Après avoir clairement expliqué que les centristes Barack
Obama et Hillary Clinton étaient les cofondateurs de Daesh – il a même affirmé
qu’il ne s’agissait pas d’une métaphore mais de la réalité –, Donald Trump est
revenu en arrière, comme souvent, pour dire que ce n’était que sarcasmes et que
les médias étaient bien stupides de croire sérieusement ce qu’il disait.
Et le pire, c’est qu’il n’a pas tout à fait tort!
Le Trump public est un personnage issu directement des
médias qui l’ont fait, qui l’ont promu et qui en ont tiré avantage et profits
depuis des décennies.
Star du système de téléréalité et de l’entertainement, lorsqu’il
s’est présenté à la présidentielle, dès son annonce en juin 2015, les médias
ont donc «naturellement» déversé une masse énorme d’articles, de reportages et
d’enquêtes qui n’a cessé de croître lorsque le promoteur newyorkais a commencé
à recevoir un écho positif de sa candidature dans les sondages.
Grâce à cette couverture, souvent indigne de part son
ampleur mais aussi à l’époque par sa mansuétude face à des propos déjà
scandaleux, certaines organisations ont estimé que rien que pour l’année 2015,
il avait pu économiser deux milliards de dollars pour la promotion de sa
campagne et de ses «idées».
Ce qui ne l’a pas empêché de se plaindre constamment des
journalistes, de cracher sur eux (comme sur Megyn Kelly de Fox news), de se
moquer d’eux (notamment de l’un d’entre eux du New York Times, handicapé), de
retirer à certains leurs accréditations, et de monter ses fans contre eux lors
de ses meetings avec, à la clé, injures et menaces de ses derniers lorsqu’ils
passent devant l’espace réservé à la presse.
Néanmoins, dans un premier temps, les médias n’ont pas
réagi, se sont laissés trainer dans la boue et ont continué à lui donner largement
la parole sans trop mettre en doute ses thèses abracadabrantes et dénoncer ses
attaques inqualifiables.
Il a fallu que le populiste démagogue dépasse vraiment les
bornes pour qu’ils réagissent et commencent à aller au fond des choses et à
dénoncer des propos irresponsables, mensongers et dangereux pour la démocratie.
Ce qui a évidemment permis à Donald Trump de les insulter
encore plus et de les dénoncer comme des organisations qui veulent sa perte et
qui sont en train de truquer l’élection, sans évidemment en apporter la moindre
preuve.
Une attitude qui est sûre de donner des résultats vu le peu
de confiance des américains dans la presse – comme c’est le cas de l’ensemble
des populations des démocraties – en particulier de la base populaire du Parti
républicain.
De ce point de vue, pour nous Français, Trump utilise les
mêmes vielles recettes poujadistes de la famille Le Pen: dire n’importe quoi et
ensuite se plaindre quand la presse s’en fait un écho critique.
Mais il ne faudrait pas oublier que les relations
particulières entre les médias et le Parti républicain ne datent pas de
l’entrée dans l’arène politique de Donald Trump.
Qualifiés de «liberals» (de gauche) par les républicains,
les médias ont toujours été accusés par ces derniers de pencher systématiquement
pour le Parti démocrate.
D’autant que les grands organes de presse se trouvent dans
les villes, notamment de la côte Est et de la côte Ouest, c’est-à-dire dans des
zones où l’ouverture d’esprit est nettement plus grande que dans le Midwest et
où, généralement, les démocrates sont mieux implantés que les républicains
(même si New York et la Californie ont compté nombre de gouverneurs
républicains, par exemple).
La création de Fox news, télévision conservatrice d’information
en continue, était une entreprise du camp républicain, autour de Rupert Murdoch
et de Roger Ailes, de donner à la Droite un organe de presse puissant pour
contrecarrer cette soi-disant influence de la Gauche.
La dérive de la chaîne qui est souvent plus de droite
radicale voire d’extrême-droite que de droite tout court est allée de pair avec
une radicalisation du Parti républicain qui a, dans le même temps, tenté auprès
des médias une forte propagande afin de déplacer le Centre vers la Droite avec
un certain succès afin de diaboliser les démocrates comme de dangereux
gauchistes (comme ça été le cas pour Obama), alors même que depuis 1990, ces
derniers se sont largement recentrés avec une aile gauche minoritaire même si
elle a repris un peu de poil de la bête lors de la primaire avec la présence de
Bernie Sanders (dont le positionnement socialiste fait d’ailleurs qu’il n’est
pas membre du Parti démocrate).
