Contrairement à ce que l’on pense, il n’existe pas «un rêve
américain» unique qui serait, à la fois, défini exactement et qui serait commun
à tous les Américains.
Le Rêve américain est multiple, on peut même dire que chaque
Américain a son propre rêve (et que beaucoup de personnes, à travers le monde
ont leur «rêve américain»).
Sur l’échiquier politique, le rêve se décline également par
rapport aux convictions de chaque idéologie.
Néanmoins, on peut en catégoriser quatre prédominants
correspondant aux quatre idéologies qui dominent la vie politique du pays.
D’ailleurs, à l’occasion de cette présidentielle, ces
dernières se sont affrontées lors des primaires avec les quatre candidats principaux,
Donald Trump (populiste démagogue de droite) et Ted Cruz (extrémiste de droite)
du côté républicain, Hillary Clinton (centriste) et Bernie Sanders (populiste
démagogue de gauche) du côté démocrate.
Pour schématiser, on peut les caractériser comme suit:
- Le rêve de Trump est celui de la réussite personnelle et
de l’individu égoïste;
- Le rêve de Cruz est celui d’une nation fondée sur les
valeurs chrétiennes conservatrices;
- Le rêve de Clinton est celui d’un pays des opportunités et
de la solidarité;
- Le rêve de Sanders est celui de l’égalitarisme.
Le rêve de Trump l’a emporté chez les républicains et celui
de Clinton chez les démocrates.
D’une certaine manière, c’est dans la normalité puisque les
rêves proposés par les deux candidats en lice pour l’élection du 8 novembre prévalent
dans la société américaine depuis la fondation de la nation (encore que celui
de Trump soit une version extrémiste de la réussite personnelle et du rejet de
l’autre) même si les rêves proposés par Cruz et Sanders ont toujours existé
mais le plus souvent en retrait par rapport à ceux-ci.
Pour autant, est-ce que la question des rêves sera aussi prégnante
lors de cette élection qu’elle l’a été lors ces précédentes, notamment en 2008
et 2012 lors des victoires de Barack Obama?
Il semble, pour l’instant, que la focalisation sur les
personnalités des deux finalistes, surtout sur la capacité de Trump à occuper
le fauteuil du bureau ovale de la Maison blanche, l’emportent sur la vision du Rêve
américain comme élément déterminant.
Néanmoins, elle sera un élément important car ce sont bien
deux manières de voir les Etats-Unis qui s’opposent même si du côté républicain
il s’agit avec Trump d’un dévoiement certain, du rêve que le parti de Lincoln
et de Theodore Roosevelt ont défendu et promu (même si, à leurs époques
respectives, le concept n’était pas encore défini sous cette appellation).
Ce qu’est le Rêve américain
Le Rêve américain demeure le
concept le plus emblématique de ce que recouvrent les Etats-Unis à la fois
comme pays, comme nation et comme idéal.
Des premiers pèlerins qui
accostèrent sur les côtes du Massachussetts au XVII° siècle aux illégaux
sud-américains qui traversent quotidiennement la frontière entre le Mexique et
les Etats-Unis en passant par tous les Européens qui débarquèrent à Ellis
Island, tous ceux qui ont décidé un jour de partir pour cette terre promise
moderne le recherchaient.
Comme cela reste le cas de tous
les Américains d’aujourd’hui, descendants des uns et des autres.
On peut le qualifier
lapidairement par la formule «avoir une vie meilleure».
C’est à la fois concis et précis
mais ne donne aucunement la dimension multiple qu’il a toujours eue.
On peut même affirmer que chacun
des Américains, plus, chacun de nous, habitants de la planète, a son propre
«rêve américain».
Ce qui fait qu’il est «américain»
depuis plus de deux siècles, vient de cette croyance qu’il est possible de le
réaliser aux Etats-Unis et pas ailleurs, ce pays où même la Constitution
reconnaît à tout citoyen le droit à «la poursuite du bonheur».
Jusqu’il y a quelques années, il
pouvait se décliner en deux grandes réussites sociales.
D’un côté, il y avait ceux qui
parvenaient à faire partie de la classe moyenne en acquérant une certaine
aisance et dont les enfants se voyaient offrir les opportunités leur permettant
d’avoir une vie encore meilleure que celle de leurs parents.
De l’autre, il y avait ceux qui,
grâce à leur talent et leur travail, parvenaient en haut de l’échelle sociale,
parfois en étant partis de rien, possédant des fortunes qui se comptaient en
millions voire en milliards de dollars.
