Regards Centristes est
une série d’études du CREC qui se penchent sur une question politique,
économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une vision centriste. Sixième
numéro consacré aux notions d’extrême-centre et de centrisme révolutionnaire.
Tout comme il y a une extrême-droite et une extrême-gauche,
certains prétendent qu’il y a aussi un «extrême-centre».
D’autres vont plus loin encore en affirmant représenter un «centrisme
révolutionnaire».
Mais, si tels était le cas, quels seraient-ils, pourquoi
avoir inventé ces concepts et existent-ils?
- Extrême-centre
On pourrait qualifier l’extrême-centre de courant politique
qui voudrait mettre en place une société régie par les valeurs et les principes
centristes en mettant en œuvre un centrisme «pur, sans concession et sans
compromission», notamment avec les idéologies de droite et de gauche.
Avant d’analyser ce que cela signifie, il faut d’abord
parler de deux définitions marginales de l’extrême-centre.
Ainsi, pour l’historien américain Tom Paxton, l’extrême-centre
définirait un courant individualiste, antiétatique qui serait la forme extrême
du mouvement libertarien qui prône un chacun pour soi au nom d’une liberté
totale.
Ce rapprochement, selon lui, viendrait de ce que le Centre
est un libéralisme et que, donc, sa forme extrême serait une demande sans frein
de liberté au-delà de toute solidarité.
Paxton cite comme représentant emblématique de cet
extrême-centre, le candidat à la primaire républicaine pour la présidentielle
américaine de 2016, Donald Trump.
Mais, d’une part, ce dernier ne s’est jamais revendiqué d’un
quelconque centrisme (même, s’il devient le candidat du parti en novembre
prochain, il devra nécessairement se recentrer) et, d’autre part, réduire le
Centrisme à la seule dimension d’un individualisme débridé à l’unique recherche
de la liberté (et son extrême, d’une liberté sans frein) est réducteur, ne
correspondant pas au principe premier du Centre, le juste équilibre, ni même à
sa volonté de promouvoir ce qu’Albert Camus appelle le «nouvel individualisme»
du «nous sommes».
On doit donc écarter cette définition de l’extrême-centre.
La deuxième vient de l’historien Pierre Serna qui a défini l’extrême-centre
comme le mode de gouvernement qui a existé en France lors du Consulat
(1799-1804) et de la Restauration (notamment entre 1814 et 1820).
Il s’agirait d’une politique «modérée conduite par un
exécutif autoritaire» et s’opposerait à la démocratie.
Il est évident que l’on ne peut appliquer les notions de
Centre et de Centrisme à des définitions de régimes politiques
antidémocratiques sachant que les centristes sont les premiers défenseurs de la
démocratie républicaine, libérale et représentative.
On doit, comme pour la précédente, écarter cette définition
de l’extrême-centre.
Analysons maintenant le concept d’extrême-centre en
commençant par la notion d’«extrémisme».
Pour le dictionnaire Larousse, il s’agit d’un «Comportement
politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une
idéologie ou d’une tendance».
Pour le site Wikipedia, «L'extrémisme est un terme utilisé pour qualifier une
doctrine ou attitude dont les adeptes refusent toute alternative à ce que leur
dicte cette doctrine. Les actions extrémistes sont par conséquent des méthodes
ayant pour but un changement radical de leur environnement».
La
radicalité est donc l’essence même de l’extrémisme, sa recherche.
Or,
l’essence même du Centrisme, c’est le refus de la radicalité, c’est-à-dire de
la division et de l’opposition entre factions en recherchant ce qui unit plutôt
que ce qui éloigne.
Pour
autant, en accolant extrême à centre, cela signifierait qu’il y a un Centre qui
veut aller plus loin que la démocratie, plus loin que la république, plus loin
que la représentativité, plus loin que le libéralisme, plus loin que le
solidarisme, plus loin qu’une économie sociale de marché.
Cependant,
le dépassement de ces notions ne serait plus une politique centriste.
Mais
cela signifierait aussi d’imposer ses vues alors même que le Centrisme est
toujours dans la recherche du compromis et du consensus et que son principe de
base est le juste équilibre.
De
même sa médéité est le contraire de la radicalité.
Sa recherche constante de consensus et de compromis n’est
évidemment pas là pour diluer ou dénaturer les réformes nécessaires mais pour
les rendre toujours plus efficace car s’appuyant sur une base citoyenne le plus
large possible.
En outre, l’extrémisme est, par essence, un diviseur
puisqu’il s’oppose à un autre extrémisme qui partage des vues diamétralement
opposées mais aussi qui nie le compromis qu’il associe à la compromission avec
le camp adverse et le consensus qu’il raille pour n’être qu’un unanimisme mou
et sans saveur.
Par ailleurs, l’extrémisme réfute l’existence de l’autre qui
ne pense pas comme lui puisqu’il affirme détenir la vérité.
Il veut donc bâtir une société fermée, là où le Centrisme
veut bâtir une société ouverte.
Dès lors, mélanger les termes «extrême» et «centre»
introduit, au minimum, une grave confusion faisant accréditer une thèse selon
laquelle il y aurait des centristes intolérants, qui lutteraient contre toutes
les idées et les initiatives qui ne rentrent pas dans un corpus fermé et qui voudraient
imposer leurs vues de manière autoritaire, voire violente.
- Centrisme
révolutionnaire
L’expression de «centrisme révolutionnaire» se retrouve dans
des écrits et des déclarations divers.
