Nicolas Sarkozy et ses amis l’accusent d’être un centriste
caché dans un déguisement d’homme de droite.
François Hollande et ses amis l’accusent d’être un droitiste
déguisé dans un homme du Centre.
Les amis d’Alain Juppé le voient en homme «central» qui
défie les clivages bien qu’il soit, ajoutent-ils immédiatement, de droite.
Quant aux centristes, ils aimeraient bien le récupérer mais
ont surtout peur de se faire récupérer par lui comme jadis par Balladur…
Le positionnement politique d’Alain Juppé, on le voit, est
tout sauf clair et, surtout, anodin, tant pour ses soutiens que pour ses
adversaires.
Or, le qualifier auprès des Français, c’est soit vouloir le
décrédibiliser, soit tenter de louer son originalité.
On le voit bien avec François Hollande qui est, lui-même,
monté au créneau en glissant cette petite phrase début janvier, «Les
socialistes vont peut-être découvrir qu’Alain Juppé est à droite» puis qui vient
de récidiver en expliquant que «Le masque d'Alain Juppé va tomber tôt ou tard quand
les Français s'apercevront qu'il est le même qu'en 1986, le même qu'en 1995 à
savoir, un homme pas très sympathique qui veut administrer au pays une potion
libérale».
Lorsqu’il décide de se présenter à la présidentielle, le
maire de Bordeaux sait qu’il doit se trouver une ligne politique spécifique.
Il ne peut être le candidat de droite «fier dans ses bottes»
parce qu’il y a déjà Nicolas Sarkozy qui revendique la posture et qu’il sera
difficile de la lui contester.
Il ne peut être le candidat à droite de Sarkozy, l’espace
politique est trop restreint entre l’ancien président de la république et
Marine Le Pen et ce n’est tout de même pas son positionnement «naturel».
Il ne peut se déporter totalement à gauche, cela n’aurait
aucun sens par rapport à ses convictions et ne serait évidemment pas crédible
et sans doute ne lui ferait pas gagner grand chose.
Reste alors cet espace qui est, en gros, celui que voulait
occuper Jean-Louis Borloo en créant l’UDI et qui comprend des modérés de
droite, des centristes, ce qui reste de gaullistes centraux et quelques-uns des
sociaux-libéraux.
Cela correspond à une grande partie de l’axe central (qui va
des gaullo-réformistes aux sociaux-réformistes en passant par les libéraux
sociaux et les sociaux-libéraux) mais pas à sa totalité.
Là, il y a une base intéressante pour créer une dynamique
politique d’autant que Borloo n’est plus là et que ceux qui pourraient le
concurrencer dans cet espace politique n’ont pas la surface politique
suffisante, notamment les dirigeants de l’UDI mais aussi François Bayrou ainsi
que Bruno Le Maire.
Reste qu’on peut identifier l’espace politique adéquat,
encore faut-il l’occuper et être crédible en cela.
Or rien n’est moins sûr quand Juppé se lance dans la
conquête de l’Elysée.
Lui, l’ancien étatiste de droite coloré en gaulliste à la
mode chiraquienne, sait aussi qu’il est considéré dans l’opinion comme un homme
rigide, cassant et aux convictions peu libérales.
De même, son passage à Matignon ne l’a pas révélé comme un
homme d’Etat mais plutôt comme un bon serviteur de son mentor, Jacques Chirac.
Sans oublier ses déboires judiciaires.
Mais Alain Juppé à tout de même des atouts.
D’abord, il a des capacités politiques et intellectuelles
indéniables.
Ensuite, son retour en politique en 2006, après sa condamnation
en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris, a été une
réussite.
Que ce soit à Bordeaux ou au gouvernement, il est apparu
comme un homme qui avait l’expérience, surtout qui avait réussi à en tirer des
conséquences positives, qui n’hurlait pas avec les loups et qui pouvait parler
à tout le monde.
En un mot, il était parvenu à apparaître comme un sage, ce
qui est toujours un plus lorsque l’on vise la fonction suprême.
Capitalisant intelligemment sur cette nouvelle image et
profitant des images désastreuses de Nicolas Sarkozy et de François Hollande
ainsi que du rejet encore largement majoritaire dans la population de Marine Le
Pen, sans oublier de la faiblesse chronique des centristes (et de la mauvaise
posture de Bayrou après la présidentielle et les législatives de 2012), il a
su, non seulement occuper l’espace politique de l’axe central mais est parvenu
à en devenir la figure la plus emblématique auprès de tous ceux qui s’y
reconnaissent, c’est-à-dire la majorité de la population.
Aujourd’hui, non seulement les centristes ne feraient pas le
poids face à sa candidature, mais c’est le cas également de tous ceux qui se
trouvent au centre-droit ou sont des modérés de droite (ou voulant se
positionner comme tels), de François Bayrou à Bruno Le Maire (qui a donc décidé
de se positionner à droite de Juppé) ou Nathalie Kosciuko-Morizet, par exemple.
Mais c’est également le cas pour ceux du centre-gauche ou de
la gauche modérée comme Emmanuel Macron, voire Manuel Valls.
Néanmoins ce positionnement politique n’est pas sans risque
et pose la question de sa crédibilité.
