Ajouter une légende |
Les Pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique (dont les principaux
sont John Adams, Benjamin Franklin, Alexander Hamilton, John Jay, Thomas
Jefferson, James Madison, et George Washington), ces hommes qui ont inventé la
démocratie républicaine américaine sont instrumentalisés depuis que le pays existe
par tous ceux qui veulent leur faire dire ce qu’ils veulent faire croire qu’ils
ont dit afin d’appuyer leurs propres idéologies.
Car leur parole est souvent d’Evangile pour apprécier les
soubassements de nombre de textes régissant la vie politique américaine, au
premier rang desquels se trouvent évidement la Constitution ainsi que la
Déclaration d’indépendance.
On connait, parce qu’il est le plus médiatisé, ce fameux
deuxième amendement (mesure donc rajoutée a posteriori) qui légitimerait selon
certains le port d’arme dans le pays alors même que les Pères fondateurs, très
méfiants à l’égard du peuple et de ses réactions passionnelles et
irrationnelles, n’auraient jamais autorisé n’importe qui à se promener avec une
arme, a fortiori celles qui circulent aujourd’hui.
Oui, les Pères fondateurs et ceux qui les entouraient à
l’époque ne faisaient pas confiance, en très grande majorité, au peuple.
Pour autant, ils voulaient un régime de liberté et ne
souhaitaient pas, à part une petite minorité, installer une monarchie ou un
régime autoritaire.
Le premier président du pays, George Washington, mis en
pratique ce choix politique une fois élu à la présidence du pays en refusant de
se présenter plus de deux fois (il n’y avait alors aucune loi interdisant de se
présenter autant qu’on le désirait) car il ne voulait pas que les Etats-Unis
deviennent une sorte de monarchie républicaine avec un président à vie.
Donc, ils installèrent une démocratie républicaine laïque et
représentative avec deux idées principales en tête: une démocratie se mesure
aux droits de la minorité et non au pouvoir de la majorité; une république ne
peut fonctionner que si aucun pouvoir n’est absolu et donc le pouvoir se
partage.
Ce sont ces fameux «checks and balances», ces contrepoids
qui permettent d’équilibrer les pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le
judiciaire et même le législatif entre la Chambre des représentants (le peuple)
et le Sénat (les Etats fédérés), suivant en cela les préceptes de Montesquieu.
Pour eux, il valait mieux un pays paralysé que dominé par
une faction quelconque, fut-elle majoritaire.
Cela permettrait d’éviter, selon eux, une tyrannie du plus
grand nombre mais également le populisme et la démagogie.
Si le blocage actuel des institutions avec un président
démocrate et un Congrès républicain ainsi qu’une Cour suprême penchant à droite
mais pas toujours est la résultante voulue par les Pères fondateurs (même s’ils
ne désiraient pas que le gouvernement soit paralysé dans l’absolu, évidemment),
ils ont échoué en ce qui concerne le populisme et la démagogie.
Ce fut le cas, une première fois, en 1829 avec l’élection
d’Andrew Jackson.
Mais ce fut surtout le XX° siècle qui vit de développer,
avec son extension de la démocratie notamment pas l’emprise grandissante des
médias, le populisme démagogique, un mouvement qui atteint aujourd’hui son
paroxysme mais peut-être pas son apogée…
L’élection de Ronald Reagan en 1980 montrait que l’on
pouvait être un acteur de film de série B, faire des publicités pour n’importe
quoi, ne pas être vraiment au courant des affaires du monde et se faire élire
(même si beaucoup considèrent aujourd’hui que les deux mandats de Reagan furent
plutôt une réussite) sur des propos souvent largement populistes et
démagogiques, le tout enveloppé dans un discours conservateur et magnifiant
l’exceptionnalisme américain et le rêve américain (celui des républicains qui
n’est pas exactement le même que celui des démocrates).
Mais, pour beaucoup d’Américains, cette élection prouvait,
une nouvelle fois, que n’importe quel citoyen avait l’opportunité («opportunity»
est un mot quasi-sacré dans le langage politique étasunien) de devenir l’hôte
de la Maison blanche grâce à son travail, ses capacités et à son mérite et que
l’on pouvait restaurer la puissance du pays (la perte de celle-ci est une
angoisse récurrente qui revient par cycles depuis que les Etats-Unis sont
devenus la première puissance mondiale au début du XX° siècle).
De même que l’arrivée au pouvoir d’un Bill Clinton dont la
famille venait des basses classes moyennes démontrait la force de la
méritocratie américaine selon le discours national alors même que toutes les
études montrent que le fameux ascenseur social qui offre une chance à tout le
monde ne fonctionne plus depuis des décennies, s’il a jamais réellement
fonctionné efficacement, d’ailleurs.
Néanmoins, toutes les nations du monde ont besoin de récits
structurants qui permettent de dresser une image positive et rassurante de ce
qu’elles sont ou, plutôt, de ce qu’elles croient qu’elles sont.
On peut dire, cependant, que jusqu’à l’élection de George W
Bush en 2000 face à Al Gore, les candidats populistes étaient plutôt des
exceptions avec Andrew Jackson, Eugene Debs, George Wallace ainsi que Ross Perot,
entre autres.
Quant à être élu, on l’a vu, seul Jackson et à un degré
moindre Reagan, jusqu’à présent, peuvent être considérés comme des populistes
(au sens français du terme).
Depuis 2008 et la première victoire de Barack Obama, les
choses sont devenues autres.
Certains prétendent que c’est le réveil de l’Amérique
blanche moyenne et basse face à la mondialisation mais surtout face à une
société de plus en plus mélangée et cosmopolite où les noirs, les hispaniques,
les asiatiques et autres minorités deviennent majoritaires dans le pays face
aux blancs qui ont produit une poussée populiste démagogique qui n’a cessé
depuis lors de grandir et qui gangrène l’élection présidentielle de cette année.
Un réveil qui est du, il faut le dire également, à la
couleur de l’hôte actuel de la Maison blanche.
En cette année 2008, donc, la candidate républicaine à la
vice-présidence, colistière de John Mc Cain, Sarah Palin, était une inconnue
mais surtout une incompétente notoire, au discours démagogique et populiste
enflammé, ancienne gouverneure de l’Alaska et ancienne miss de cet Etat.
Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, qu’elle soutienne Donald
Trump aujourd’hui.
Le refus des républicains dans leur ensemble de considérer
comme légitime la présidence d’Obama permit à tous les mouvements
contestataires radicaux de droite de prospérer et d’être constamment sous le
feu des médias, un peu comme le furent les mouvements contestataires radicaux
de gauche à la fin des années 1960 et au début des années 1970 mais pour des
motifs bien différents.
Dès lors, la machine à produire de la démagogie et du
populisme était lancée, avec d’autant plus d’énergie qu’elle était soutenue par
un des deux grands partis américains pour des motifs autant idéologiques qu’électoraux.
Tout cela a abouti, in fine, aux candidatures de Donald
Trump et Ted Cruz du côté républicain et de Bernie Sanders, du côté démocrate
pour les primaires qui se déroulent actuellement.
Evidemment, Trump, Cruz et Sanders font des promesses bien
différentes et leurs propos sur l’état des Etats-Unis sont souvent
diamétralement opposés.
Cependant, ils partagent un discours populiste et
démagogique (celui de Sanders vient notamment du mouvement Occupy Wall Street)
qui promet l’impossible et leurs déclarations attisent intentionnellement les
passions et les préjugés des électeurs – les plus inavouables pour Trump – au lieu
d’user d’arguments raisonnables pour s’adresser à leur intelligence.
Si Ted Cruz et Bernie Sanders font planer un grave danger
sur la démocratie, Donald Trump est celui qui représente la menace la plus
grande.
Bill Malher, l’humoriste de gauche très engagé
politiquement, vient ainsi d’apporter son «soutien» à Cruz contre Trump dans la
course à la primaire républicaine, en expliquant qu’avec Ted Cruz, les
Américains auront le pire président jamais élu mais qu’avec Donald Trump, ils auront
le dernier de la démocratie américaine…
De nombreux articles ont été publiés sur cette menace que
fait peser Trump et qu’avaient voulu éviter les Pères fondateurs.
Comme l’éditorial du politologue Michael Gerson dans le
quotidien Washington Post intitulé «Trump est le démagogue que nos Pères
fondateurs craignaient» en rappelant que ces derniers avaient peu d’attrait
pour la «’pure démocratie’ dont ils pensaient qu’elle était particulièrement
vulnérable face aux démagogues. ‘Les hommes de tempérament factieux, aux
préjugés locaux ou aux sinistres desseins’, dit le numéro dix du Fédéraliste
(ndlr: articles rédigés par certains des rédacteurs de la Constitution
américaine pour expliquer le système politique mis en place), peuvent, par
l'intrigue, par la corruption ou par d'autres moyens, d'abord obtenir les
suffrages du peuple, puis trahir leurs intérêts’. Un gouvernement représentatif
est conçu pour contrecarrer les majorités aux sinistres desseins, par la médiation
de l'opinion publique par ‘un organisme choisi des citoyens, dont la sagesse
peut mieux discerner le véritable intérêt de leur pays’».
C’est, bien sûr le Congrès avec la Chambre des représentants
et le Sénat, qui met en pratique le système représentatif mis en avant par
Sieyès, en France quelques années plus tard, lors de la première phase de la
Révolution française.
Le problème semble que ce système représentatif ne puisse
pas empêcher à tous les coups un populiste démagogue d’être élu.
Il est sûr que toute l’architecture bâtie pour privilégier
la modération, le consensus et le compromis, reposant sur un équilibre des
pouvoirs et une représentation pour barrer la route aux passions populaires, sera
très endommagée si Trump est élu.
Mais aussi si c’est Sanders ou Cruz qui le sont
Doit-on
être inquiet? Certainement.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
Présidentielle USA 2016
A lire aussi :