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Bernie Sanders |
Depuis les années 1990, les républicains ont pris un virage
de plus en plus à droite qu’ils ne contestent pas même s’ils en discutent
l’importance.
Un virage à droite qui s’est amplifié ces dernières années et
dont les candidats à la primaire du Parti républicain sont le reflet, notamment
Ted Cruz, Marco Rubio et Ben Carson, qui restent en course, mais aussi ceux qui
ont jeté l’éponge comme Rick Santorum, Mike Huckabee, Rand Paul, Carly Fiorina,
Scott Walker, Rick Perry et quelques autres.
Donald Trump, lui, utilise ce virage à droite tout en
surfant sur la montée du populisme engendrée par le mécontentement grandissant
des électeurs vis-à-vis de la classe politique, tant à droite qu’à gauche et au
centre.
Ce qu’il y a certainement de plus emblématique dans cette
nouvelle ligne politique est que trois des candidats encore en lisse, Jeb Bush,
Marco Rubio et John Kasich, sont présentés comme plus ou moins centristes alors
qu’ils sont en réalité des conservateurs sans états d’âme.
George W Bush, l’ancien président des Etats-Unis de 2001 à
2008, pourtant peu soupçonné de progressisme, a dit un jour que son père George
H Bush et même Ronald Reagan, pourtant héros de tous ces candidats que l’on
vient de citer, ne seraient sans doute pas élus candidats du Parti républicain
s’ils se présentaient aujourd’hui parce que pas assez à droite.
Et il n’avait sans doute pas tort.
Rappelons tout de même que Reagan lors de sa victoire en
1980 représentait l’aile droite du Parti républicain et qu’il avait été un
supporter de Barry Goldwater, le candidat républicain à la présidentielle de
1964 et homme d’extrême-droite.
Cela montre la dérive droitière des républicains.
Dans le même temps, sortant d’années de plomb et battus
systématiquement à la présidentielle depuis 1968 (sauf en 1976 avec Jimmy Carter
mais surtout parce que l’on était en plein après-Watergate et les mensonges de
Nixon empêchaient l’élection d’un président républicain), les démocrates
avaient entrepris de se recentrer en marginalisant leur aile gauche qui avait
préempté le parti à la fin des années 1960 après la décision de Lyndon Johnson
de ne pas se représenter et la candidature dramatique de Robert Kennedy aux
primaires.
Cette entreprise s’est concrétisée par cette fameuse «Third
way», Troisième voie, mise en place par de jeunes loups démocrates, dont Bill
Clinton qui accéda avec surprise à la fonction suprême en battant le président
sortant George H Bush en 1992 lors d’une triangulaire (avec la présence du
candidat conservateur «independent», Ross Perot).
Celle-ci a connu un véritable succès puisque, depuis cette
date, les démocrates auraient du occuper la Maison blanche sans discontinuer.
En effet, lors de l’élection l’an 2000, c’est le candidat
démocrate et vice-président sortant, Al Gore, qui a, non seulement, gagné me vote
populaire mais aussi très certainement le nombre le plus important de délégués
(qui élisent le président américain dans une élection populaire indirecte) si l’on
avait réellement recompter les votes en Floride.
Il aurait donc été élu et non George W Bush.
Une réalité électorale qui suit une réalité sociologique d’un
pays où, certes, les conservateurs sont puissants mais où ils ne sont pas
majoritaires, notamment parce que toutes les groupes ethniques en dehors des
blancs, penchent très majoritairement en faveur des démocrates
(afro-américains, hispaniques, américains asiatiques).
Dès lors, le Parti républicain s’est trouvé devant un
dilemme: comment imposer son tournant à droite au pays qui n’en veut pas.
Il a trouvé une première réponse dans le charcutage
électoral pour les élections à la Chambre des représentants.
Grâce à une mobilisation beaucoup plus grande de leurs
sympathisants pour les élections locales, les républicains sont devenus majoritaires
dans les Congrès de chaque Etat de l’Union (ainsi que pour le nombre de gouverneurs).
