Il est bon ton d’affirmer que la centriste Hillary Clinton
mène une mauvaise campagne, que si elle est une politique compétente, elle est,
en revanche, une mauvaise candidate, qu’elle a une personnalité qui est tout
sauf charismatique, qu’elle n’est pas capable de se faire aimer ou même
d’inspirer confiance, que ses choix stratégiques et tactiques ne sont pas
toujours très heureux.
En un mot, elle ne serait ni «likable» (suscitant la
sympathie), ni «electable» (provoquant l’envie de voter pour elle) pour nombre
de commentateurs, deux défauts rédhibitoires pour qui se présente devant le
peuple pour être élu et le gouverner.
Ces déficits expliqueraient en grande partie pourquoi la
centriste, face à des trublions de second ordre, Donald Trump à sa droite et
Bernie Sanders à sa gauche, ne parviendrait pas à faire prévaloir la raison,
mais aussi son expérience et ses qualités dans cette campagne présidentielle et
ne serait pas capable de tailler en pièces les deux populistes démagogues
farfelus qui lui sont opposés.
D’ailleurs, les sondages montrent qu’elle inspire plutôt la
méfiance, voire l’hostilité, d’une majorité d’Américains quant à sa personne
(mais pas quant à ses qualités de dirigeante).
Il est certain que son parcours actuel dans les primaires
démocrates est tout sauf une marche triomphale vers la Maison blanche.
Et que si elle est élue, ce ne sera pas par un raz-de-marée
et dans une liesse populaire même si peu de candidats l’ont été sauf
circonstances particulières.
On pourrait expliquer ses difficultés par le cumul sur sa
personne de plusieurs handicaps indépendants de ce qu’elle est.
Le premier serait que défendre une politique centriste,
c’est-à-dire équilibrée et responsable, ne colle pas avec une emphase dont se
servent les clientélismes de droite et de gauche pour annoncer les lendemains
qui vont soi-disant chanter et le rasage gratis.
C’est en partie vrai mais l’on se rappelle qu’en 2008,
Barack Obama – certes surfant sur quelques malentendus et flous artistiques –
aussi centriste qu’Hillary Clinton, voire même un peu moins à gauche qu’elle,
est parvenu à donner une dynamique populaire incroyable à sa campagne, à sa
candidature, à sa personne pour se retrouver le premier président afro-américain
de l’Histoire des Etats-Unis, même s’il fut favorisé à l’époque par le bilan
désastreux des années George W Bush et de la volonté du peuple américain de
faire une sorte d’acte de rédemption en élisant un afro-américain.
Le deuxième handicap serait que les démocrates centristes
sont depuis huit ans à la Maison blanche avec Barack Obama.
Elire Hillary Clinton serait, pour nombre d’Américains, une
sorte de troisième mandat (voire quatre si elle est réélu en 2020) pour le
président en place.
Et même si ce dernier a une popularité non-négligeable après
plus de sept ans de pouvoir, l’envie de changement pour le changement qui
existe dans toutes les démocraties du monde depuis toujours, mais qui est
devenu une sorte de règle où ce sont plutôt les règnes longs d’un parti ou
d’une personnalité qui deviennent l’exception, joue en défaveur de Clinton.
Le troisième handicap serait qu’elle est une femme.
Or si les Américains ont élu un afro-américain en 2008
(contre une femme, Hillary Clinton!), il faut rappeler que le score de Barack
Obama face à John Mc Cain, le candidat républicain, fut très médiocre au vu de
la situation politique d’alors et du rejet de tout ce qui était républicain
dans le sillage d’un George W Bush largement détesté.
Comme l’on disait à l’époque, même un âne (emblème du Parti
démocrate) aurait été élu à la Maison blanche tellement le ressentiment
vis-à-vis du pouvoir en place était puissant.
Sans faire de parallèle entre le genre et une minorité
ethnique («raciale» dans la terminologie américaine), l’élection d’une femme
rencontre les mêmes préventions auprès d’une partie de l’électorat que celle d’un
afro-américain, en l’occurrence ici celui des hommes blancs des classes
défavorisées et des classes moyennes basses, par exemple, mais pas seulement.
S’en surajoutent d’autres différentes.
Le «plafond de verre» contre lequel se bat Hillary Clinton
depuis des années existe toujours même si elle s’apprête à en détruire une
partie en étant la première femme candidate d’un des deux partis majeurs à une
élection présidentielle.
