Une des grandes différences entre le libéralisme, le
socialisme et le conservatisme, c’est la place de l’individu et de sa
réalisation.
Pour les libéraux, même s’il existe une évidente dimension
collective à cette réalisation, c’est l’individu qui porte en lui-même son
émancipation, qui construit sa vie, qui prend son destin en main et qui est
capable de saisir les opportunités par son mérite et sa responsabilité.
Pour les socialistes, mouvement né en réaction au
libéralisme, c’est au contraire dans la communauté et par la communauté que
l’individu se réalisera et s’émancipera pleinement, ce qui lui impose de mettre
au service de celle-ci ses capacités.
Pour les conservateurs, dont le libéralisme était une
réaction, il s’agit de conserver des relations sociales où l’individu s’insère dans
le collectif, non pour s’émanciper mais pour occuper une place en regard de ses
capacités mais également de l’ordre social même si la possibilité de s’en
extraire par la réussite est une possibilité.
On se sera pas étonné dès lors des attaques virulentes de la
Gauche et de la Droite envers l’individualisme qui serait responsable de tous
les maux de notre société actuelle.
Ce qui est plus étonnant, c’est la récupération à droite des
travaux des sociologues, discipline généralement à gauche et peu appréciée par
les gens de droite.
Mais il existe désormais une certaine proximité idéologique
entre une certaine gauche et une certaine droite (on ne parle pas des extrêmes
de gauche et de droite qui ont des points de convergence depuis toujours) dont
l’ennemi commun est le libéralisme permissif et son représentant diabolique, l’individu.
On le constate d’ailleurs dans les discours mais également
dans les passerelles qui existent chez les intellectuels de ces deux bords qui
partagent nombre d’idées et ont souvent des lignes politiques parallèles.
Ces attaques contre le libéralisme et l’individu ont
également en commun la mauvaise foi et confondent sciemment les principes et
leurs dévoiements.
On peut ainsi parler de libéralisme en parlant des thèses
néolibérales ou on peut attaque la liberté alors qu’il s’agit de licence.
Penser que le libéralisme et sa promotion de l’individu
seraient la cause de la montée de l’autonomisation égoïste égocentrique
assistée irresponsable insatisfaite irrespectueuse de l’individu moderne est
une supercherie qui unit tenants du socialisme et du conservatisme.
Peu leur importe que ce phénomène d’autonomisation négative
se voit dans n’importe quel système politique qu’il soit ou non démocratique
(comme en Chine, par exemple), l’ennemi est bien cette trop grande liberté,
cette trop grande montée de l’individualité, cette capacité à être autonome
pour chacun.
Ainsi, ce n’est pas parce que les sociétés ou les individus
utilisent les valeurs du libéralisme en les dévoyant que ces mêmes valeurs sont
mauvaises.
Au contraire, d’ailleurs, si elles étaient correctement
appliquées, elles produiraient tout sauf une société composée d’égoïstes, d’égocentriques,
d’assistés, d’irresponsables, d’insatisfaits, d’irrespectueux.
Elles permettraient cette émancipation de l’individu, grâce
notamment à son statut de personne qui ne réduit en rien ses «droits naturels»,
qui profiterait à toute la société et en ferait une communauté équilibrée,
juste et ouverte.
Mais, pour les adversaires du libéralisme, tant à gauche qu’à
droite, il est plus facile de prôner une société coercitive et fermée au nom
d’un repli identitaire et d’un sauvetage de la société occidentale, celui-ci
étant un alibi à une volonté de faire rentrer dans le rang cet individu
décidément indiscipliné.
C’est une erreur car, profondément, ce n’est pas dans le
phénomène d’indiviudalisation et dans l’individualité qu’il faut chercher les
maux de la société mais bien dans celui d’autonomisation.
Non pas parce que cette autonomisation serait mauvaise et
négative en soi mais bien parce que celle-ci a été dévoyée en devenant égoïste,
égocentrique, assistée, irresponsable, insatisfaite et irrespectueuse ce qui n’est
pas une conséquence ni logique, ni inéluctable.
Cette déviance pose bien sûr des questions sur
l’organisation de la société mais pas sur les principes eux-mêmes de la
démocratie républicaine dont le but premier demeure l’émancipation de
l’individu, son statut de personne dans une société ouverte dont la fonction
principale est la préservation de la vie de chacun de ses membres, donc
d’assurer leur sécurité.
Rendre l’individu responsable de sa vie, ce n’est pas
seulement lui demander de la prendre en main pour se réaliser et la réussir,
c’est aussi lui demander d’être responsable de ses actes, de tous ses actes, et
de respecter l’autre donc également la communauté sans être asservi par elle
mais en en étant solidaire.
Ce n’est pas en renonçant aux acquis et aux avancées de la
démocratie républicaine que l’on résoudra le problème ou alors de manière
autoritaire et dans la régression.
Souvent pris comme prophète par les tenants de la
stigmatisation de la démocratie républicaine et de sa modernité, Tocqueville
qui voyait bien les perversions qui pouvaient naître, non pas de la liberté
libérale comme on le dit trop souvent mais de l’égalité républicaine, ne
pensait pas qu’il fallait un retour en arrière mais une nouvelle avancée dans
la responsabilité de l’individu, ce qui l’oblige à être garant du système qui lui
apporte la possibilité de la réalisation de lui-même.
Affirmer que la démocratie est allée trop loin, c’est se
tromper de combat ou alors tromper les citoyens.
Responsabiliser ces mêmes citoyens dans tous les aspects de
leurs existences, les amener à pratiquer le respect, vertu profondément
démocratique et républicaine quant elle est symétrique et transitive, voilà le
vrai défi.
Tout le reste n’est que diversion ou volonté d’imposer un
nouveau modèle qui ne sera ni démocratique, ni même républicain.
Ce n’est évidemment pas une tâche facile.
Mais qui a dit que les choses étaient simples sur cette
terre?