Pas sans risque parce l’électorat d’Alain Juppé est malgré
tout très majoritairement de droite.
Et il n’est pas, on plus, un homme comme Borloo qui a su
toujours déjouer une caractérisation politique partisane trop précise, voire
étroite.
Dès lors, en séduisant à sa gauche, Alain Juppé doit
absolument rassurer à sa droite.
C’est la raison pour laquelle, après avoir joué le
centriste-qui-ne-dit-pas-son-nom pendant plusieurs mois, il est venu affirmer
dans les médias qu’il n’était pas du Centre et ses amis lui ont emboité le pas
en lui trouvant un positionnement «central», pas très heureux parce qu’il
renvoie à une sorte de positionnement «au centre» qui est souvent celui de ceux
qui ont peu d’idées ou qui ne sont que des opportunistes, Yves Jégo de l’UDI en
étant l’exemple parfait.
Mais cette centralité peut aussi renvoyer au Gaullisme qui
voulait transcender les lignes politiques (ce que réussit à faire De Gaulle au
début de la V° République mais pas ses successeurs).
Toujours est-il que cela permet de nier l’accusation de
centrisme proférée par ses adversaires de droite et qui sera certainement
reprise lors de la primaire de LR pour le déstabiliser.
Pour autant, cette position centrale ne lui est pas accordée
par tout le monde, notamment à gauche où l’on voit de plus en plus les
socialistes affirmer que Juppé est un homme de droite et que les Français vont
s’en rendre compte, sous-entendu, les centristes et les sociaux-libéraux ne
doivent pas se laisser prendre au piège mais doivent plutôt se tourner vers
François Hollande qui, lui, est nettement plus modéré que l’ancien premier
ministre de Jacques Chirac.
Même chez les centristes, ce positionnement a été critiqué,
notamment par Hervé Morin qui a déclaré que l’opération centriste de Juppé
consistait, pour ses ambitions personnelles, à phagocyter complètement le
Centre qui courait le risque, si l’opération réussissait, de sa disparition en
tant que force indépendante (rappelons que l’UMP, ancêtre de LR, qui voulait
réunir la Droite et le Centre en un seul parti est une initiative de Jacques
Chirac mise en place par Alain Juppé).
Reste la question ô combien essentielle de la crédibilité du
positionnement «central» d’Alain Juppé.
Si l’on en croit les sondages, les sympathisants centristes
y croient dans leur écrasante majorité.
Non seulement ils voteraient pour lui à la primaire de LR
mais ils feraient de même lors de la présidentielle.
Même une candidature de François Bayrou n’inquièterait pas
Juppé par rapport à cet électorat.
Si l’on se fie aux déclarations et aux ouvrages publiés par
Alain Juppé, force est de constater que la ligne politique est souvent celle
d’un homme de droite modérée, voire de centre-droit.
Même ses propos beaucoup plus à droite sur la sécurité ou
sur le rôle de l’Etat n’entachent pas vraiment cette ligne.
Cependant, Alain Juppé a un passé et s’il a expliqué qu’il
avait commis des erreurs et appris de ses expériences, il n’a rien renié
fondamentalement.
Et ce que l’on peut dire de ce passé, c’est qu’il est celui
d’un homme de droite.
En 1995, lorsque la grande majorité des centristes s’est
rangée derrière Edouard Balladur pour l’élection présidentielle, Alain Juppé
est demeuré derrière Jacques Chirac qui, malgré son discours sur la «fracture
sociale» (qui ne fut suivi d’aucune mesure particulière pour la réduire), était
le candidat de la Droite alors que son «ami de trente ans» était le candidat de
la droite modérée et des libéraux.
Dès lors, rien n’interdit de penser qu’Alain Juppé joue
quelque peu à l’opportuniste.
Non pas qu’il soit le seul.
Le discours à droite toute de Sarkozy est également un
opportunisme et l’on attend celui de Hollande (à gauche toute ou
social-libéral, cela dépendra des sondages et des candidats face à lui!) qui
sera très certainement teinté d’opportunisme.
On ne parlera même pas de ceux de Marine Le Pen, de Jean-Luc
Mélenchon ou même de celui de François Fillon qui s’est découvert sur le tard
plus à droite et plus libéral que Sarkozy.
C’est pour cela qu’il va falloir attendre les joutes
oratoires de la primaire de LR puis celles de la campagne présidentielle ainsi
que toutes les attaques dont Juppé évidemment sera l’objet pour le
décrédibiliser, afin de se faire une idée plus précise de son véritable
positionnement politique ou de la réelle consistance de celui qu’il vend aux
Français actuellement.
Pour autant, il n’est pas sûr que s’il se révèle qu’il n’est
pas celui qu’il dit être politiquement parlant, cela l’élimine automatiquement de
la course à l’Elysée.
Car, les Français élisent une personnalité, tout autant pour
ce qu’elle pense que pour l’image qu’ils en ont.
Et, pour l’image, Alain Juppé sera difficilement délogeable
de sa position «centrale» sauf révélations explosives venues de ses concurrents
ou fautes politiques commises par l’intéressé.
Alexandre Vatimbella
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