Bon an mal an, elles coexistaient
grâce à une croissance soutenue mais également par une sorte de consensus
bipartisan entre les démocrates et les républicains.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui
où la polarisation idéologique des deux grands partis – en particulier la
volonté du Parti républicain de se forger une identité plus radicale -, a remis
en cause ce consensus.
Les démocrates sont devenus avant
tout les défenseurs de la première réussite alors que les républicains le sont
de la deuxième.
De même, la réalisation de ces
deux rêves en parallèle semble actuellement bien difficile alors que l’économie,
sortie il n’y a pas si longtemps de ce que les Américains appellent la «Grande
Récession», demeure encore incapable d’une croissance assez forte pour la
réalisation pour tous de leurs rêves sans oublier, évidemment, le creusement
des inégalités entre les ultra-riches et les basses classes moyennes, sans
parler évidemment des pauvres.
Une expression assez récente et discutée
Le concept de «rêve américain» ne
se retrouve écrit noir sur blanc nulle part avant le milieu du XX° siècle.
Rien dans la Déclaration
d’indépendance, rien dans la Constitution, rien dans les écrits des Pères
fondateurs ou dans les discours des grands Présidents comme Washington, Lincoln
ou Theodore Roosevelt.
L’expression va être utilisée la
première fois en 1931 par un historien, James Adams Truslow, dans son livre
«L’épopée de l’Amérique» («The Epic of America»).
Détail amusant, Truslow souhaitait
appeler son livre «Le Rêve Américain» mais son éditeur refusa en lui expliquant
que ce n’était pas un titre très vendeur et surtout que l’expression était
beaucoup trop vague…
Toujours est-il que l’historien
le définit comme suit: «Le Rêve américain est ce rêve d’une terre dans laquelle
l’existence serait meilleure, plus riche et remplie pour tout le monde, avec
l’opportunité pour chacun d’y parvenir grâce à ses capacités ou ce qu’il a
accompli. C’est un rêve difficile à réellement conceptualiser pour les classes
supérieures européennes, mais également pour beaucoup d’entre nous qui sommes
de plus en plus lassés et méfiants à son encontre. Il ne s’agit pas simplement
d’un rêve d’automobiles ou de hauts salaires, mais c’est un rêve d’un ordre
social qui permettra à chaque homme et à chaque femme de parvenir à ce qu’ils
sont capables d’atteindre naturellement et à être reconnus par les autres pour
ce qu’ils sont, indépendamment des circonstances fortuites de leur naissance ou
de leur statut».
Si l’on est étonné par un certain
pessimisme qui perce dans ce texte, n’oublions pas que James Adams Truslow définit
le Rêve américain au moment où la Grande Dépression des années 1930 frappe le
pays.
C’est pourquoi il tente de
revitaliser l’espoir des Américains d’avoir une vie meilleure mais aussi c’est
la raison pour laquelle il parle de lassitude et de méfiance vis-à-vis de cet
espoir au moment où le chômage et la pauvreté font un retour fracassant et font
douter beaucoup de ses compatriotes sur la capacité des Etats-Unis à repartir
de l’avant.
Cette définition est la première
mais est loin d’être la seule.
Toute une littérature s’est
développée depuis avec, à chaque fois, des définitions propres, certaines étant
même extrêmement détaillées et il faudrait un bon gros livre pour les compiler.
Pour autant, elles demeurent
toutes centrées autour de cette vie meilleure.
Evidemment, le Rêve américain a
également beaucoup de détracteurs qui affirment qu’il s’agit plutôt d’un
cauchemar, jusqu’à ceux qui dénient sa réalité tout court.
Citons ainsi, le bon mot de
l’humoriste George Carlin, «Ils appellent ça le Rêve américain parce que vous
devez être endormis pour y croire».
William Burroughs, figure de la
Beat generation, disait «merci au Rêve américain pour vulgariser et falsifier
jusqu’à ce que les mensonges nus ne brillent».
Quand à l’écrivain britannique J.
G. Ballard, il estimait que «le Rêve américain est tombé en panne. La voiture
s’est arrêtée. Elle ne fournit plus au monde ses images, ses rêves et ses
phantasmes. Fini. Elle fournit au monde ses cauchemars désormais».
On peut en conclure, comme
l’historien Jim Cullen, que, «le Rêve américain n’aurait pas cette importance
aussi forte ou mystique s’il était une évidente tromperie ou un principe
démontrable scientifiquement. L’ambigüité est à la source même de son pouvoir
mythique, surtout pour ceux qui le poursuivent, mais qui ne sont pas sûrs
d’atteindre leurs buts».
