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Emmanuel Macron, emblème du social-libéralisme |
«Le mélange de
libéralisme économique et de libéralisme culturel qui caractérise les sociaux-libéraux
ne permet pas de penser qu’il existe un espace centriste de recomposition de la
vie politique française qui permettrait aux réformistes de gauche et de droite
de se retrouver. Les sociaux-libéraux ne sont pas des centristes et ne votent
qu’en faibles proportions pour les candidats du Centre. Ce ne sont pas non plus
de jeunes ‘bobos’ prêts à prendre la relève réaliste du socialisme archaïque.
Les sociaux-libéraux occupent une position périphérique dans le paysage
politique et il semble bien dangereux d’appuyer une stratégie électorale sur
leur soutien. On mesure ici la fracture entre la demande politique, toujours
très fortement clivée par les enjeux économiques ou sociaux, et la construction
de l’offre politique par un personnel politique pris dans ses jeux d’appareil.»
Telle est la conclusion sans appel d’une «note» signée par
Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et publiée par le Cevipof de
Sciences Po Paris.
On l’a compris, celle-ci tend à démontrer la faiblesse des
sociaux-libéraux (dont le potentiel électoral est estimé à un petit 6%) et leur
incompatibilité politique et électorale avec les centristes et les réformistes
de droite.
Pour son auteur, l’axe central réunissant déjà
idéologiquement ces trois groupes et peut-être, demain, une réalité électorale
et politique dans une grande coalition, est une vue de l’esprit.
Précisons immédiatement que cette étude semble vouloir
démontrer a priori l’incompatibilité des divers acteurs de l’espace central
ainsi qu’une surface électorale des plus limitées pour le social-libéralisme.
Qu’on en juge par les «vérités» assénées: «Les
sociaux-libéraux ne sont pas des centristes qui s’ignorent»; «Même si les
sociaux-libéraux sont favorables au marché sur le plan économique, l’ensemble
de leurs valeurs culturelles les situe clairement à gauche. Ils ne peuvent donc
être considérés comme des électeurs de droite ou du centre ‘récupérables’ par
des stratégies d’union au centre»; «Les sociaux-libéraux sont peu nombreux à
gauche et ne se rapprochent de la droite que sur le terrain économique»; «L’électorat
social-libéral représente à peine 6%».
Mais, l’étude vaut néanmoins la peine d’être discutée car l’union
de ces divers courants proches n’est évidemment pas une évidence et pourrait
même ne jamais se réaliser.
Rappelons d’abord ce qu’est un social-libéral selon les
termes mêmes utilisés par celui qui en est actuellement la figure emblématique,
Emmanuel Macron.
«C’est le clivage entre les progressistes et les
conservateurs qui a du sens. Mais il y a des gens à gauche qui ne sont pas
progressistes et des gens à droite qui voudraient l’être. Ma gauche, c’est une
gauche qui donne des droits par la liberté. Ce n’est pas une gauche qui se
ferme et se recroqueville. J’assume d’être libéral. Je rappelle que,
historiquement, le libéralisme est une valeur de gauche, de défense de
l’égalité des droits.» (Interview au Parisien magazine du 12 novembre 2015)
«En économie, le
libéralisme n’était ni de droite ni de gauche.» (Conférence au Medef février
2016)
«J’ai toujours exprimé un choix clair en faveur d’un
libéralisme économique et politique, avec un socle de solidarité collective, de
régulation.» (Interview Express, 2015)
«Qu'on me dise libéral? Ce mot a beaucoup de significations.
Si libéral veut dire abolir toutes les règles, je ne le suis en aucun cas. Si
c'est trouver les bons endroits pour trouver la règle, déverrouiller les
énergies, je veux bien assumer ce terme.» (Emission Des paroles et des actes, France
2, mars 2015)
Plus globalement, le social-libéralisme ou socialisme libéral
est un courant de la gauche qui est positionné à la droite de la gauche et dont
la vision est celle d’une société où si la liberté est toujours pensée à
travers le prisme de l’égalitarisme, néanmoins, en matière économique, prône
une liberté d’entreprendre ainsi que les règles du marché, bien loin d’une
économie planifiée et contrôlée.
Les chefs de file politiques français de ce courant sont Emmanuel
Macron et, à un degré moindre, Manuel Valls qui préfère s’auto-définir comme un
«social-réformiste» dont on pourrait dire qu’il se situe entre le
social-libéralisme de Macron et la social-démocratie de Hollande.
Ses tenants viennent de la gauche antiautoritaire voire
libertaire et sont dans la droite ligne d’un John Stuart Mill, héraut du
libéralisme «social» au XIX° siècle mais aussi de l’Américain John Rawls (avec
sa théorie de la justice) ou de l’Indien Amartya Sen.
Car, à l’inverse de ce que prétend l’étude, il n’y a pas qu’un
libéralisme mais de multiples qui ont tous comme socle la liberté mais qui
divergent sur nombre d’autres questions.
Pour schématiser, le libéralisme c’est John Locke et John
Stuart Mill, Friedrich Hayek et John Rawls, Benjamin Constant et Charles
Renouvier, John Stuart Mill et Léon Bourgeois, de Robert Nozick et Ronald
Dworkin.
En outre, aucun politologue sérieux n’a jamais prétendu que
les sociaux-libéraux étaient des centristes qui s’ignorent, ni même qu’ils n’étaient
pas de gauche.
Les déclarations à l’emporte-pièce sur ce sujet que l’on a
pu entendre viennent, d’une part, de membres de l’extrême-gauche, de la gauche
radicale et des frondeurs du PS (qui dénient aux sociaux-libéraux le label «gauche»)
et d’autre part de membres de l’UDI comme Jean-Christophe Lagarde ou Hervé
Morin.
Celles des deux derniers cités sont, avant tout, une
tentative politicienne de récupération d’Emmanuel Macron et se placent dans un
jeu tacticien de division du gouvernement Valls.
En revanche, le social-libéralisme est certainement plus
proche du libéralisme social des centristes que du socialisme de l’aile gauche
du parti socialiste et sans doute même que la social-démocratie du président de
la république.
Et l’on peut aussi concevoir qu’il est plus proche des
réformistes de la droite modérée que du Front de gauche.
Dès lors, on peut raisonnablement penser qu’il y a des
convergences de vues entre les sociaux-libéraux, les libéraux sociaux et les
réformistes de droite qui peut se concrétiser dans une coalition
gouvernementale (et non dans un grand parti central).
D’autant que le Centre n’est pas et n’a jamais été
monolithique, du fait même de ses trois principales racines politiques, le
libéralisme, la démocratie-chrétienne et le radicalisme.
Ainsi, la frange de «gauche» du Centre et le centre-gauche
sont extrêmement proches des sociaux-libéraux tant au niveau politique,
économique, social et sociétal.
Par ailleurs, l’étude publiée par le Cevipof évalue le
potentiel électoral du social-libéralisme à 6%.
Ce chiffre est sorti de nulle part puisque les
sociaux-libéraux ne se sont présentés en tant que tels à aucune élection et
aucun sondage sur leur capacité électorale n’existe encore.
Luc Rouhan, pour aboutir à ce pourcentage a croisé les
résultats des élections régionales, peu représentatives des positionnements
politiques des Français, et des indices qu’il a attribué à trois questions
posée dans le sondage IPSOS pour l’«Enquête électoral française 2017» que mène actuellement
le Cevipof en plusieurs vagues.
Ces questions sont: «Faut-il faire davantage confiance aux
entreprises et leur donner plus de liberté?»; «Faut-il donner davantage de
liberté de licenciement aux entreprises?»; «Faut-il réduire le nombre des
fonctionnaires?»
On peut légitimement se poser la question d’un biais dans le
choix de l’élection de référence, surtout dans le choix de ces questions
sachant qu’elles sont généralement celles qui unissent l’électorat de droite en
matière économique et sociale…
Mais ce qui est étrange c’est qu’il existe de nombreux
sondages où l’on a testé la popularité ainsi que les scores au premier tour de
la présidentielle de Manuel Macron et que l’étude n’en fait aucunement mention.
Car si l’on prend les sondages sur l’élection présidentielle
(on laissera de côté les baromètres de popularité qui sont évidemment moins
significatifs en l’espèce), le ministre de l’Economie est bien au-delà des 10%
d’intentions de vote, parfois proche des 20%, voire un petit peu au-dessus.
Sans dire que tous ces sondés qui choisissent Macron sont
des sociaux-libéraux, on voit que le potentiel électoral du social-libéralisme
est nettement plus élevé que ces 6% et peut approcher, voire dépasser les 20%,
sachant que Macron est l’homme politique emblématique du social-libéralisme,
donc que quand les sondés décident de le choisir, ils le font en toute
connaissance de cause.
L’offensive contre le social-libéralisme sera du niveau de
la menace qu’il représente pour la gauche archaïque.
Mais elle a déjà commencé et les amalgames ainsi que les
présentations biaisées seront légions comme ils le sont pour le Centrisme.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC