Une brève parue la semaine dernière dans le magazine
l’Express se faisait l’écho d’un déjeuner entre François Bayrou et Hervé Morin.
Au-delà de cette rencontre qui n’est pas un événement ni une
première depuis que les deux hommes se sont réconciliés, elle recouvre des
objectifs différents pour chacun des deux hommes.
Si Morin entend utiliser le président du Mouvement démocrate
dans son entreprise de déstabilisation de l’UDI et de destruction politique
totale de son ennemi juré, Jean-Christophe Lagarde, Bayrou, lui, a un autre
agenda.
Son utilisation par la réconciliation du président du
Nouveau centre (composante de l’UDI) et d’autres centristes en rupture de ban
avec lui depuis 2007, vise à préparer une réunification du Centre sous sa
direction.
Toujours est-il qu’on peut se demander s’il veut et s’il
peut faire cette opération avant la présidentielle, soit pour mener les troupes
centristes derrière sa candidature ou derrière celle d’Alain Juppé ou si son
horizon est l’après-2017 avec la constitution d’un parti unique du Centre qui
bénéficierait des largesses lors des législatives qui suivront la
présidentielle d’un président Juppé pour son ami et soutien Bayrou afin de
constituer un groupe parlementaire suffisant pour ses ambitions mais aussi pour
apparaître incontournable à tous les centristes du MoDem, de l’UDI, d’ailleurs
et même de LR.
Les écueils à ces deux stratégies sont nombreux.
D’abord, beaucoup de membres de l’UDI ne se voient pas du
tout ses subordonnés et ne sont pas prêts à enterrer la hache de guerre,
certains étant même plus proches de Nicolas Sarkozy que de lui comme Maurice
Leroy ou François Sauvadet.
Ainsi, rien ne dit que si Juppé n’est pas le candidat LR et
que Bayrou se présente, que l’ensemble du Centre se regroupe derrière lui.
A cette question, ni Morin, ni Lagarde, ni aucun leader
centriste n’a répondu par l’affirmative pour l’instant.
Mais, même après la présidentielle, que ce soit Juppé ou
Sarkozy qui l’emporte, rien ne dit, non plus, qu’il aura la possibilité
politique d’être l’unique représentant du Centre légitime à le diriger.
Se rapprocher d’Hervé Morin, comme c’est le cas depuis
plusieurs mois, c’est, automatiquement, s’éloigner de Jean-Christophe Lagarde.
Et on ne voit pas ce dernier – superbement ignoré par Bayrou
depuis qu’il a été élu président de l’UDI – lui faire allégeance d’une manière
ou d’une autre.
Néanmoins, 2017 peut-être un nouveau moment de vérité pour
les partis centristes et le choix pourrait être Bayrou ou une quasi-disparition
de l’échiquier politique.
Nous n’en sommes pas encore là.
En tout cas, si l’on reprend ses nombreuses interventions
médiatiques depuis le début de l’année, on s’aperçoit que le président du MoDem
a évoqué à de multiples reprises, cette réunification et qu’il s’est présenté
comme le légitime ordonnateur et leader de celle-ci.
Lors du grand jury RTL du 1er mai, François
Bayrou répète ainsi qu’il est le porte-étendard du Centre expliquant que le
Centre en France représente 15% des voix quand il est uni.
Cette volonté de réunir le «Centre dispersé» qui «est un
courant politique très important» selon ses termes, Bayrou explique, le 31 mars
sur Public Sénat, qu’il ne cherche pas à le «récupérer» mais à le faire «se
réunir»: «J'ai fait beaucoup de sacrifices pour cela. Il y a en France un Centre
digne de ce nom. Ce Centre pèserait, s'il existait, entre 15% et 20% des voix.
On en a profondément besoin puisque l'on a besoin de changer la majorité. On a
besoin de faire que puissent se parler, réfléchir et agir ensemble des courants
qui pour l'instant sont dans des camps opposés et qui pourtant sur l'essentiel
pensent la même chose».
Et, évidemment, il se redit légitime à le faire car c’est
bien grâce à lui qu’il existe dans les sondages: «le sondage paru hier dans Le
Monde mesure ce courant sous mon nom à 13% des voix quand François Hollande est
à 16. Vous voyez que c'est un courant extrêmement puissant. Il suffirait qu'il
comprenne qu'on l'attend, qu'il faut qu'il se réunisse...».
Des sondages qu’il évoque déjà le 25 février lors d’une
interview sur Radio Notre-Dame: «Si vous regardez les dernières enquêtes
d’opinion, y compris les dernières intentions de vote à l’élection
présidentielle, alors vous vous apercevez de quelque chose d’extraordinairement
frappant: il y a un courant puissant qui attend cette proposition politique, qui
se situe – cela dépend à 10%, 15%, 18% des voix et c’est le seul courant de la
vie politique française qui ne soit pas organisé. Mon intention, mon objectif,
est de contribuer à l’organisation de ce courant. Que dit la dernière enquête
IFOP/Fiducial? François Hollande - qui est la figure du PS - est entre 16 et 18
%. Nicolas Sarkozy, figure de l’UMP, est entre 18 et 20 %. Le courant qui
choisit de voter pour un bulletin de vote qui porterait mon nom est entre 15 et
18 %, c’est-à-dire à peu près au même niveau. C’est extraordinaire!».
Le 22 mars, dans les colonnes de Paris Match, il affirme
qu’il a «toujours défendu le rassemblement du Centre, d’un Centre indépendant,
contre l’idée fallacieuse qui a présidé à la création de l’UMP : un ‘parti unique
de la Droite et du Centre’. Droite et Centre, ce ne sont pas les nuances d’une
même couleur. Chacun a son identité. Refaisons l’unité du Centre, un Centre
conscient de ce qu’il est, déterminé dans son projet.»
Une déclaration qu’il reprend le 25 mai sur la chaine LCP: «Le
Centre c’est une vision différente, ce n’est pas d’un côté ou de l’autre. Je ne
dis pas ni d’un côté ou de l’autre. Le Centre c’est la garantie du pluralisme,
en France il y a 5 ou 6 familles politiques. Le Centre devrait avoir la sienne
et son indépendance. Or refuser l’indépendance du Centre comme je lis un
certain nombre de déclarations. Cela veut dire qu’on se condamne à ne pas avoir
un Centre fort, puissant, proposant, rassembleur dont le pays a besoin. Mais
cela viendra».
Et si l’on doutait encore de sa légitimité de l’incarner, il
rappelle, dans la revue Charles d’avril, «Les 18,5% que j’ai réunis en 2007
rassemblaient toutes les sensibilités du Centre».
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC