mardi 16 août 2016

Présidentielle USA 2016. La démocratie face à la relation malsaine entre Trump et les médias

Après avoir clairement expliqué que les centristes Barack Obama et Hillary Clinton étaient les cofondateurs de Daesh – il a même affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une métaphore mais de la réalité –, Donald Trump est revenu en arrière, comme souvent, pour dire que ce n’était que sarcasmes et que les médias étaient bien stupides de croire sérieusement ce qu’il disait.
Et le pire, c’est qu’il n’a pas tout à fait tort!
Le Trump public est un personnage issu directement des médias qui l’ont fait, qui l’ont promu et qui en ont tiré avantage et profits depuis des décennies.
Star du système de téléréalité et de l’entertainement, lorsqu’il s’est présenté à la présidentielle, dès son annonce en juin 2015, les médias ont donc «naturellement» déversé une masse énorme d’articles, de reportages et d’enquêtes qui n’a cessé de croître lorsque le promoteur newyorkais a commencé à recevoir un écho positif de sa candidature dans les sondages.
Grâce à cette couverture, souvent indigne de part son ampleur mais aussi à l’époque par sa mansuétude face à des propos déjà scandaleux, certaines organisations ont estimé que rien que pour l’année 2015, il avait pu économiser deux milliards de dollars pour la promotion de sa campagne et de ses «idées».
Ce qui ne l’a pas empêché de se plaindre constamment des journalistes, de cracher sur eux (comme sur Megyn Kelly de Fox news), de se moquer d’eux (notamment de l’un d’entre eux du New York Times, handicapé), de retirer à certains leurs accréditations, et de monter ses fans contre eux lors de ses meetings avec, à la clé, injures et menaces de ses derniers lorsqu’ils passent devant l’espace réservé à la presse.
Néanmoins, dans un premier temps, les médias n’ont pas réagi, se sont laissés trainer dans la boue et ont continué à lui donner largement la parole sans trop mettre en doute ses thèses abracadabrantes et dénoncer ses attaques inqualifiables.
Il a fallu que le populiste démagogue dépasse vraiment les bornes pour qu’ils réagissent et commencent à aller au fond des choses et à dénoncer des propos irresponsables, mensongers et dangereux pour la démocratie.
Ce qui a évidemment permis à Donald Trump de les insulter encore plus et de les dénoncer comme des organisations qui veulent sa perte et qui sont en train de truquer l’élection, sans évidemment en apporter la moindre preuve.
Une attitude qui est sûre de donner des résultats vu le peu de confiance des américains dans la presse – comme c’est le cas de l’ensemble des populations des démocraties – en particulier de la base populaire du Parti républicain.
De ce point de vue, pour nous Français, Trump utilise les mêmes vielles recettes poujadistes de la famille Le Pen: dire n’importe quoi et ensuite se plaindre quand la presse s’en fait un écho critique.
Mais il ne faudrait pas oublier que les relations particulières entre les médias et le Parti républicain ne datent pas de l’entrée dans l’arène politique de Donald Trump.
Qualifiés de «liberals» (de gauche) par les républicains, les médias ont toujours été accusés par ces derniers de pencher systématiquement pour le Parti démocrate.
D’autant que les grands organes de presse se trouvent dans les villes, notamment de la côte Est et de la côte Ouest, c’est-à-dire dans des zones où l’ouverture d’esprit est nettement plus grande que dans le Midwest et où, généralement, les démocrates sont mieux implantés que les républicains (même si New York et la Californie ont compté nombre de gouverneurs républicains, par exemple).
La création de Fox news, télévision conservatrice d’information en continue, était une entreprise du camp républicain, autour de Rupert Murdoch et de Roger Ailes, de donner à la Droite un organe de presse puissant pour contrecarrer cette soi-disant influence de la Gauche.
La dérive de la chaîne qui est souvent plus de droite radicale voire d’extrême-droite que de droite tout court est allée de pair avec une radicalisation du Parti républicain qui a, dans le même temps, tenté auprès des médias une forte propagande afin de déplacer le Centre vers la Droite avec un certain succès afin de diaboliser les démocrates comme de dangereux gauchistes (comme ça été le cas pour Obama), alors même que depuis 1990, ces derniers se sont largement recentrés avec une aile gauche minoritaire même si elle a repris un peu de poil de la bête lors de la primaire avec la présence de Bernie Sanders (dont le positionnement socialiste fait d’ailleurs qu’il n’est pas membre du Parti démocrate).
