Macron, Bayrou, Lagarde, Morin, tous progressistes, tous centristes? |
Il faut se méfier des étiquettes.
Quand Emmanuel Macron estime que le réel clivage aujourd’hui
en politique est entre les progressistes et les conservateurs et non plus dans
l’ancienne confrontation entre la Gauche et la Droite, il dit vrai tout en
caricaturant à l’extrême le débat des idées dans cette opposition simple voire
simpliste.
D’abord parce qu’il faut s’entendre sur les termes employés
(nous ne parlerons pas ici du courant conservateur anglo-saxon structuré autour
de la théorie d’Edmund Burke, voire David Hume, support des Tories en Grande
Bretagne).
Si être progressiste c’est vouloir que les choses aillent de
l’avant et qu’être conservateur c’est vouloir qu’elles restent en l’état ou
qu’elles retournent parfois en arrière, on ne peut pas dire que cette distinction
apporte beaucoup de clarté.
En effet, peu de politiques font de l’immobilisme leur
profession de foi et veulent que rien ne bouge même ceux qui se disent
conservateurs.
Ils veulent aller de l’avant mais pour défendre des thèses
et mettre en place des mesures qui confortent une vision d’une société qui doit
demeurer ancrée sur ses fondamentaux qu’ils ont définis comme intangibles et
qui sont différents d’un conservatisme à l’autre.
Quant aux progressistes, tout dépend ce qu’ils appellent
aller de l’avant.
Est-ce améliorer l’existant ou le transformer radicalement,
réformer ou révolutionner et qu’est-ce qu’il faut changer ou pas?
Si l’on en reste à cette distinction assez large entre
progressistes et conservateurs qu’emploie généralement Macron, alors on peut
dire que tout le monde est à la fois progressiste et conservateur.
Un exemple: les centristes sont des réformistes et à ce
titre ils veulent dans une sorte de mouvement perpétuel améliorer une
démocratie républicaine pour qu’elle remplisse correctement son rôle auprès des
citoyens.
Dans ce réformisme, ils souhaitent ajuster constamment la
société à son temps pour la rendre meilleure mais ne sont pas pour céder à tous
les effets de mode qui pourraient remettre en cause les valeurs et les
principes humanistes sur lesquels cette démocratie républicaine se fonde.
Dès lors, leur réformisme est bien un progressisme qui
s’appuie sur la volonté de conserver un système politique considéré comme le
meilleur possible.
Maintenant, si le progressisme c’est «être de son temps»,
c’est-à-dire être dans l’action émancipatrice de toutes les lourdeurs du passé
et lutter contre tous les «conservatismes», c’est-à-dire tous les blocages
politiques, économiques et sociétaux qui empêchent la modernisation
indispensable de la société, alors, dans ce cas, Macron a raison d’opposer les
deux attitudes et les centristes sont bien des progressistes et pas des
conservateurs.
Un exemple: pour permettre à la société française de
s’adapter au monde qui l’entoure, il faut des mesures de libéralisation en
matière de travail, non pas parce que cela colle à l’ère du temps, ni parce que
cela fait apparaître dynamique ou à la remorque d’une «mondialisation des
financiers» mais parce que cela est absolument nécessaire si l’on veut lutter
contre le chômage et retrouver de la croissance.
Ici, les conservatismes, ce sont toutes les situations
acquises et qui n’ont plus lieu d’être dont la plupart, en plus, créent des
inégalités injustifiables.
De même, le mouvement d’émancipation des femmes et celui de
certaines communautés qui étaient discriminées sans oublier une montée en
puissance – pas assez vigoureuse malgré tout – des droits des enfants, sont
progressistes car ils se justifient par une recherche de liberté et d’égalité
dans la sécurité qui sont bien les promesses de la démocratie face à de vieux
réflexes qui veulent conserver une situation qui n’a aucune légitimité autre
que de se perpétuer au profit de quelques uns et d’une vision rétrograde de la
société.
En revanche, les lignes de partage entre progressisme et
conservatisme ne sont pas toujours aussi claires et les luttes de lobbies
peuvent brouiller totalement les cartes.
Dans le débat autour du mariage pour tous, interdire le
mariage des homosexuels est une position conservatrice qui s’appuie, en plus,
sur une vision idéologique de la société et non sur une soi-disant «nature» qui
serait bafouée.
En revanche, le débat sur l’adoption d’enfants par les
coupes homosexuels qui était sous-tendu par celui du mariage homosexuel posait
une tout autre question qui ne se résumait pas à ce que les «progressistes»
soit pour et les «conservateurs» soit contre.
En l’occurrence, bien des progressistes étaient contre ou, à
tout le moins, très enclins à demander de conserver la situation tant que l’on n’avait
pas démontré que cette adoption n’allait pas à l’encontre du bien être de
l’enfant et n’ouvrait pas la porte à des pratiques encore plus discutables.
Et ceux qui se paraient du progrès positif contre l’affreuse
conservation réactionnaire n’étaient souvent que des membres de lobbies qui
luttaient pour leur propre cause, voire seulement leur propre idéologie sans se
préoccuper le moins de monde des droits et du bien être des enfants.
Pour en revenir à Macron et aux centristes qui semblent
partager ensemble une vision du progrès, en tout cas qui refusent d’être des
conservateurs, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas réformer la société pour
améliorer le sort de ses membres, ce n’est évidemment pas le «ni gauche, ni
droite» ou le «et gauche, et droite» qui doivent être les devises de leur
action.
Si le leader d’En marche, au lieu de voir dans le Centre un
rendez-vous de modérés, se penchait sur le Centrisme, il verrait que cette
pensée politique est basée sur l’humanisme et qu’elle défend des valeurs et des
principes sur lesquels s’appuie un progressisme positif par la réforme.
Il verrait également que la notion fondamentale de cet
humanisme est le juste équilibre, c’est-à-dire, pour la question qui nous
occupe ici, qu’il ne sacrifie pas ce que nous avons construit de bien et de fort
à des volontés gesticulatrices de changer pour changer.
Dès lors, lorsque dans un entretien au magazine Marianne il déclare
que «l'objectif d'En marche est de réunir des gens venant de la gauche ou de la
droite et qui ne se satisfont pas de leur engagement actuel, et des personnes
sans engagement politique issues de la société civile», cette affirmation est
une coquille vide qui ressemble à une sorte d’union nationale ad minima comme
peut la défendre parfois François Bayrou.
En réalité, mais il ne veut ou ne peut pas le dire parce que
cela rétrécirait aujourd’hui son espace politique, c’est que son projet est
centriste, issu essentiellement du Centrisme qu’il ne faut évidemment pas
confondre avec les pratiques des partis ou les hommes et les femmes politiques
qui se disent centristes et qui sont souvent éloignées de l’idée du Centre
quand ils ne sont pas de simples opportunistes.
Un Centrisme qui, bien évidemment, serait capable d’attirer
à lui toute une frange d’une population qui en est proche mais qui demeure
encore positionnée sur ce clivage réducteur gauche-droite ainsi que des modérés
de droite et de gauche.
Toujours dans Marianne, Emmanuel Macron liste les «cinq
grands défis (qui) nous sont posés»: «la transformation de notre modèle
productif qui nous fait passer d'une économie de rattrapage en crise à une
économie de la connaissance et de l'innovation intégrant les transitions
numériques et environnementales; la question des inégalités qui fracturent
l'ensemble des sociétés occidentales et émergentes; notre rapport à la
mondialisation; la construction d'une souveraineté européenne; la définition
d'une société ouverte dans un monde incertain et donc l'articulation entre
liberté individuelle et sécurité».
Mais, monsieur Macron, ce ne sont pas des «grands défis
(qui) fracturent profondément la gauche et la droite», ce sont des défis
centristes...
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
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