lundi 8 février 2016

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Les mauvaises attaques contre l’individu

Une des grandes différences entre le libéralisme, le socialisme et le conservatisme, c’est la place de l’individu et de sa réalisation.
Pour les libéraux, même s’il existe une évidente dimension collective à cette réalisation, c’est l’individu qui porte en lui-même son émancipation, qui construit sa vie, qui prend son destin en main et qui est capable de saisir les opportunités par son mérite et sa responsabilité.
Pour les socialistes, mouvement né en réaction au libéralisme, c’est au contraire dans la communauté et par la communauté que l’individu se réalisera et s’émancipera pleinement, ce qui lui impose de mettre au service de celle-ci ses capacités.
Pour les conservateurs, dont le libéralisme était une réaction, il s’agit de conserver des relations sociales où l’individu s’insère dans le collectif, non pour s’émanciper mais pour occuper une place en regard de ses capacités mais également de l’ordre social même si la possibilité de s’en extraire par la réussite est une possibilité.
On se sera pas étonné dès lors des attaques virulentes de la Gauche et de la Droite envers l’individualisme qui serait responsable de tous les maux de notre société actuelle.
Ce qui est plus étonnant, c’est la récupération à droite des travaux des sociologues, discipline généralement à gauche et peu appréciée par les gens de droite.
Mais il existe désormais une certaine proximité idéologique entre une certaine gauche et une certaine droite (on ne parle pas des extrêmes de gauche et de droite qui ont des points de convergence depuis toujours) dont l’ennemi commun est le libéralisme permissif et son représentant diabolique, l’individu.
On le constate d’ailleurs dans les discours mais également dans les passerelles qui existent chez les intellectuels de ces deux bords qui partagent nombre d’idées et ont souvent des lignes politiques parallèles.
Ces attaques contre le libéralisme et l’individu ont également en commun la mauvaise foi et confondent sciemment les principes et leurs dévoiements.
On peut ainsi parler de libéralisme en parlant des thèses néolibérales ou on peut attaque la liberté alors qu’il s’agit de licence.
Penser que le libéralisme et sa promotion de l’individu seraient la cause de la montée de l’autonomisation égoïste égocentrique assistée irresponsable insatisfaite irrespectueuse de l’individu moderne est une supercherie qui unit tenants du socialisme et du conservatisme.
Peu leur importe que ce phénomène d’autonomisation négative se voit dans n’importe quel système politique qu’il soit ou non démocratique (comme en Chine, par exemple), l’ennemi est bien cette trop grande liberté, cette trop grande montée de l’individualité, cette capacité à être autonome pour chacun.
Ainsi, ce n’est pas parce que les sociétés ou les individus utilisent les valeurs du libéralisme en les dévoyant que ces mêmes valeurs sont mauvaises.
Au contraire, d’ailleurs, si elles étaient correctement appliquées, elles produiraient tout sauf une société composée d’égoïstes, d’égocentriques, d’assistés, d’irresponsables, d’insatisfaits, d’irrespectueux.
Elles permettraient cette émancipation de l’individu, grâce notamment à son statut de personne qui ne réduit en rien ses «droits naturels», qui profiterait à toute la société et en ferait une communauté équilibrée, juste et ouverte.
Mais, pour les adversaires du libéralisme, tant à gauche qu’à droite, il est plus facile de prôner une société coercitive et fermée au nom d’un repli identitaire et d’un sauvetage de la société occidentale, celui-ci étant un alibi à une volonté de faire rentrer dans le rang cet individu décidément indiscipliné.
C’est une erreur car, profondément, ce n’est pas dans le phénomène d’indiviudalisation et dans l’individualité qu’il faut chercher les maux de la société mais bien dans celui d’autonomisation.
Non pas parce que cette autonomisation serait mauvaise et négative en soi mais bien parce que celle-ci a été dévoyée en devenant égoïste, égocentrique, assistée, irresponsable, insatisfaite et irrespectueuse ce qui n’est pas une conséquence ni logique, ni inéluctable.
Cette déviance pose bien sûr des questions sur l’organisation de la société mais pas sur les principes eux-mêmes de la démocratie républicaine dont le but premier demeure l’émancipation de l’individu, son statut de personne dans une société ouverte dont la fonction principale est la préservation de la vie de chacun de ses membres, donc d’assurer leur sécurité.
Rendre l’individu responsable de sa vie, ce n’est pas seulement lui demander de la prendre en main pour se réaliser et la réussir, c’est aussi lui demander d’être responsable de ses actes, de tous ses actes, et de respecter l’autre donc également la communauté sans être asservi par elle mais en en étant solidaire.
Ce n’est pas en renonçant aux acquis et aux avancées de la démocratie républicaine que l’on résoudra le problème ou alors de manière autoritaire et dans la régression.
Souvent pris comme prophète par les tenants de la stigmatisation de la démocratie républicaine et de sa modernité, Tocqueville qui voyait bien les perversions qui pouvaient naître, non pas de la liberté libérale comme on le dit trop souvent mais de l’égalité républicaine, ne pensait pas qu’il fallait un retour en arrière mais une nouvelle avancée dans la responsabilité de l’individu, ce qui l’oblige à être garant du système qui lui apporte la possibilité de la réalisation de lui-même.
Affirmer que la démocratie est allée trop loin, c’est se tromper de combat ou alors tromper les citoyens.
Responsabiliser ces mêmes citoyens dans tous les aspects de leurs existences, les amener à pratiquer le respect, vertu profondément démocratique et républicaine quant elle est symétrique et transitive, voilà le vrai défi.
Tout le reste n’est que diversion ou volonté d’imposer un nouveau modèle qui ne sera ni démocratique, ni même républicain.
Ce n’est évidemment pas une tâche facile.
Mais qui a dit que les choses étaient simples sur cette terre?



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