Et c’est une des prérogatives de ces Congrès de dresser la
carte électorale des Etats en découpant les circonscriptions à leur envie (on
appelle cela le «gerrymandering»).
Résultat, les républicains se sont assurés, au fil des ans, une
majorité de circonscriptions homogènes où ils ne peuvent être battus et d’autres
où il reste une petite chance aux démocrates de pouvoir être élus (et
évidemment des circonscriptions homogènes où les démocrates sont sûrs de
gagner).
Dans bien des Etats, cela leur permet de faire élire en
masse des représentants républicains au Congrès de Washington et de contrôler,
de ce fait, la branche législative au niveau fédéral.
Pour bien se rendre compte du caractère inique de ce
redécoupage, il faut retenir un chiffre.
En 2012, lors de la réélection de Barack Obama, les
candidats démocrates à la Chambre des représentants ont obtenus un million de
voix en plus que ceux du Parti républicain mais n’ont jamais été aussi peu
nombreux à être élus depuis des décennies…
Néanmoins, malgré le fait que l’élection du président des
Etats-Unis se réalisent, à la fois, par le vote de super-délégués et que
ceux-ci ne sont pas redistribués par rapport au vote national mais au vote dans
chaque Etats (ce qui permet de ne pas forcément être élu avec plus grand nombre
de voix mais de l’être en s’adjugeant les Etats-clés, comme la Floride ou l’Ohio,
que l’on appelle aussi les «Swing states» parce qu’ils ne sont pas imprenables
par les deux camps et qu’ils fournissent le nombre de délégués nécessaires pour
l’emporter), les républicains n’ont pu faire main basse sur la Maison blanche.
Ce qui les empêche de mettre en œuvre leur programme très
conservateur et de remodeler le pays de manière très idéologique et
clientéliste (d’autant que jusqu’au 13 février, ils contrôlaient aussi le Cour
suprême avant la mort soudaine de son membre le plus conservateur, Antonin
Scalia).
C’est pourquoi ils ont décidé de diaboliser les démocrates,
particulièrement les candidats à la présidentielle.
Pour y parvenir, leur tournant à droite s’est accompagné d’un
déni d’être devenus extrémistes associé à une violente et constante campagne de
propagande menée entre autres par le biais des idéologues de l’aile radicale du
parti qui n’a eu de cesse, devant le recentrage du Parti démocrate de lui
dénier celui-ci tout en le présentant comme un repère d’infâmes socialistes et
gauchistes.
Lors de la présidence de Bill Clinton mais surtout depuis
l’élection de Barack Obama, deux présidents centristes qui revendiquent ouvertement
cette appellation, ils ont affirmé constamment que ceux-ci n’étaient que de
dangereux socialistes (ou même des communistes, faisant, par exemple, des
rapprochements entre Obama et… Staline!).
En outre, leur haine viscérale d’Hillary Clinton ne s’explique
pas autrement.
Idéologiquement il s’agissait donc de présenter leur nouvelle
ligne politique suite à leur virage à droite comme le nouveau centre de la
politique américaine, donc le point d’équilibre de la politique.
Cette supercherie permettait ainsi de prétendre que les
démocrates avaient viré à gauche alors, qu’en réalité, c’est eux qui avaient
viré à droite.
Elle permet également de présenter John Kasich, comme le candidat
à la candidature pour la présidentielle le plus centriste du Parti républicain
alors qu’il est en réalité un conservateur bon teint et un des responsables de
la politique très conservatrice de Ronald Reagan au Congrès.
Cette campagne de communication des républicains a pris un
tour systématique et virulent, avec insultes à la clé, pendant les premières
années de la présidence d’Obama qui était un véritable danger pour eux car il
se présentait en modéré, voulant travailler avec tout le monde et avait même
inventé le terme «post-partisan» qui signifiait dans son esprit, la fin des
affrontements camp contre camp avec la mise en place de majorités de
circonstances sur des sujets variés.
Pour nombre de républicains, qui l’ont dit plus ou moins
ouvertement (notamment lors d’une réunion des élus du parti au Congrès début
2009), il fallait empêcher par tous les moyens Obama de réussir en bloquant
systématiquement les institutions.
Cette entreprise de caricaturer Barack Obama en homme de
gauche a, étonnamment, obtenu un certain succès auprès de certains médias
pourtant peu réputés pour être conservateurs ou de droite radicale.
Dans le même temps, en mettant en œuvre concrètement le
blocage des institutions par une opposition de tous les instants et jamais vue
au Congrès (ce qui en fait une des institutions les plus détestées des
Américains), en refusant toute augmentation de salaires et tout partage de la
richesse et en promouvant l’enrichissement indécent de quelques uns, en s’opposant
à toute mesure sociale (comme l’assurance santé), en glorifiant le port d’arme,
en voulant remettre en question le droit à l’avortement, en attaquant toute
politique d’intégration de certains immigrants illégaux, en niant le
réchauffement climatique ils sont effectivement parvenus, petit à petit, à radicaliser
une partie des sympathisants et des électeurs démocrates ainsi qu’à redonner
voix à cette frange très «liberal» (très à gauche) du Parti démocrate qui
existe toujours même si elle demeure minoritaire depuis qu’elle avait été
largement marginalisée après le désastre électoral de 1972 avec la candidature
de George Mc Govern à la présidentielle face à Nixon.
Et cela s’est traduit par le phénomène Bernie Sanders qui
est une victoire pour les radicaux républicains.
Sa popularité auprès d’une partie des démocrates, mais aussi
de la jeunesse et des «independents» de gauche (les «independents» sont des
gens qui ne sont pas affiliés à un parti et dont le positionnement peut aller
de l’extrême-droite à l’extrême-gauche), est bien la résultante de cette
tentative de gauchiser le Parti démocrate en provoquant une réaction de ses
sympathisants face une droitisation extrême du Parti républicain.
Cette gauchisation venue d’un homme extérieur au parti –
Bernie Sanders n’est pas un démocrate, il est seulement affilié au groupe
sénatorial du parti – est en train de prendre une tournure plus importante avec
les attaques contre le progressisme d’Hillary Clinton par le camp Sanders,
comme si un progressiste était nécessairement une personnalité à gauche de
l’échiquier politique.
Quand Clinton se définit comme «une progressiste qui veut des
résultats concrets», elle ne fait que définir ce qu’est un centriste, un
réformateur pragmatiste qui préfère des avancées réelles à des incantations
idéologiques qui n’ont aucune chance de réussir.
Le site internet américain de l’Huffington Post affirme
ainsi ce n’est que Clinton n’est pas progressiste mais qu’elle est «prudente».
Mais cette prudence est bien l’apanage de ceux qui
recherchent le juste équilibre qui ne se construit pas par un coup de baguette
magique comme l’espèrent ceux qui, à droite et à gauche, portent les mesures
clientélistes et s’enorgueillissent de mauvaises réformes parce que décidées
dans une sorte de ferveur partisane peu propice à une bonne gouvernance.
Mais il est évident, par exemple, qu’entre Barack Obama et
Hillary Clinton, le premier est du Centre-centre alors que la deuxième a un
tropisme un peu plus centre-gauche.
Et l’énorme erreur faite par les liberals en 2007 pour leurs
idées est d’avoir soutenu Obama face à Clinton.
Toujours est-il que la nomination de Bernie Sanders comme candidat
du Parti démocrate, même si elle reste largement hypothétique mais pas impossible
désormais, serait une victoire du Parti républicain et une grande chance pour
lui de gagner la présidentielle du 8 novembre prochain.
Elle serait une défaite du centrisme américain et
installerait, sans doute, à la Maison blanche, un conservateur très à droite.
Elle renverrait le Parti démocrate à ses démons gauchistes
et à une grave crise d’identité.
Le rêve des idéologues républicains serait enfin devenu
réalité.
A moins qu’une candidature de Michael Bloomberg, rabatte les
cartes.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
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