Même si, aujourd’hui, les médias ne sont plus tout à fait dupes
et ont compris que le Parti républicain avait fait un virage à droite, voire
très à droite, il n’en reste pas moins vrai que, lors des primaires, ils se
sont mis à chercher le candidat «centriste» qui pourrait s’opposer au populiste
Trump et à l’idéologue radical Cruz.
Et ils ont pensé le trouver en John Kasich, le gouverneur de
l’Ohio, qui est pourtant un reaganien de toujours et qui le revendique haut et
fort, c’est-à-dire un conservateur de droite qui n’a presque rien à voire avec
le Centre…
Dès lors, le Parti républicain est devenu une force plus
proche de l’ultra-conservatisme que d’un quelconque centre-droit même s’il
reste quelques personnalités modérées en son sein mais qui font profil bas,
voire qui, comme le sénateur de l’Arizona, John Mc Cain ont épousé beaucoup de
thèses du Tea party (organisation proche de l’extrême-droite républicaine) pour
se faire réélire.
Ce tournant républicain a permis à toute une catégorie de
gens revanchards, haineux et adeptes des théories du complot de rejoindre les
rangs du parti et, pour certains, de devenir gouverneurs, sénateurs ou représentants.
Cette libération de la parole populiste et démagogique ainsi
que le rejet du politiquement correct (qu’a dénoncé de manière pathétique Clint
Eastwood en apportant son soutien à Trump) datent d’il y a une dizaine d’années.
Pour beaucoup d’observateurs, ce tournant serait en très
grande partie à l’origine du phénomène Trump.
Ainsi, quand le Tea party s’est mis à insulter Barack Obama,
dès la création du mouvement, courant 2009 – en le traitant, au choix, de
Staline, d’Hitler ou du joker de Batman –, les républicains n’ont pas bronché
et ne l’ont pas condamné, certains les relayant même.
Quand il a prétendu qu’il était un musulman kenyan né en
Indonésie et donc inéligible en tant que président des Etats-Unis, les
républicains n’ont pas bronché et ne l’ont pas condamné, certains relayant même
l’allégation.
Quand il a affirmé que la loi sur l’assurance santé
contenait l’euthanasie des personnes âgées, les républicains n’ont pas bronché
et ne l’ont pas condamné, certains, comme Sarah Palin, en faisant un cheval de
bataille.
Et au fil du temps, ce sont l’ensemble des républicains qui
ont repris ces allégations.
Ils avaient déjà commencé avec Bill Clinton en 1994 avec un
personnage assez trouble, Newt Gingrich, alors speaker (président) de la
Chambre des représentants et aujourd’hui, un des principaux soutiens de… Trump!
La boucle est bouclée.
Pour en revenir au candidat républicain et à sa relation
avec les médias, Donald Trump a pensé, au départ, pouvoir les utiliser et les
manipuler tout en les insultant, lui l’homme le plus intelligent du monde selon
ses dires.
Et, il faut bien l’avouer, cette stratégie a donné de très
bons résultats pendant un certain temps, d’autant que les journalistes
américains ont peu de sympathie pour Hillary Clinton et que beaucoup ont eu des
yeux de Chimène pour un autre populiste, Bernie Sanders.
Néanmoins, les dérapages de plus en plus nombreux et
scabreux voire inadmissibles du promoteur newyorkais ont réveillé les médias
qui se sont rappelés qu’en démocratie, au-delà de leur «impartialité» et de la
nécessité de remplir les caisses pour exister et payer les actionnaires, il y
avait une mission d’information et, pour certains, de défense de la démocratie
et de la liberté.
Mais il ne faut pas croire que ces médias se sont, tout d’un
coup, rués comme à la curée sur le pauvre Donald pour l’abattre.
Et il ne faut pas croire que cette soudaine lucidité sur
cette candidature, sorte d’excroissance purulente de la démocratie, voire
enfant naturel de la médiocratie et de la médiacratie, est unanime, à la fois
dans tous les médias et à chaque instant.
Bien sûr, le grand quotidien conservateur, Wall Street
Journal, propriété de Murdoch, vient de lancer un ultimatum à Trump en l’enjoignant
de changer ou de se retirer de la course à la présidence.
Cependant, il suffirait que le candidat républicain
parvienne à se maîtriser quelques semaines (ce dont il s’est montré incapable
jusqu’à présent) pour que les médias redeviennent bienveillants envers lui.