Citons, par exemple, celle du trublion de la sphère politico-médiatique,
Jean-François Kahn qui, après avoir fait commerce du Centre pendant des années,
a pu affirmer sérieusement, «Je ne me réclame pas du centrisme, ou alors du ‘centrisme
révolutionnaire’. Pour moi, la vérité n’est jamais au milieu. Entre un
résistant et un SS, elle est à 100 % du côté du résistant. Et de plus en plus
souvent, la vérité n’est ni à droite, ni à gauche, ni au centre, elle est en
avant… Il faut inventer autre chose, changer de logiciel».
On voit bien que Kahn mélange tout, diluant l’idée de
Centrisme dans une sorte de milieu minable où le centriste serait celui qui ne
prendrait jamais position, pire, qui estimerait qu’entre le bien et le mal, il
y a égalité puisqu’il se situerait à équidistance des deux…
On passerait bien vite à autre chose s’il n’avait été
recruté par François Bayrou et le Mouvement démocrate et qu’il devint même,
pour peu de temps, député européen de la formation centriste.
Car le terme de «centrisme révolutionnaire» a été repris par
Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2007 comme l’écrivait alors le
journaliste Charles Jaigu dans Le Figaro: «Citant le ‘centrisme révolutionnaire’
de son ami Jean-François Kahn, François Bayrou a décidé de rompre en visière
avec ‘l'establishment’. Une stratégie que le député européen (UDF) Jean-Louis
Bourlanges a baptisé ‘syndrome de la forêt de Sherwood’. ‘Tous ceux qui sont en
délicatesse avec les autorités se retrouvent dans la forêt de Sherwood, emmenés
par Bayrou-Robin des bois’, explique-t-il. En revanche, ceux qui ‘font
allégeance au shérif de Nottingham sont exclus’».
Analysons maintenant le concept de «centrisme
révolutionnaire» en nous attachant d’abord à la notion de «révolution».
Selon le dictionnaire Larousse il s’agit d’un «changement
brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un État, qui se
produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place, prend le
pouvoir et réussit à le garder».
En fait, la révolution est liée à ce mouvement violent qui
veut détruire l’ordre établi mais elle n’est pas ce mouvement.
La révolution n’existe vraiment a posteriori que si, après
le renversement du vieil ordre, un nouveau émerge dans le temps grâce à cette
violence.
Par ailleurs, l’idéal du révolutionnaire est de changer de
monde.
Or, l’idéal du centriste est de changer le monde, une
différence fondamentale.
Ce qui caractérise le Centrisme, c’est qu’il est un
réformisme et un progressisme aux valeurs humanistes qui est à l’opposé même de
l’idée de révolution.
Schématiquement, le réformiste veut changer la société, le
révolutionnaire veut changer de société, en établir une totalement nouvelle.
Ce sont donc des projets politiques antinomiques même s’ils
peuvent se rejoindre sur telle ou telle mesure, à la fois, réformiste et
révolutionnaire, parce que progressiste.
Mais leurs buts finaux ne correspondent aucunement.
Pour le centriste, changer de monde est une utopie
dangereuse qui aboutit, comme l’histoire nous l’apprend, à une destruction
violente et meurtrière de l’ordre établi pour en mettre un nouveau à la place
qui se révèle le plus souvent, autoritaire, voire dictatorial.
Les «révolutions» russe, chinoise ou iranienne du XX° siècle
en sont une preuve éclatante.
De son côté, le réformisme est un pragmatisme qui reconnait
le réel et s’attèle à travailler à partir de ce constat pour le changer en
l’améliorant.
En tant que réformisme et progressisme, le Centrisme veut
adapter la société démocratique et républicaine au réel et l’améliorer pour
qu’elle soit plus performante économiquement, socialement, politiquement et
sociétalement parlant et non la détruire.
Pourquoi donc ces expressions d’«extrême-centre» et de «centrisme
révolutionnaire» sont parfois utilisées.
En parodiant un célèbre humoriste, on pourrait dire que
certains veulent être plus centristes que centristes en se revendiquant de l’«extrême-centre».
D’autres, estimant sans doute que le Centrisme est un terme
peu «sexy» et poussiéreux, veulent le rendre à la mode et «jeuniste» en lui
accolant l’idée de révolution pour tenter de séduire un électorat particulier.
Mais, faisant cela, ils nient ce qui fait deux grandes
spécificités du Centre: il est l’adversaire déterminé de l’extrémisme et de la
révolution parce qu’ils voient en eux des dangers pour la démocratie et la
république.
Il n’existe donc d’«extrême-centre» pas plus qu’il n’existe
de «centrisme révolutionnaire».
Mais existe-t-il un centre «pur» qui serait gardien du dogme
centriste?
Au niveau des valeurs et des principes, il y a bien un
corpus centriste qui se situerait au centre du Centre en quelque sorte.
Cependant, ce corpus n’est pas figé dans sa vision politique
et son action politique.
En cela, le Centrisme est une pensée ouverte.
En outre, au niveau de la pratique, il ne faut jamais oublier
que le Centrisme est un pragmatisme et que le Centre est un lieu de rencontre
de plusieurs courants politiques (libéralisme, démocratie-chrétienne,
radicalisme, solidarisme pour les principaux) et que les centristes sont les
défenseurs d’une pluralité d’intérêts par le principe même du juste équilibre,
là où la Droite et la Gauche sont essentiellement des clientélismes qui
défendent des intérêts particuliers et qui, souvent, utilisent des oppositions
simplistes pour définir ceux qui sont «pour» et ceux qui son «contre» leurs
idéologies respectives.
Etude du CREC sous la direction d’Alexandre Vatimbella
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