Le quatrième handicap serait qu’elle est identifiée à
l’establishment de Washington ce qui est toujours un désavantage d’autant plus
dans une année où le populisme et la démagogie sont devenus les clés du succès
politique.
Bien sûr, Donald Trump fait partie des milliardaires qui a
toujours eu des relations proches avec le monde politique et s’en est servi
sans aucune gêne; bien sûr, Bernie Sanders est un sénateur et fait partie, de
facto, de cet establishment de la capitale.
Mais l’un et l’autre ont réussi, grâce à leur posture
populiste et à leurs propos démagogiques, à apparaître comme des «outsiders»,
ceux qui «vont botter les fesses de Washington».
Barack Obama, face à Hillary Clinton, puis face à John Mc
Cain avait réussi le même tour de force par certaines postures et certains
propos qui lui avaient été largement reproché, lui qui était un centriste avec
un programme éminemment centriste et qui se faisait passer pour une sorte de «Mr
Smith au Sénat», c’est-à-dire un ingénu pur et honnête venant nettoyer
Washington de la fripouille, comme le héros du film de Franck Capra interprété
par James Stewart.
Le plus étonnant est que Clinton pâtit indirectement de
cette stratégie électorale d’Obama en 2008 puisqu’une partie des fans de
Sanders (et sans doute quelques uns de Trump), lui ont tourné le dos, justement
en souvenir d’avoir été «trompés», voire «trahis» par Obama!
Ils attendaient de lui une «révolution» – comme celle que
promet Sanders – et ils ont eu la réforme, comme il le disait pour ceux qui
voulaient réellement l’écouter.
Le cinquième handicap serait qu’elle aurait les médias
contre elle or il est extrêmement difficile, mais pas impossible, de remporter
la présidentielle sans leur soutien dans l’ère moderne.
Le désamour des journalistes vis-à-vis d’Hillary Clinton
remonte à loin, depuis le début des années 1990, voire même avant, sans que
l’on puisse réellement avoir une explication rationnelle de celui-ci.
Toujours est-il qu’il a grossi au cours des années et s’est
installée une sorte d’incompréhension entre l’ancienne secrétaire d’Etat
d’Obama et les médias.
Il suffit de lire les quotidiens et de regarder les chaînes
de télévision pour se rendre compte que toutes les nouvelles négatives
vis-à-vis de la candidate démocrate sont montées en épingle alors que toutes
les bonnes sont peu développées.
Dernier exemple en date, le rapport du département d’Etat
sur l’utilisation par Hillary Clinton d’une boite aux lettres personnelles lorsqu’elle
en était la cheffe.
Ainsi que l’ont expliqué quelques experts sérieux, sa
publication n’a strictement rien apporté de plus à ce que l’on ne savait déjà.
Cela n’a pas empêché les journaux d’en faire des gros titres
et les chaînes de télévision d’en faire des «breaking news» avec nombre de
journalistes venant affirmer que les «révélations» du rapport étaient un coup
dur pour Clinton.
Donald Trump et Bernie Sanders, en bons populistes, se
plaignent, eux aussi, d’une couverture négative des médias.
Cela fait même partie de leur posture anti-Washington.
Sauf que Donald Trump a pu bâtir sa campagne grâce à une
couverture 24 heures sur 24 qui en a scandalisé plus d’un et qui a été
quantifié voici plusieurs semaines – les chiffres doivent donc être beaucoup
plus élevés désormais – à plus de deux milliards de dollars de publicité
politique gratuite.
A titre de comparaison, le chiffre d’Hillary Clinton était
aux alentours de 500 millions de dollars.
De même, Bernie Sanders a bénéficié d’une couverture énorme mais
aussi d’une bienveillance étonnante de la part de nombre de journalistes,
beaucoup de ceux qui ne se privent pas de faire de l’«Hillary bashing» dès
qu’ils en ont l’occasion.
On le voit, avec ces cinq handicaps, la tâche d’Hillary
Clinton est déjà extrêmement ardue.
Mais quand est-il de ce qu’elle est, de ses qualités et de
ses défauts, c’est-à-dire de sa responsabilité directe dans son image auprès de
ses concitoyens et de ses difficultés à se faire aimer?
Avant de les passer en revue, rappelons tout de même qu’elle
est largement en tête des primaires démocrates avec plus de trois millions de
votes en sa faveur de plus que Bernie Sanders et que l’énorme majorité des
sondages la donne en tête de l’élection du 8 novembre, comme les deux derniers
en date, le premier publié le 31 mai par NBC (47% contre 45% à Trump) et le
second publié le 1er juin par Quinnipiac (45% contre 41% à Trump).