En tout cas, actuellement, c’est une charge contre Trump
après ses déclarations incendiaires contre les journalistes, comme en témoigne,
parmi des milliers et des milliers d’exemples, l’article de Zeke Miller du
magazine Time:
« Après trois semaines malheureuses pour sa campagne, Donald
Trump s’est déchaîné violemment contre la presse dimanche dans une série de
tweets, accusant la perception biaisée des médias à son encontre d’être
responsable de sa chute dans les sondages. Par exemple, Trump a affirmé qu’il aurait
vingt points de plus qu’Hillary Clinton ‘si les médias dégoûtants et corrompus
me couvraient honnêtement et ne mettaient pas de fausses significations dans
les mots je dis’. Pendant ce temps, ses conseillers ont fait le tour des émissions
politiques du dimanche matin pour relayer ce thème. La tactique de Trump de
blâmer la presse n’est pas nouvelle, particulièrement pour lui, mais elle
marque sa dernière tentative pour délégitimiser des institutions publiques, qui
dans ce cas, ont commis le péché mortel de le citer directement. Trump cherche
des cibles faciles pour se défausser de la responsabilité de sa campagne
chancelante, la vraie responsabilité se trouve chez le candidat, qui a piétiné
son propre message maintes et maintes fois».
Pourtant, ce serait être un ingénu crédible que de croire
que les médias ont fait définitivement leur mea culpa envers Trump.
Car, quelques jours seulement avant cette nouvelle passe d’arme
entre ce dernier les journalistes, le ton était tout autre.
Par exemple, il est ainsi inadmissible de lire, sous la plume
du même Zeke Miller qu’Hillary Clinton est «ennuyante» quand elle ne s’attaque
pas à Trump.
Penser qu’une campagne présidentielle doit être un match de
catch où l’on s’insulte allègrement pour être intéressante est pathétique.
De son côté, Kate Bolduan, qui anime tous les jours une
émission sur la présidentielle sur CNN, a osé mettre en parallèle les mensonges
de Trump et le discours de Clinton en affirmant qu’ils étaient de la même
trempe.
La même CNN qui a retransmis l’intégralité d’un discours de
Trump proférant des attaques mensongères et grossières sur Hillary Clinton
alors que ça n’a pas été le cas de celui de celle-ci, le même jour, qui, lui,
contenait un vrai programme économique.
Sans doute moins intéressant pour un taux d’audience même si
plus important pour le débat démocratique…
Sans parler de Maggie Harberman du New York Times qui a pu
titrer son article sur le «bon jour» de Trump grâce à un discours de mensonges,
d’insultes et de vide programmatique et de substance, tout simplement parce
qu’il s’en prenait avec hargne à Hillary Clinton.
Voilà souvent le degré zéro du journalisme.
Car il n’était pas et n’est toujours pas possible d’écouter
Trump débiter ses mensonges sans les pointer, ce que les médias ont fait
épisodiquement jusqu’à présent, passant immédiatement à autre chose comme si
les diatribes du promoteur newyorkais faisaient partie d’une campagne
électorale normale et n’étaient que des épiphénomènes qui devaient être oubliés
dès qu’elles sont proférées.
Bien entendu, cela ressort de l’information 24h sur 24
qu’ont inventée les chaînes de télévision et les stations de radio
d’information en continu puis internet.
Dans ce cadre, tout est éphémère, tout est un événement,
tout est information, tout est spectacle, tout est taux d’audience au mépris
même du devoir d’information des journalistes dans une démocratie républicaine.
Car l’information n’est pas un produit comme un autre et ne
doit jamais le devenir.
Espérons, malgré tout, que les médias ont compris que Trump
était également un danger pour eux, lui qui a expliqué que la liberté de presse
devrait être nettement plus encadrée pour empêcher les «mensonges» comme ceux
dont il estime être victime et qui ne sont que la transcription de ses propres
dires…
Sondages
des sondages au 16 août 2016
|
|||
Clinton toujours
largement en tête
|
|||
|
Clinton
|
Trump
|
Ecart
|
Election projection
|
48,0%
|
39,9%
|
Clinton 8,1
|
Five Thirty Eight (1)
|
43,6 %
|
36,1%
|
Clinton 7,5
|
Huffington Post
|
47,7%
|
40,3%
|
Clinton 6,7
|
New York Times
|
46,0%
|
39,0%
|
Clinton 7,0
|
Polltracker
|
43,0%
|
37,8%
|
Clinton 5,2
|
Pure Polling
|
46,8%
|
38,7%
|
Clinton 8,1
|
Real Clear Politics
|
47,8%
|
41,0%
|
Clinton 6,8
|
270 to win (1) (2)
|
47,0%
|
40,0%
|
Clinton 7,0
|
(1) Prend en
compte 3 candidatures (+ Gary Johnson – Libertarian party)
(2) Prend en
compte un mois de sondage alors que les autres prennent
en compte autour de 15 jours
de sondages
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
Présidentielle USA 2016
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