Vive la société civile, paré de toutes les vertus.
A bas le monde politique accablé de tous les vices.
On connait cette vieille rengaine et la floraison
d’associations plus ou moins bidons, nées souvent de l’ambition quelque peu
mégalomaniaque de chefs d’entreprise qui ont réussi dans leur domaine ou
d’intellectuels médiatiques en mal de destin national, qui tous prétendent
vouloir que le civil se réveille et s’empare du politique à la place du…
politique devenant ainsi du… politique, parce qu’il ne peut en être autrement.
Ce qui fait de la politique – organisation ou individu – est
obligatoirement du politique, même «différemment»!
Toujours est-il que ces associations ont toutes de noms qui
fleurent bon le populisme rassembleur comme Nous Citoyens, Aux urnes citoyens,
Objectif France, Bleu blanc zèbre, Société civile 2017, la Transition,
Génération citoyens, Nouvelle donne, etc.
N’en jetez plus!
A chaque fois, leurs initiateurs nous promettent le Big bang
politique qui se transforme rapidement en big flop.
Ils rêvent tous aujourd’hui de devenir des Syriza, des
Podémos et autres Mouvement cinq étoiles, ces organisations populistes et
démagogiques qui ont si bien réussi ailleurs et qui, heureusement pour
l’instant, n’ont pas réussi à prendre en otage le politique en France.
Leur profession de foi est une tromperie qui vient de la
base même de leur création comme nous venons de le voir.
Car ces structures qui se disent de la société civile,
c’est-à-dire qui prétendent être réellement représentatives de ce que sont les
citoyens et de ce qu’ils veulent, sont en réalité des organisations politiques
tout à fait traditionnelles dont la légitimité de parler au nom de la
population est une escroquerie.
Ainsi faire croire que l’on est encore dans la sphère privée
quand on a investi la sphère publique, donc par exemple de faire croire qu’un
candidat à une élection politique ne fait pas partie de la politique et donc de
la sphère publique est une supercherie qui permet à ceux qui lancent ces
«initiatives civiles» d’avancer masquer dans leurs volontés et leurs ambitions
politiques.
Pour prendre un seul exemple, dès qu’Emmanuel Macron a quitté
la banque pour le ministère de l’Economie, il n’était plus banquier mais
ministre, il n’était plus dans la sphère privée et donc la société civile mais
dans la sphère publique et donc le politique.
Si un jour il retourne à la banque et n’a plus de fonction
publique, alors son activité se trouvera dans la sphère civile.
En outre, cette floraison d’initiatives de la société civile
pose la question de sa réelle existence et sa réelle autonomie face au
politique.
Où qu’elle soit, la société civile est toujours organisée
par le politique (même l’organisation de son autonomie est une décision
politique).
Vouloir diaboliser le politique et glorifier le civil est
ainsi une hérésie et une mystification, les deux étant intimement liés.
Dans une société humaine tout est politique, c’est-à-dire
que tout ressort de son organisation qui ne peut être que politique, le
politique étant l’art d’organiser la vie de la cité, c’est-à-dire les rapports
entre les individus qui la composent.
Dès lors, prétendre que la société civile n’aurait pas de
lien avec le politique n’a aucun sens.
Pour autant, si tout est politique, cela ne veut pas dire
que l’Etat est légitime à intervenir partout car il ne faut pas confondre
sphère publique et sphère privée, notamment dans la démocratie républicaine.
Ainsi, dans la sphère privée, au-delà de l’espace issu de
l’autonomie ontologique de l’individu, une fois la règle générale de droit
décidée et fixée par le politique (branches législative et exécutive), c’est
dans la société civile au sens large (pas seulement les associations et
organismes représentatifs de celle-ci qui sont pour certains cette société
civile) qu’elle vit, les organes d’Etat (administration et branche judiciaire)
ne devant que faire en sorte qu’elle s’applique correctement pour le bien de
tous.
Les relations des individus entre eux sont évidemment
organisées par le politique puisque c’est le système politique (démocratie ou
dictature) qui décide ce qui est autorisé ou non, qui fixe le degré de liberté
et d’égalité d’une société, même si les individus ne respectent pas les lois
édictées.
Penser que la société civile peut s’émanciper du politique
est donc une vue de l’esprit.
Dire, en revanche, que l’administratif public ne doit pas
s’immiscer dans les relations de la société civile autrement qu’en rendant des
services et en faisant en sorte que les règles s’appliquent normalement, est ce
qui doit être la manière de fonctionner d’une société, en particulier la
démocratie républicaine.
Le Centrisme dont une des racines est le libéralisme
reconnait évidemment cette société civile mais n’en fait pas une sphère
indépendante du politique tout comme le politique n’est pas une sphère
indépendante de la société civile.
L’Etat, dans la vision centriste, étant un outil et non
l’incarnation de la communauté ou de la nation, est au service de la communauté
et bien sûr de la société civile.
On ne peut les opposer pour diaboliser le politique et
encenser la société civile.
Quand des organismes prétendent faire de la politique
autrement parce que de la société civile, ils leurrent leurs adhérents et
mentent.
Dès qu’ils sont dans la sphère de la politique, ils sont
dans la politique mais plus dans la société civile et ils obéissent aux règles
du politique, le politique n’étant pas une société secrète ou un monde
particulier qui serait en dehors de la communauté.
Reste que ces initiatives s’appuient sur un vrai défi que
doit relever le politique.
Dans tous les pays démocratiques, les partis et le personnel
politiques ne sont pas vu favorablement par les citoyens sauf exceptions.
Un dernier sondage réalisé de mois-ci par Elable pour le
site Atlantico montre que seuls 4% des Français ont une opinion favorable «des
partis politiques» dans leur ensemble.
A la question de savoir ce que leur inspirent ces partis, 1%
d’entre eux répondent de l’enthousiasme, 3% de la confiance, 40% de
l’inquiétude, 34% de la colère et 22% de l’indifférence.
En outre, 78% des Français affirment qu’ils pourraient voter
pour un candidat qui n’est «ni issu, ni soutenu par un parti politique».
Ce sondage peut être rapproché d’un autre réalisé par l’IFOP
pour l’association Synopia.
A la question, «Seriez-vous favorable à la tenue d'une
primaire non partisane, organisée par la société civile en marge des partis
politiques, et qui ait pour ambition de faire émerger de nouveaux candidats
pour la présidentielle de 2017?», 66% des personnes interrogées répondent par
l’affirmative.
Bien entendu, il faut relativiser ces résultats sachant que
le politique suscite toujours des réactions très critiques dans la population
du fait même des challenges parfois impossibles que celle-ci lui demande de
relever (ce qui engendre ces fameuses promesses politiques mensongères
particulièrement utilisées dans les partis clientélistes de gauche et de droite).
Aux Etats-Unis, les enquêtes d’opinion de ces dernières
années montrent des taux ridiculement bas d’approbation ou de sentiment positif
du personnel et des institutions politiques.
Quant à savoir si un candidat «issu de la société civile»
serait plus compétent et ouvert, notamment s’il est un entrepreneur, ou même
s’il changeait la manière de la faire la politique, nous avons devant nous un
exemple parfait qui vient justement d’Amérique.
Il s’appelle Donald Trump, est un promoteur immobilier et
non un «politicien» et il est en tête de la primaire républicaine dont certains
experts prédisent qu’il va la gagner.
Son programme économique conduirait à la faillite des
Etats-Unis, son programme social est infaisable, son programme anti-immigration
xénophobe et proche des thèses de l’extrême-droite et sa capacité à construire
une planète plus fraternelle proche de zéro.
Le tout avec une personnalité clivante, qui insulte ses
opposants et qui ment sur nombre de sujets.
Son profil peut se résumer ainsi: arriviste populiste,
démagogue et xénophobe.
Sans commentaires.
In fine, le danger de ces «partis politiques de la société
civile», c’est de faire croire qu’il y a une solution en dehors de la
politique, que la politique, elle-même, serait l’obstacle à la construction d’une
meilleure société.
Or, un peuple dépolitisé, c’est un peuple qui abdique sa
légitimité sur le système politique dans une démocratie républicaine.
Et c’est un système politique soit accaparé par quelques
uns, soit incapable de fonctionner, donc de remplir son rôle de débat
contradictoire, de proposition puis d’action après le choix des citoyens.
Car s’il est évident que ce système doit être amélioré,
réparé, modernisé pour être le plus efficace possible, il n’est certainement
pas un frein mais bien l’outil indispensable au bon fonctionnement de la
démocratie républicaine.
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