Le premier problème d’Hillary Clinton est… sa compétence.
Evidemment, ce n’est pas le fait qu’elle possède cette
qualité mais que celle-ci l’empêche souvent d’avoir un message simple,
percutant et efficace pour faire passer ses idées.
De ce point de vue, elle peut être perçue comme une mauvaise
communicante.
Cela se voit d’autant mieux qu’elle a eut face à elle un
Barack Obama en 2008 et aujourd’hui qu’elle fait face à Donald Trump qui ont,
tous deux, un don en la matière même si, paradoxe, elle est sans doute plus
proche de ses électeurs que ne l’a été Obama – très dans l’introspection et
plutôt un cérébral introverti – et ne l’est Trump – qui a une aversion certaine
pour les bains de foule et la promiscuité avec ses fans.
Le deuxième problème est qu’elle n’a pas énormément de
charisme, ce qui n’en fait pas une leader naturelle.
Même si Trump est faux et Sanders plus dans la hargne, il
est évident qu’en la matière, ils sont beaucoup plus efficace qu’elle.
Le troisième problème est qu’Hillary Clinton a été souvent
vu comme cassante avec la presse dans le passé.
Mais, comme nous l’avons vu, ce comportement est avant tout
une réponse à l’agressivité des médias à son encontre.
Néanmoins, aujourd’hui, elle est prise dans un engrenage où
elle peut apparaître à certains aussi fautive que ses contempteurs médiatiques.
Car, même si elle a essayé de recoller les morceaux avec les
journalistes, chacune de leurs attaques ou simplement chacun de leurs
questionnements, légitimes ou non, réveillent en elle une certaine paranoïa
qui, si elle est compréhensible, la met dans une position de défense mais
surtout la fait apparaître comme rigide et peu ouverte au dialogue.
Et elle n’est nullement capable de charmer les journalistes
comme Obama et, encore moins, les insulter et les diffamer comme le fait tous
les jours Trump et comme s’y essaye à périodes répétées, Sanders.
Deux comportements qui, eux, donnent des résultats très
positifs pour ceux qui les adoptent…
Le quatrième problème va de pair avec le troisième.
Ainsi, Clinton n’a jamais su tordre le coup définitivement à
toutes les attaques sur son honnêteté.
Quand Trump la baptise «crooked Hillary» (Hillary la
corrompue), il ne s’appuie sur aucun fait démontré, sur aucune condamnation de
justice.
Mais l’attaque porte parce qu’une majorité des Américains ne
pensent pas que Clinton soit honnête.
Et peu importe que rien n’est démontré sa malhonnêteté jusqu’à
présent car les médias entretiennent systématiquement le flou en la matière ce
qui suffit, en général, à l’opinion publique pour avoir plus que des doutes.
Le cinquième problème est qu’elle a parfois paru hésiter sur
son programme, voire s’est contredite.
Mais tous les candidats à la présidence sont dans le même
cas depuis la création des Etats-Unis.
Ainsi, Trump, surtout, Sanders également, se sont contredits
et manquent de clarté sur les mesures qu’ils soutiennent et la façon dont ils
les mettront en place s’ils sont élus.
Pourtant, vu son statut de «candidate sérieuse», on le lui
reproche plus qu’aux deux autres.
Le sixième problème est sûrement une des bases des cinq autres:
Hillary Clinton ne sait pas se faire aimer.
Si les fans de Donald Trump et de Bernie Sanders leur
pardonnent tout et sont aussi fanatiques dans leurs soutiens, c’est qu’ils
aiment leurs héros.
Ils sont prêts à tout pour les défendre, même à mentir, même
à insulter, même à utiliser la violence.
Peu de tout cela avec Hillary Clinton.
Ceux qui la soutiennent parlent de sa compétence, de sa
brillance intellectuelle, de sa capacité à diriger les Etats-Unis mais peu
s’enflamment et lui font une déclaration d’amour.
Pour terminer, on pourrait se demander si Hillary Clinton
serait encore en vie politiquement parlant si elle avait dit autant de
mensonges et d’imbécillités que Trump et si elle avait adopté les positions
irresponsables et la hargne de Sanders.
Sans doute pas et c’est peut-être la meilleure preuve que,
quoi qu’elle soit, elle a un plafond de verre beaucoup plus haut que n’importe
quelle autre personnalité politique sans que cela ne soit réellement justifié.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
Présidentielle USA 2016
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