Aux dires des commentateurs, le programme économique qu’Alain
Juppé a dévoilé le 10 mai – «Cinq ans pour l’emploi» – est largement d’inspiration
libérale.
En cela, il ressemble fortement à ceux que proposent les
autres principaux candidats à la primaire de LR, Nicolas Sarkozy, François
Fillon et Bruno Le Maire.
Même si la référence libérale n’est pas un anachronisme pour
un parti de droite, elle l’est pourtant largement pour le parti néogaulliste et
pour des candidats qui n’ont jamais brillé par leurs convictions en la matière.
Chiraquiens et donc antilibéraux, tels ont été Juppé,
Sarkozy et Le Maire, ce dernier par le biais de son mentor, Dominique de
Villepin.
Quant à François Fillon, son gaullisme social qu’il
partageait avec Philippe Séguin, n’avait pas de grandes accointances avec le
libéralisme économique.
Mais, comme on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne
changent pas d’avis…
Il est à noter, tout de même, qu’Alain Juppé a expliqué qu’il
était devenu libéral «par pragmatisme», sous-entendu, qu’il n’est pas un vrai
libéral (et qu’il pourrait ne plus l’être si la nécessité ne s’en faisait plus
sentir) mais que la situation économique et sociale de la France impose qu’il
le soit.
Une sorte d’utilitarisme – «J’ai réfléchi à la politique que
je veux conduire en pensant à son utilité pour la France et non aux paillettes»,
a-t-il écrit – et d’empirisme assez éloignés du capitalisme étatique et
dirigiste gaulliste.
Car son nouveau crédo est «Je crois à l’efficacité de l’esprit
d’initiative, de la liberté d’entreprise, de la responsabilité individuelle».
D’ailleurs, Alain Juppé ne s’est pas mis dans les pas du
général mais, étonnamment, dans celui qui fut un des adversaires déterminés de
celui-ci, Pierre Mendès-France puisque la phrase en conclusion de son programme
économique, «Les électeurs valent mieux que ce que pensent les démagogues»
vient de l’ancien président du Conseil de la IV° République.
De même, il aime à citer une autre phrase de Mendès, «Gouverner,
c’est choisir».
Rappelons tout de même que Pierre Mendès-France n’était pas
un libéral mais un homme de centre-gauche attaché aux politiques économiques plutôt
keynésiennes…
Pour autant, la volonté d’Alain Juppé sera de créer un «choc»
dès son élection avec la retraite à 65 ans, la suppression de l’impôt sur la
fortune, la durée du travail à 39 heures, une hausse de un point de la TVA et
une réforme du code du travail pour créer un nouveau contrat de travail à durée
indéterminée.
En revanche, il ne prévoit pas tout de suite une baisse des impôts
des particuliers.
En outre, il y aura des allocations-chômage dégressives, le
plafonnement des aides sociales et une volonté affirmée de maîtriser les
dépenses de santé avec l’obligation de présenter un budget de la sécurité
sociale en équilibre, voire en excédent.
Du côté de l’Etat, Alain Juppé prévoit, notamment, entre 85
et 100 milliards d’euros d’économie dans les dépenses publiques sur cinq ans
avec une baisse drastique du nombre de fonctionnaires (entre 250.000 et 300.000),
un allègement des missions de l’Etat (dont certaines seront sous-traitées et
externalisées), une dématérialisation de nombre de procédures (grâce à
internet).
Concernant l’Union européenne, il veut défendre l’euro,
faire une harmonisation fiscale, assurer une meilleure cohérence des systèmes
sociaux et poursuivre l’intégration.
Sur le traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe,
il ne dit pas non mais estime que si c’est nécessaire, il ne faudra pas l’adopter.
Pour Edouard Philippe, le député-maire du Havre et soutien d’Alain
Juppé, la philosophie de ce programme est de retrouver le plein-emploi, donc la
croissance.
Une croissance que Juppé estime possible autour de 2% dans
une interview aux Echos.
Quant à savoir comment il mettra en pratique ce programme,
il explique, toujours aux Echos:
«Nous nous donnerons six mois pour mettre en œuvre la
dizaine d’ordonnances que nous sommes déjà en train de préparer. Nous
gouvernerons aussi avec des ministres stables – entre 10 et 15, pas plus – qui
seront les patrons de leur administration et pas de gentils organisateurs de
sorties dominicales. Ils devront, sur le modèle anglais, rendre compte
régulièrement.»
Ce programme libéral et réformiste, a fait réagir François
Bayrou au micro de BFM-TV:
«Alain Juppé a dit une phrase que je crois fondamentale et
qui est d’ailleurs dans le droit fil de sa proposition au pays: ‘Je ne suis pas
là pour casser la société française et je veux réformer sans briser’. Je trouve
que c’est marqué au coin non pas seulement du bon sens mais de la nécessité. Il
y a des millions de foyers qui s’interrogent pour eux-mêmes et pour leur avenir
et il faut leur montrer un chemin crédible».
Une réaction qui vaut soutien.
Mais ce programme peut-il être considéré, pour autant, comme
centriste?
L’équipe d’Alain Juppé a, bien évidemment, expliqué qu’il
était avant tout de droite.
Quant à l’intéressé lui-même, même s’il s’est mis sous les
auspices centristes en citant l’«équilibre» fait d’«un changement profond de
notre modèle» mais sans «casser la baraque »
Un équilibre que, selon lui, on doit attendre d’un chef de l’Etat,
«avoir une vision à long terme, être à l’écoute de ses concitoyens», même s’il
a ajouté le commandement droitiste traditionnel «et puis, le moment venu, faire
preuve de volonté et d’autorité».
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des réformes que veut mettre
en place le maire de Bordeaux sont nécessaires et leurs inspirations libérales
sonnent bien aux oreilles des centristes, tout comme sa volonté de privilégier
l’offre à la demande dans la situation actuelle.
Cependant, il est vrai que son programme manque
singulièrement d’un volet social, à part vouloir relever le quotient familial.
Mais il rétorquera qu’il faut d’abord assainir le cadre
économique et relancer la croissance avant de vouloir s’occuper du modèle
social français qui est de plus en plus en déshérence et qui risque de
péricliter si les décisions responsables ne sont pas prises, surtout mises
effectivement en place.
A gauche, évidemment, beaucoup parlent déjà d’«ultralibéralisme»
et se préparent à jouer les défenseurs de ce modèle social.
Si l’on est conscient que le programme de Juppé – comme tous
les programmes électoraux – ne seront jamais mis en place dans leur totalité,
alors on peut considérer qu’il va dans le bon sens et qu’il suit une des
préoccupations principales des centristes qui est de remettre en route le pays.
Mais si un coup de barre fort et puissant doit être fait
pour libérer les énergies, cela ne pourra se faire que si, in fine, tout le
monde est gagnant, dans cette optique centriste du juste équilibre.
Et là, Alain Juppé doit encore dévoiler où il veut emmener
le pays, c’est-à-dire qu’il doit dire qu’elle est sa vision pour la France, le
seul moyen de mobiliser réellement toute la société.
Une obligation qui s’adresse d’ailleurs à tous les candidats
à la présidentielle.
Alexandre Vatimbella
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