François Bayrou & Jean-Christophe Lagarde |
La revue Charles vient de sortir son numéro du mois d’avril
avec un dossier sur le Centre en France avec des interviews de François Bayrou
et de Jean-Christophe Lagarde.
Ceux-ci donnent leur définition du Centre qui n’est pas la
même et diffère totalement quand Bayrou évoque la somme des individualités et
que Lagarde parle de l’humanisme comme un holisme, faisant au passage un
terrible contresens puisque la base de l’humanisme est l’humain, chaque membre
de la communauté humaine et non sur cette entité qui le regroupe, la société.
Même ses références assumées, la démocratie chrétienne et le
solidarisme de Léon Bourgeois reconnaissent le rôle central de l’individu.
De même, son explication selon laquelle il n’y aurait pas de
centre-gauche est pour le moins fumeuse.
Les deux leaders centristes sont plutôt d’accord pour
estimer le Centrisme est un pragmatisme et qui cherche à se confronter avec la
réalité pour trouver des solutions et non à bâtir des chimères irréalisables
comme les idéologies clientélistes de droite et de gauche.
Quant aux personnalités qui incarnent le Centre, François
Bayrou a un panthéon assez étonnant puisqu’il y met Pascal, Montaigne et… Henri
IV!
Ajoutons qu’il parle de Montesquieu également qui, lui, est
bien une référence centriste indiscutable.
Extraits des interviews:
- François Bayrou
Comment
définiriez-vous cette idée du Centre en politique? Le Centre est-il, comme le
disait François Mitterrand, « ni à gauche, ni à gauche »? Ou encore « ni-ni »:
ni à gauche, ni à droite?
Sûrement pas. Le Centre doit se définir positivement, et non
pas négativement. Le Centre est d’abord un idéal. En vérité, tout choix
politique qui dure est d’abord un idéal. L’opportunisme ne dure pas. Le Centre
est une vision du monde et de l’histoire, qui a ses racines dans la pensée de
Pascal, de Montaigne, de Montesquieu, et se rattache à de grands choix
historiques comme celui que conduisit Henri IV avec l’édit de Nantes. Pascal,
parce qu’il a défini avec sa thèse de la « distinction des ordres », une
société qui ne peut plus être soumise à un pouvoir unique: ni le seul pouvoir
religieux, ni le seul pouvoir politique, ni le seul pouvoir scientifique. Ainsi
l’être humain n’est plus soumis à une autorité totale, il retrouve sa liberté
de penser, de croire, sa liberté civique. Montaigne, parce qu’il refuse d’être
entraîné dans les sectarismes, dans la guerre des clans, et qu’il cultive la
modération. Montesquieu, parce qu’il sape les fondations du pouvoir absolu. Et
Henri IV parce qu’il fait entrer tout cela dans la réalité de la vie d’un
peuple, en arrachant la France aux guerres de religion, et en affirmant qu’on
peut avoir les mêmes droits, même si l’on n’a pas la même religion.
Cela, c’est pour la
philosophie et pour l’histoire. Mais pour l’économie politique, qu’en est-il du
centre ?
Le Centre, par pragmatisme, par observation de la réalité,
ne croit pas à l’économie dirigée. Il ne croit d’ailleurs à aucun dirigisme. Il
doute absolument qu’une autorité centrale puisse remplacer les millions
d’imaginations individuelles, qui dans le monde de la recherche ou de
l’entreprise, font avancer la société. Il faut donc une société qui libère et
soutienne la créativité, le risque, l’innovation. Le rôle de l’Etat est de
créer les conditions de cette créativité, en libérant les citoyens, les
familles, les entreprises, les associations, de la bureaucratie étouffante. La
démocratie doit aussi rappeler sans cesse que ce que nous avons à défendre, ce
n’est pas un modèle économique, c’est un projet de société, et c’est même le
tissu d’une société qui doit être équilibrée pour être durable.
Vous dites « projet de
société » ?
Le Centre combat la fracture systématique des pays et des
sociétés. Il recherche l’unité d’un pays, et il refuse donc la fatalité des
dominations de classes ou de castes. Il écarte le «chacun pour soi», et
notamment il s’oppose aux sociétés d’inégalités galopantes, à l’intérieur d’un
même pays comme à l’échelon international, que la société de marché tend à
fabriquer, à favoriser et à justifier. Son besoin de solidarité promeut
l’émancipation et non l’assistanat. Celui qui a dit au déshérité: «Ma mission
n’est pas tant de te donner du poisson que de t’apprendre à le pêcher» était
dans cette conviction. Le Centre défend l’idée que nous sommes tous
responsables de la société dans laquelle nous vivons. C’est même notre définition
de la démocratie qu’a, une fois pour toutes, formulée Marc Sangnier: «La
démocratie est l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et
la responsabilité du citoyen.» Les deux mots sont importants, «conscience»
suppose éducation, culture, liberté de l’information; et «responsabilité»
suppose participation du plus grand nombre à la décision. C’est pourquoi le
modèle de société que nous défendons fait une place si importante aux
associations et aux mutuelles, qui reposent sur la participation active des
individus qui autrement seraient isolés par rapport à la vie civique, sociale
ou économique. On veut un modèle de résistance à la puissance des puissants.
- Jean-Christophe
Lagarde
Vous êtes, depuis
2014, président de l’UDI. Vous faites partie de cette famille centriste, cet
espace politique assez obscur, souvent caricaturé. Quelle est votre définition
du Centre?
C’est le refus de concevoir des réponses politiques avec des
a priori. Le seul a priori chez un centriste, c’est : «Je ne vais pas répondre
à la question en fonction de la personne qui me la pose, je vais le faire en
fonction du problème lui-même.» Ce n’est pas un mode de lecture automatique.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de corpus et de ligne, mais que les
choses sont adaptables. C’est une grande prise en compte de la réalité, de ce
qu’on voudrait que le monde soit. Contrairement à ce que les gens pensent, ce
n’est pas un peu de droite et un peu de gauche. Le Centrisme est basé sur deux
valeurs : le fédéralisme et l’humanisme. Le fédéralisme considère que la
construction sociale fonctionne mieux de façon ascendante. En partant d’un
ensemble réduit qui s’associe dans un ensemble plus grand. C’est la commune qui
a besoin d’une région, la région qui a besoin de la nation, la nation qui a
besoin du continent européen.
Concernant
l’humanisme, c’est un principe plutôt consensuel, l’ensemble de la classe
politique s’y réfère aisément…
Oui, mais c’est une imposture ! Ils volent une idée de notre
famille politique. L’humanisme considère que le groupe social auquel vous
appartenez sera plus important que vous-même. L’humanisme considère que les
règles sociales doivent d’abord être centrées sur la capacité qu’on donne à
chacun à se développer et donc à se tourner ensuite vers les autres. La
personne ne peut pas s’épanouir si on ne prend pas en compte qu’elle fait
partie d’une communauté. Je suis citoyen de ma ville, je suis acteur de ma
région, de ma nation. Et je fais partie d’un continent, qui doit défendre son
mode de vie, sa civilisation face aux autres.
On parle généralement du centre droit et du centre gauche.
Pour vous, y a-t-il un Centre ou plusieurs centres?
Je pense qu’il existe un centre droit, mais qu’il n’existe
pas vraiment de centre gauche. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de
personnes de gauche centristes. Je vais reprendre la formule de François
Mitterrand qui disait : «Un centriste est quelqu’un qui n’est ni de gauche, ni
de gauche.» La réalité c’est que quand un centriste se dit à gauche, la gauche
lui demande d’abord d’être de gauche et pas d’être centriste. Ce qui n’est pas
le cas à droite. Ils ont adopté une tactique différente : à la création de
l’UMP, en 2002, ils ont même voulu faire croire qu’ils étaient la droite et le
centre, alors qu’en réalité ils ne sont que la droite! Ils ont essayé
d’absorber, mais pas de nier. À gauche, on dit «je suis de gauche», c’est une
expression, une tonalité particulière, que je trouve toujours touchante, mais
un peu ridicule. Ce qui ne veut pas dire que les radicaux de gauche ne sont pas
du centre. La seule différence c’est qu’ils ont adopté l’alliance avec les communistes
et que leurs circonscriptions sont plutôt de tradition de gauche. Le Parti
radical de gauche est de gauche mais a été frappé par le scrutin uninominal
majoritaire à deux tours, qui a été construit contre le centre. De Gaulle a
interdit la tripartition de la vie politique, en la fracturant en deux.
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