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dimanche 20 novembre 2016

Une Semaine en Centrisme. Comment ont été inventés et construits les «peuples en colère»

Supporter de Trump
La victoire de Donald Trump serait donc celle du peuple américain en colère, tout comme celle de Syriza le fut en Grèce et peut-être demain celle de Marine Le Pen en France, voire de Nicolas Sarkozy puisque celui-ci a martelé pendant sa campagne qu’il convenait d’«écouter la colère du peuple».
Il fallait en effet se pincer en entendant le discours que Nicolas Sarkozy a donné à Nice lors de la campagne du premier tour de la primaire de LR.
En fermant les yeux, on pouvait se croire lors d’un meeting de Marine Le Pen, certainement lors d’un de ceux de Donald Trump.
Tout y était: attaque des minorités dont les musulmans, peur sur la ville en prétendant que les femmes sont effrayées par sortir seules dans les rues et que les commerçants se font attaquer sans que personne ne les aide, que les délinquants ont gagné et vivent grâce aux allocations, que les médias sont contre lui et n’ont rien compris à l’exaspération du peuple, qu’il faut se battre contre la fameuse bien-pensance, qu’il faut défendre l’identité française, qu’il faut lutter contre le soi-disant pouvoir excessif des minorités, etc.
Si l’on ne doit pas sous-estimer, surtout les centristes qui cherchent à bâtir une société du juste équilibre et consensuelle, les sentiments d’abandon et de marginalisation d’une partie de la population, ces «peuples en colère» contre le «système» comme nous les désignent complaisamment une partie de la presse et des «experts» en tous genre, il ne faut pas, non plus, passer sous silence qu’il s’agit en réalité d’une entreprise engagée depuis des années dans certains pays par des politiciens cyniques qui les ont construits de toute pièce afin de s’en servir contre la démocratie républicaine libérale et en faire leur clientèle privilégiée.
L’exemple des Etats-Unis est, à ce sujet, très édifiant puisque cette entreprise a commencé dans les années 1990 et vient d’aboutir par l’élection de Donald Trump, donc de réussir.
Patiemment, depuis la présidence de Bill Clinton, élu en 1992, les idéologues républicains ont mis le peuple américain de droite en colère.
D’abord en faisant en sorte que la politique et le personnel politique soient haïs du petit peuple de droite grâce à plusieurs subterfuges très efficaces: en diabolisant les démocrates, ces rouges, athées et immoraux; en rendant leurs présidences illégitimes (autant celle de Clinton avec l’affaire Lewinsky que celles d’Obama dont ils ont fait courir le bruit qu’il n’était pas né aux Etats-Unis et qu’ils ont essayé de les destituer); en inventant des mensonges sur la soi-disant volonté des «élites» démocrates et de l’Etat fédéral – qu’ils associaient afin de susciter un rejet plus grand des deux entités – de vouloir supprimer des droits (celui du port d’arme) ou des avantages sociaux (comme des assurances inventées par ces mêmes démocrates et gérés par l’Etat!); en paralysant exprès les institutions quand les démocrates étaient au pouvoir (en 2009, lors de l’intronisation d’Obama à la Maison blanche, les leaders républicains se réunissaient dans un hôtel et décidaient de s’opposer systématiquement au nouveau président ce qu’ils ont fait pendant huit ans alors qu’ils avaient provoqué la «fermeture» de l’administration publique sous Clinton en refusant de voter les fonds pour son fonctionnement); en suscitant des organisations de groupes de personnes en colère (comme celle contre les augmentations d’impôt) ou en les récupérant (comme le Tea party et la NRA, l’association des fabricants et possesseurs d’armes à feu).
Ensuite en opposant la dépravation des soi-disant «élites» perverties et corrompues au bon sens du peuple d’en bas, victime de leur cupidité et de leur avidité.
Des élites accusées sans cesse d’être partisanes d’une mondialisation financière débridée; d’une ouverture des frontières à tous les immigrés; d’une complicité avec les immigrés illégaux; des Mexicains «violeurs» aux musulmans «terroristes», c’est-à-dire de tous ceux qui mettent en danger la sécurité des «bons» Américains; de droits illégitimes à toutes les minorités agissantes (les gays, les lesbiennes, les transgenres mais aussi les latinos et les afro-américains); d’une culture cosmopolite qui va tuer toutes les valeurs traditionnelles de l’Amérique et, surtout, ces fameux rêve et esprit américains.
Sans oublier que les démocrates sont faibles pour défendre le pays, qu’ils ne sont pas de bons patriotes et qu’ils sont tous secrètement d’extrême-gauche.
Une de leurs démarches qui a connu le plus de succès dans cette vaste entreprise et qui a été dénoncée par nombre de politologues, a été, tout en se déportant vers l’extrême-droite, d’affirmer par un lent mais constant bourrage de crâne que le Parti démocrate, largement centriste et de centre-gauche, se radicalisait à la gauche de la Gauche.
Ils ont ainsi réussi, avec le relai des médias qui n’ont rien compris à la manipulation, à déplacer sans qu’il n’y ait aucun élément concret pour le justifier, le Centre vers la Droite, ce qui leur a permis de nier leur propre déplacement, celui-là évident, et d’instaurer un nouveau paysage politique où les centristes devenaient des méchants gauchistes et donc plus facile à haïr pour le petit peuple de droite mais aussi pour nombre d’«independents» (électeurs non-affiliés à un parti politique)…
Cette combine a été très bien expliquée dans l’ouvrage de deux politologues respectés, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre républicain, Norman Ornstein, «It’s Even Worse Than It Looks» (C’est encore pire qu’il n’y parait).
A l’aide de tous les outils traditionnels de propagande mais aussi et surtout ceux de la désinformation qui sont nés à l’ère de l’information en continue et des réseaux sociaux, ils ont inondé le pays de mensonges, d’insultes et d’invectives – que l’on pense au bras armé de la droite radicale républicaine, le Tea party qui comparait Obama à Staline et Hitler et l’accusait de vouloir tuer les vieux en leur refusant le droit à la santé – bien avant que Donald Trump se présente à la présidence et qu’il soit, à la fois, un des initiateurs de ce mouvement, notamment en affirmant qu’Obama n’avait pas le droit d’être président, et la résultante finale de cette mise en colère du peuple.
Bien sûr, cette victoire est étriquée, voire même inexistante, si l’on pense qu’Hillary Clinton a emporté ce vote populaire avec plus d’un million de voix, ce qui démontre bien que la «colère du peuple» n’est non seulement pas majoritaire dans le pays mais largement fabriquée.
Une situation ubuesque qu’aucun pays démocratique à part les Etats-Unis (avec un vote Etat par Etat) n’accepterait en ce XXI° siècle.
Maintenant, il faut évidemment voir la réalité en face car, majoritaire ou non, provoquée ou non, la montée en puissance d’une colère populaire qui s’exprime dans la rue et dans les urnes, dans les comportements et dans les propos est bien concrète.
Et il faut la traiter même si l’on sait que ceux qui l’ont attisée, voire mise en place, n’ont aucune réponse crédible pour changer de système sauf à provoquer des catastrophes immenses et, le pire, c’est qu’ils le savent…
Dans ce cadre, il faut se poser la question de savoir pourquoi cette mise en colère a si bien réussi auprès d’un aussi grand nombre de gens, que ce soit aux Etats-Unis mais également au Royaume Uni (avec le Brexit) ainsi qu’en Hongrie ou en Grèce et demain peut-être en France avec, d’un côté, une partie de la population séduite par les sirènes venues de l’extrême-gauche et, de l’autre, une partie, plus nombreuse, charmée par celles venues de l’extrême-droite.
Aux Etats-Unis, il faut se rendre à cette triste évidence, cette dernière partie considère encore le noir comme un nègre, le gay comme un pédé, la lesbienne comme une gouine et le membre du Parti démocrate comme un coco, cette dernière appellation étant sans doute l’insulte suprême pour elle…
Dès lors, il existe un terreau particulièrement favorable au déversement de toutes ces insanités dont nous avons parlé plus haut depuis plusieurs décennies et en la réussite de l’entreprise de mise en colère.
Mais il ne faut pas sous-estimer le désarroi de populations qui se sentent marginalisées même si elles vivent dans les pays les plus développés, que leur condition n’a rien à voir avec celle des générations qui les ont précédées et, évidemment, que celle de l’énorme majorité de la population mondiale, en particulier ce milliard qui vit dans une grande pauvreté.
On a évoqué plus haut les médias et les réseaux sociaux du web qui permettent aujourd’hui des mises en condition de populations beaucoup plus facilement qu’auparavant.
Pour autant, il ne faut pas se méprendre, la presse a toujours été ce qu’elle est, partisane, souvent mal faite et incapable de remplir sa mission d’information correctement, plus en quête de sensationnel qui fait vendre du papier ou permet des taux d’audience élevés que d’une information citoyenne sensée donner à tous le savoir nécessaire, avec celui venu de l’école, pour devenir et demeurer un être humain libre.
Bien sûr, il ne faut pas chercher dans les médias ce qui ne peut exister, une réelle responsabilité et l’application d’une déontologie stricte, sauf à la marge et tant que cela n’influe pas sur leur santé économique et commerciale.
Tout cela n’est pas nouveau – un âge d’or de la presse n’a jamais existé malgré les nostalgies de journalistes qui ne connaissent pas son histoire ou l’inventent – et les mouvements populistes et démagogues ont toujours pu et su en profiter.
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la possibilité d’agir à très grande échelle et la facilité avec laquelle la désinformation et la propagande peuvent se répandre auprès de l’ensemble de la population.
N’oublions jamais cette règle bien connue de tous ceux qui utilisent et instrumentalisent les médias, la fausse information sera toujours plus forte que le démenti qui tentera de l’infirmer.
Mentez et calomniez, il en restera toujours quelque chose car dans l’esprit du grand public, il n’y a pas de fumée sans feu…
Aux belles âmes, dont nous ne faisons pas partie, qui pensaient qu’une élection de Trump n’était pas possible, il est temps de se réveiller avant que d’autres personnages comme lui n’accèdent au pouvoir dans d’autres démocraties.
Aux Américains qui ne se sont pas rendus aux urnes ou ont voté Trump, ils faut leur dire qu’ils sont responsables à part égale de la situation actuelle et ils seront comptables de sa présidence et de sa possible dérive qui n’est pas sûre à 100%, heureusement.
Aux gauchistes et communistes qui sévissent déjà dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision pour expliquer que l’élection de Trump est un bienfait parce qu’elle montre et va montrer la collusion entre les fascistes et les démocrates libéraux, ce qui permettra de recréer une gauche révolutionnaire qui va préparer le grand soir, ils prouvent une nouvelle fois par leur pensée totalitaire, leur incapacité mentale à sortir de schémas idéologiques aussi faux qu’imbéciles, que leur contentement démontre, au contraire, que l’extrême-gauche dans sa haine de la démocratie républicaine, a bien le plus de points communs avec l’extrême-droite qu’elle ne l’affirme et que les outrances de Bernie Sanders concernant Hillary Clinton ont été utilisées avec succès par Donald Trump pour accéder à la Maison blanche.
Y a-t-il une parade contre cette montée du populisme démagogique et la «colère du peuple» qui en résulte, celle-ci étant provoquée par celle-là, comme nous l’avons vu mais sur un terreau favorable?
La première réponse est sans doute très pessimiste.
Tout au long de l’histoire, la rancœur et la haine du peuple vis-à-vis de ses gouvernants et de l’«autre» ont toujours existé.
Comme ont toujours existé ces agitateurs professionnels qui en ont fait leur fonds de commerce.
Et ces derniers, en utilisant la face peu reluisante du peuple ont pu s’installer au pouvoir, parfois démocratiquement, et provoquer souvent des catastrophes dont l’humanité doit toujours avoir honte pour qu’elles ne reviennent jamais.
De Hitler à Staline, de Mussolini à Mao, de Franco à Kim Il-Sung, tous les dictateurs meurtriers se sont appuyés sur une partie importante du peuple pour commettre leur méfaits.
Cette réalité historique de foules en délire lors des discours d’Adolph Hitler, de foules inconsolables lors de la mort de Joseph Staline, de foules haineuses quand Mao les lançait contre les ennemis du peuple est là et bien là, depuis fort longtemps.
Ceux qui excitent les bas instincts du peuple et qui promettent tout et n’importe quoi sont souvent les premières victimes de leurs agissements quand la colère du peuple qu’ils ont suscitée se retourne contre eux.
Malheureusement, ces démagogues et ces populistes, s’ils sont rejetés à un moment donné, deviennent rapidement des icônes pour des nostalgiques incurables mais aussi pour des générations futures, incultes du passé.
Et c’est là, souvent, que l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement.
Mais on peut aussi tempérer cette vision très désespérante par une réponse plus positive, plus optimiste qui requiert, néanmoins, une responsabilité de tous les acteurs du débat public et que l’on n’a pas encore vu à l’œuvre sur la durée jusqu’à présent.
Il faut que les outils de la démocratie républicaine servent avant tout à assurer l’existence d’un régime qui permet à tous de s’exprimer mais qui doit délivrer dans le même temps un savoir qui permet à tous de choisir en toute connaissance de cause.
En outre, il faut que les sociétés démocratiques reconnaissent la nécessité de responsabiliser les citoyens, qu’ils soient comptables de leurs actes.
Mais, dans le même temps, il faut que ces mêmes sociétés soient plus justes, plus équilibrées et plus respectueuses afin d’éviter que des personnes inquiètes et perdues ne rejoignent des gens, minoritaires, qui seront toujours haineux de la liberté et de l’égalité, incapables de fraternité.
Ces derniers ont toujours existé et ils existeront toujours mais nous devons les empêcher de détruire la démocratie républicaine de l’intérieur et d’entraîner avec eux des populations fragiles.
Etre contre la démocratie républicaine a toujours été plus facile que d’être pour car, dans le premier cas, tout ce qui est caricatural marche, alors que dans le deuxième, il faut convaincre avec des arguments sérieux.
C’est peut-être triste mais c’est comme ça.
D’où le succès remporté à périodes répétées dans l’Histoire de ces mises en colère du peuple.
D’où la nécessité de ne jamais prendre pour acquis la démocratie ou croire qu’elle résistera à ses ennemis sans devoir combattre.
Enfin, et ce n’est pas le moindre motif d’espérance, Donald Trump n’a pas obtenu la majorité des voix lors de l’élection du 8 novembre, loin de là.
Tout comme la famille Le Pen lors des élections présidentielles ou législatives de ces dernières années.
Il existe donc encore un peuple sain et responsable, surtout majoritaire.
Mais jusqu’à quand?
C’est le rôle de cet axe central qui réunit, en France, les gaullo-réformistes, les libéraux sociaux, les sociaux-libéraux et les sociaux-réformateurs, qu’il le demeure ainsi que d’être à la pointe de la défense de la démocratie républicaine et de continuer à montrer tout ce qu’une société libre recèle de possibilités d’un monde meilleur et d’agir en ce sens.

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC



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