Le rêve démocrate versus le rêve républicain
Si l’on voulait grossir les
traits de l’opposition entre républicains et démocrates sur le Rêve américain,
on pourrait dire que c’est le Tea Party contre Occupy Wall Street, ces deux
mouvements extrémistes, le premier de droite et vaguement libertarien, le
deuxième de gauche et teinté d’anarchisme libertaire, qui ont vu le jour durant
la première présidence d’Obama.
Les divisions sur le Rêve américain
se sont beaucoup radicalisées depuis l’an 2000 et l’arrivée à la Maison blanche
de George W Bush.
L’affirmation de Barack Obama
comme quoi «nous pouvons venir de différents endroits et avoir des histoires
différentes, mais nous partageons des espoirs communs et un seul Rêve américain»
semble plus s’appuyer sur une fiction que sur la réalité.
Pour les démocrates et les
progressistes, le Rêve américain est celui qui permet à chacun de vivre une vie
décente, de pouvoir faire vivre sa famille sans l’angoisse du lendemain et
d’espérer que ses enfants, grâce à son travail et à l’éducation qu’ils
reçoivent, pourront s’élever socialement et avoir un meilleur avenir que celui
de leurs parents et que les enfants de leurs enfants aient, à leur tour
également la même opportunité.
Dans ce cadre, le gouvernement a
un rôle actif à jouer pour offrir cette opportunité à tous.
Pour les républicains et les
conservateurs, le Rêve américain est celui qui offre l’opportunité, à celui qui
en a les capacités et l’envie, de s’élever socialement sans entrave, sans rien
devoir à personne, surtout pas au gouvernement qui ne doit pas intervenir en la
matière, et qui a le droit, une fois fortune faite, de jouir de tout ce qu’il a
récolté grâce à son travail.
Ces deux versions du Rêve
américain peuvent très bien cohabiter en période d’abondance et de forte
croissance comme ce fut le cas, par exemple, de la fin de la Deuxième guerre
mondiale jusqu’au début dans années 1970.
Le prix Nobel d’économie, Paul
Krugman, ardent défenseur du keynésianisme et éditorialiste à succès au New
York Times, s’en rappelle avec nostalgie dans son ouvrage, paru en 2007,
l’«Amérique que nous voulons» («The Conscience of a Liberal»).
En revanche, lorsque le pays se
trouve dans une situation économique plus délicate, comme aujourd’hui, les deux
rêves ne sont plus complémentaires, ils se confrontent.
C’est, soit l’un, soit l’autre.
Ou, en tout cas, c’est ce que
prétendent les démocrates et les républicains.
L’antagonisme sur le Rêve
américain entre les deux grands partis est une des expressions les plus vives
de leurs oppositions idéologiques de plus en plus exacerbées.
Chacun des deux dénoncent dans le
rêve de l’autre une perversion du «vrai» rêve qui est, bien évidemment, celui
qu’il promeut.
Le Rêve américain ne serait donc
plus cette vision collective qui guiderait la nation mais un enjeu idéologique
et politique.
C’est la vision même de la
fonction de la communauté américaine qui est en jeu. Pour les démocrates, ceux
qui ont doivent aider ceux qui n’ont pas.
Pour les républicains, ceux qui
ont n’ont aucune obligation en la matière autre que morale et, en ce qui
concerne ceux qui n’ont pas, ils les voient plutôt comme «ceux qui n’ont pas
encore»…
Du coup, ce n’est pas en leur
donnant des aides, ces fameux «entitlements» («droit à») qu’ils s’en sortiront
mais en leur donnant la même chance d’y parvenir («equality of opportunity»)
que les autres, rien de plus.
Sondages
des sondages au 5 septembre 2016
|
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L’écart
entre Clinton et Trump se réduit
|
|||
|
Clinton
|
Trump
|
Ecart
|
Election projection
|
46,5%
|
41,8%
|
Clinton 4,5
|
Five Thirty Eight (1)
|
41,8 %
|
38,8%
|
Clinton 3,0
|
Huffington Post
|
47,1%
|
41,7%
|
Clinton 5,4
|
New York Times
|
43,0%
|
40,0%
|
Clinton 3,0
|
Polltracker TPM
|
44,8%
|
43,4%
|
Clinton 1,4
|
Pure Polling
|
45,9%
|
41,2%
|
Clinton 4,7
|
Real Clear Politics
|
46,0%
|
42,1%
|
Clinton 3,9
|
270 to win (1) (2)
|
46,0%
|
41,8%
|
Clinton 4,2
|
(1) Prend en
compte 3 candidatures (+ Gary Johnson – Libertarian party)
(2) Prend en
compte un mois de sondage alors que les autres prennent
en compte autour de 15 jours
de sondages
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
Présidentielle USA 2016
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