques: je pense que les électeurs ne sont pas... idiots, qu'ils ne croient
plus aux histoires qu'on leur raconte, que le baratin de la vieille politique
marche de moins en moins! Si j'étais populiste, je mentirais, je promettrais
des choses intenables et inconséquentes. Si j’étais populiste, j’affirmerais
qu’enfermer tous les fichés «S» garantira la sécurité des Français, quand tous
les gens sérieux savent que c’est faux. Ecouter le peuple, c’est entendre ce
qu’il veut, ce à quoi il est prêt. Cette connexion est l’essence de la
démocratie. Or cette dernière a été prise en otage».
Les alliances
Comme d’habitude, Emmanuel Macron fait une séparation entre
les progressistes et les conservateurs en souhaitant qu’un pôle politique du
progrès émerge, réunissant tous ceux qui s’en réclament à droite, au centre et
à gauche.
- «Ma conviction? Une partie de la droite dure, celle que
Nicolas Sarkozy hystérise, se sentira de moins en moins en sympathie, en
concordance, avec la droite modérée, européenne, libérale. Les réponses des uns
et des autres à la mondialisation et aux phénomènes de transformation sont si
radicalement différentes... Il y a face à face une droite du repli et une
droite de l'ouverture, une droite exigeante, une droite que j'appellerais
progressiste. Ce qui la préserve encore un peu de la crise que connaît si
violemment la gauche, c’est que la droite française n'a pas ancré ses
références dans l'histoire du capitalisme industriel. Dans ce paysage politique
et idéologique déboussolé, il faut retrouver un cap, et ce cap ne peut être que
celui de tous les progressistes».
- «Je n'aurais pas employé le terme "d'identité
heureuse". C’est trop statique, trop loin de la réalité et je ne sais pas
très bien ce que cela signifie. Une identité, par nature, n’est pas ‘heureuse’
ou ‘malheureuse’. Une identité est en mouvement et se construit sans cesse.
Elle peut même connaître des tensions au gré des incertitudes ou des
inquiétudes qui s’expriment comme c’est le cas dans notre pays en raison de
l’absence de choix politiques clairs ces dernières décennies. Il n'en est pas
moins vrai que j’ai avec Alain Juppé des convergences sur ce que peut et doit
être la vie en société».
La fonction
présidentielle
- «Pour moi, la fonction présidentielle dans la France
démocratique contemporaine doit être exercée par quelqu’un qui, sans estimer
être la source de toute chose, doit conduire la société à force de convictions,
d’actions et donner un sens clair à sa démarche.»
- «Nous devons absolument inventer une nouvelle forme
d'autorité démocratique fondée sur un discours du sens, sur un univers de
symboles, sur une volonté permanente de projection dans l'avenir, le tout ancré
dans l'Histoire du pays. Le temps de la présidence et des engagements pris ne
saurait se construire en fonction de l'actualité: ce serait s'engouffrer dans
une forme d'obsession de la politique qui jamais ne définit les termes et les
conditions de sa propre efficacité. Une présidence de l'anecdote, de
l'événement et de la réaction banalise la fonction. Ce type de présidence ne
permet pas de se réconcilier avec le temps long et le discours du sens. A
l’inverse, dans une présidence de type gaullo-mitterrandien, la recherche d'un
champ, d'une focale, éloigne du quotidien et installe un rapport différent à
l'actualité. Cela suppose d'entretenir un rapport fort aux idées et à la
lecture du monde. Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui? Une
capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et
une direction ancrés dans l'Histoire du peuple français. C’est une autorité qui
est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce
autant en creux qu’en plein.»
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC