Comme les Etats-Unis d’Amérique, l’Union européenne est
d’abord une idée.
Et même si Abraham Lincoln s’est battu pour garder son pays
uni et contre l’esclavage, il s’est d’abord battu, comme il l’a dit avec tant de
profondeur dans son fameux discours sur le champ de bataille ensanglanté de
Gettysburg, pour que vivent l’idée de démocratie républicaine, celle d’un
peuple libre, et celle d’«un gouvernement du peuple pour le peuple par le
peuple», selon sa fameuse formule.
Car la construction américaine était alors unique dans le
monde, ainsi que l’est aujourd’hui la construction européenne.
Tout comme le pose le Brexit pour l’idée européenne, la
Guerre de sécession posait la question de la pertinence de l’idée américaine.
De même, une des grandes différences entre Hillary Clinton
et Donald Trump pour la présidentielle américaine du 8 novembre est la bataille
entre l’idée des Etats-Unis d’Amérique défendue par la centriste et la vision d’un
pays fermé sur une interprétation étriquée de l’idée de nation qui fut
récupérée au XIX° et au XX° siècles par l’extrême-droite pour exclure et
désigner l’autre, celui qui est différent, comme l’ennemi à abattre.
C’est ce qui se passe avec le Brexit et les diatribes des
antieuropéens britanniques, il suffit d’écouter le démagogue Boris Johnson,
l’ancien maire de Londres, et encore il est un des plus modérés de son camp!
Et il n’est pas étonnant que l’idée des Etats-Unis d’Europe
soit avant tout défendue par le Centre comme l’est l’idée des Etats-Unis
d’Amérique.
Abraham Lincoln était un centriste, Robert Schuman aussi.
Ce n’est pas un hasard, non plus, que le président des
Etats-Unis, Barack Obama, un centriste, est venu dire aux Britanniques qu’il
fallait qu’ils votent pour le maintien de leur pays dans l’Europe.
Bien entendu, l’idée doit se concrétiser et les
dysfonctionnements de l’Union européenne sont du pain béni pour tous ses
adversaires.
Idem aux Etats-Unis où Trump fustige les ratés d’une société
ouverte.
Mais l’idée demeure tant ici qu’outre-Atlantique.
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les défenseurs de
l’Union européenne et d’une intégration plus poussée qui doit conduire vers une
fédération sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique (avec, évidemment, des
spécificités différentes), sont partagés sur la sortie du Royaume Uni.
Car si ce dernier demeure dans l’Union européenne, toute
avancée majeure sera sans doute bloquée pour longtemps.
En revanche, s’il sort, le risque d’implosion existe.
Vaut-il mieux alors une Europe rachitique et sans espoir ou
une implosion qui oblige à (re)construire un vrai projet d’union et de
fédération?
La réponse est loin d’être évidente, tant l’implosion
pourrait signifier que chacun s’en aille de son côté et non une prise de
conscience de revitaliser, régénérer et redynamiser l’idée européenne.
C’est aussi en cela que le Brexit ressemble à la Guerre de
sécession.
Si le Sud était sorti de l’Union, rien ne permettait de
penser que les Etats-Unis d’Amérique auraient pu continuer à exister, même avec
les 23 Etats qui formaient le Nord car chacun aurait pu, pour n’importe quel
motif, s’en aller lui aussi, délitant petit à petit cette union jusqu’à sa
disparition.
Et rien ne permet de penser que si le Royaume Uni quitte
l’Union européenne, celle-ci saisira l’opportunité du départ de l’«ennemi
intérieur» pour se réinventer, pire pour se rassembler pour ne pas sombrer dans
un délitement progressif et le départ d’autres pays.
Néanmoins, une chose est sûre: quoi qu’il arrive le 23 juin,
jour du vote des Britanniques, l’idée européenne se sera encore affaiblie.
Mais c’est également ce 23 juin que doit absolument
commencer, quoi qu’il arrive, une reconstruction de cette idée.
C’était la volonté d’Abraham Lincoln une fois la victoire
acquise mais son assassinat l’empêcha de le faire.
Heureusement, cahin-caha, les Etats-Unis d’Amérique purent
aller de l’avant même si la plaie de la Guerre de sécession qui s’est terminée
il y a 150 ans n’est toujours pas complètement refermée.
Le problème est que l’Union européenne manque cruellement à
l’heure actuelle d’hommes et de femmes de la stature d’un Lincoln…
Enfin, pour tous ceux qui trouveraient choquant le parallèle
entre le Brexit et la Guerre de sécession qui mit les Etats-Unis d’Amérique à
feu et à sang et provoqua la mort de plus de 620.000 soldats, qu’ils n’oublient
pas la mort de la députée britannique Jo Cox, assassinée uniquement parce
qu’elle défendait l’idée de l’Europe unie.
Une mort ne se compare pas, évidemment, à des centaines de
milliers mais elle est toujours de trop.