Même si, aujourd’hui, les médias ne sont plus tout à fait dupes et ont compris que le Parti républicain avait fait un virage à droite, voire très à droite, il n’en reste pas moins vrai que, lors des primaires, ils se sont mis à chercher le candidat «centriste» qui pourrait s’opposer au populiste Trump et à l’idéologue radical Cruz.
Et ils ont pensé le trouver en John Kasich, le gouverneur de l’Ohio, qui est pourtant un reaganien de toujours et qui le revendique haut et fort, c’est-à-dire un conservateur de droite qui n’a presque rien à voire avec le Centre…
Dès lors, le Parti républicain est devenu une force plus proche de l’ultra-conservatisme que d’un quelconque centre-droit même s’il reste quelques personnalités modérées en son sein mais qui font profil bas, voire qui, comme le sénateur de l’Arizona, John Mc Cain ont épousé beaucoup de thèses du Tea party (organisation proche de l’extrême-droite républicaine) pour se faire réélire.
Ce tournant républicain a permis à toute une catégorie de gens revanchards, haineux et adeptes des théories du complot de rejoindre les rangs du parti et, pour certains, de devenir gouverneurs, sénateurs ou représentants.
Cette libération de la parole populiste et démagogique ainsi que le rejet du politiquement correct (qu’a dénoncé de manière pathétique Clint Eastwood en apportant son soutien à Trump) datent d’il y a une dizaine d’années.
Pour beaucoup d’observateurs, ce tournant serait en très grande partie à l’origine du phénomène Trump.
Ainsi, quand le Tea party s’est mis à insulter Barack Obama, dès la création du mouvement, courant 2009 – en le traitant, au choix, de Staline, d’Hitler ou du joker de Batman –, les républicains n’ont pas bronché et ne l’ont pas condamné, certains les relayant même.
Quand il a prétendu qu’il était un musulman kenyan né en Indonésie et donc inéligible en tant que président des Etats-Unis, les républicains n’ont pas bronché et ne l’ont pas condamné, certains relayant même l’allégation.
Quand il a affirmé que la loi sur l’assurance santé contenait l’euthanasie des personnes âgées, les républicains n’ont pas bronché et ne l’ont pas condamné, certains, comme Sarah Palin, en faisant un cheval de bataille.
Et au fil du temps, ce sont l’ensemble des républicains qui ont repris ces allégations.
Ils avaient déjà commencé avec Bill Clinton en 1994 avec un personnage assez trouble, Newt Gingrich, alors speaker (président) de la Chambre des représentants et aujourd’hui, un des principaux soutiens de… Trump!
La boucle est bouclée.
Pour en revenir au candidat républicain et à sa relation avec les médias, Donald Trump a pensé, au départ, pouvoir les utiliser et les manipuler tout en les insultant, lui l’homme le plus intelligent du monde selon ses dires.
Et, il faut bien l’avouer, cette stratégie a donné de très bons résultats pendant un certain temps, d’autant que les journalistes américains ont peu de sympathie pour Hillary Clinton et que beaucoup ont eu des yeux de Chimène pour un autre populiste, Bernie Sanders.
Néanmoins, les dérapages de plus en plus nombreux et scabreux voire inadmissibles du promoteur newyorkais ont réveillé les médias qui se sont rappelés qu’en démocratie, au-delà de leur «impartialité» et de la nécessité de remplir les caisses pour exister et payer les actionnaires, il y avait une mission d’information et, pour certains, de défense de la démocratie et de la liberté.
Mais il ne faut pas croire que ces médias se sont, tout d’un coup, rués comme à la curée sur le pauvre Donald pour l’abattre.
Et il ne faut pas croire que cette soudaine lucidité sur cette candidature, sorte d’excroissance purulente de la démocratie, voire enfant naturel de la médiocratie et de la médiacratie, est unanime, à la fois dans tous les médias et à chaque instant.
Bien sûr, le grand quotidien conservateur, Wall Street Journal, propriété de Murdoch, vient de lancer un ultimatum à Trump en l’enjoignant de changer ou de se retirer de la course à la présidence.
Cependant, il suffirait que le candidat républicain parvienne à se maîtriser quelques semaines (ce dont il s’est montré incapable jusqu’à présent) pour que les médias redeviennent bienveillants envers lui.
En tout cas, actuellement, c’est une charge contre Trump après ses déclarations incendiaires contre les journalistes, comme en témoigne, parmi des milliers et des milliers d’exemples, l’article de Zeke Miller du magazine Time:
« Après trois semaines malheureuses pour sa campagne, Donald Trump s’est déchaîné violemment contre la presse dimanche dans une série de tweets, accusant la perception biaisée des médias à son encontre d’être responsable de sa chute dans les sondages. Par exemple, Trump a affirmé qu’il aurait vingt points de plus qu’Hillary Clinton ‘si les médias dégoûtants et corrompus me couvraient honnêtement et ne mettaient pas de fausses significations dans les mots je dis’. Pendant ce temps, ses conseillers ont fait le tour des émissions politiques du dimanche matin pour relayer ce thème. La tactique de Trump de blâmer la presse n’est pas nouvelle, particulièrement pour lui, mais elle marque sa dernière tentative pour délégitimiser des institutions publiques, qui dans ce cas, ont commis le péché mortel de le citer directement. Trump cherche des cibles faciles pour se défausser de la responsabilité de sa campagne chancelante, la vraie responsabilité se trouve chez le candidat, qui a piétiné son propre message maintes et maintes fois».
Pourtant, ce serait être un ingénu crédible que de croire que les médias ont fait définitivement leur mea culpa envers Trump.
Car, quelques jours seulement avant cette nouvelle passe d’arme entre ce dernier les journalistes, le ton était tout autre.
Par exemple, il est ainsi inadmissible de lire, sous la plume du même Zeke Miller qu’Hillary Clinton est «ennuyante» quand elle ne s’attaque pas à Trump.
Penser qu’une campagne présidentielle doit être un match de catch où l’on s’insulte allègrement pour être intéressante est pathétique.
De son côté, Kate Bolduan, qui anime tous les jours une émission sur la présidentielle sur CNN, a osé mettre en parallèle les mensonges de Trump et le discours de Clinton en affirmant qu’ils étaient de la même trempe.
La même CNN qui a retransmis l’intégralité d’un discours de Trump proférant des attaques mensongères et grossières sur Hillary Clinton alors que ça n’a pas été le cas de celui de celle-ci, le même jour, qui, lui, contenait un vrai programme économique.
Sans doute moins intéressant pour un taux d’audience même si plus important pour le débat démocratique…
Sans parler de Maggie Harberman du New York Times qui a pu titrer son article sur le «bon jour» de Trump grâce à un discours de mensonges, d’insultes et de vide programmatique et de substance, tout simplement parce qu’il s’en prenait avec hargne à Hillary Clinton.
Voilà souvent le degré zéro du journalisme.
Car il n’était pas et n’est toujours pas possible d’écouter Trump débiter ses mensonges sans les pointer, ce que les médias ont fait épisodiquement jusqu’à présent, passant immédiatement à autre chose comme si les diatribes du promoteur newyorkais faisaient partie d’une campagne électorale normale et n’étaient que des épiphénomènes qui devaient être oubliés dès qu’elles sont proférées.
Bien entendu, cela ressort de l’information 24h sur 24 qu’ont inventée les chaînes de télévision et les stations de radio d’information en continu puis internet.
Dans ce cadre, tout est éphémère, tout est un événement, tout est information, tout est spectacle, tout est taux d’audience au mépris même du devoir d’information des journalistes dans une démocratie républicaine.
Car l’information n’est pas un produit comme un autre et ne doit jamais le devenir.
Espérons, malgré tout, que les médias ont compris que Trump était également un danger pour eux, lui qui a expliqué que la liberté de presse devrait être nettement plus encadrée pour empêcher les «mensonges» comme ceux dont il estime être victime et qui ne sont que la transcription de ses propres dires…

Sondages des sondages au 16 août 2016
Clinton toujours largement en tête

Clinton
Trump
Ecart
Election projection
48,0%
39,9%
Clinton 8,1
Five Thirty Eight (1)
43,6 %
36,1%
Clinton 7,5
Huffington Post
47,7%
40,3%
Clinton 6,7
New York Times
46,0%
39,0%
Clinton 7,0
Polltracker
43,0%
37,8%
Clinton 5,2
Pure Polling
46,8%
38,7%
Clinton 8,1
Real Clear Politics
47,8%
41,0%
Clinton 6,8
270 to win (1) (2)
47,0%
40,0%
Clinton 7,0
(1) Prend en compte 3 candidatures (+ Gary Johnson – Libertarian party)
(2) Prend en compte un mois de sondage alors que les autres prennent
en compte autour de 15 jours de sondages


Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC



Présidentielle USA 2016

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