Le grand débat venu de l’Antiquité pour savoir si la science
politique est une vraie science – j’épargnerai au lecteur un débat académique
essentiel mais très ardu (*) –, trouve toujours ses limites dans notre grand
cirque médiatique où les experts (spécialistes, analystes et autres
professionnels du commentaire politique) viennent nous donner leurs vérités.
Pourquoi pas?
Le problème pour l’«électeur de base» ou le «citoyen lambda»,
c’est que ces vérités se contredisent constamment rappelant que cette science
politique n’est peut-être qu’un lieu de débat et non une discipline
scientifique d’où, malheureusement, ne sortent jamais des lignes directrices
claires et nettes.
Deux exemples.
Le premier concerne le Front national.
Sa montée en puissance actuelle est-elle due à une
droitisation de la société ou à une gauchisation du FN (dans le sens où ce sont
d’anciens électeurs communistes et socialistes qui l’ont rejoint ces dernières
années depuis qu’il a adopté un programme économique et social de gauche) ou à
un vote protestataire qui n’aurait aucune portée idéologique mais ne serait
qu’un mouvement d’humeur d’électorats en réalité toujours fidèles à leurs
opinions politiques?
Eh bien les trois selon nos experts!
Ce qui est gênant c’est que ceux qui viennent nous expliquer
que la société vire à droite sont les mêmes qui affirment que l’on ne peut plus
appeler le FN un parti d’extrême-droite mais un parti populiste et démagogique
dont la ligne politique est certes à droite mais le programme économique et
social est de gauche, sans oublier la dimension protestataire du vote…
Car si le FN n’est plus à droite mais quelque part entre la
droite et la gauche (au centre a même osé prétendre Marine Le Pen à la presse
américaine!), une sorte d’organisation hybride qui n’a que comme principe
directeur de dire ce que certaines catégories de personnes veulent entendre
pour qu’elles votent pour ses candidats, alors la droitisation de la société
est un leurre puisque les blocs de droite et de gauche sont alors assez
semblables.
Quant au vote protestataire, il est difficilement
compréhensible si le vote pour le FN est désormais un vote d’adhésion…
Ce paysage politique, nos experts l’appellent désormais le
tripartisme, après nous avoir abreuvés d’études depuis 1958 et l’adoption de la
Constitution de la V° République sur le fait que le nouveau régime politique ne
pouvait fonctionner qu’en bipartisme.
Bien entendu, l’existence dans les années 1980 de quatre grands
partis, RPR, UDF, PS et PC pouvaient rentrer dans leur grille de lecture en
présentant l’existence de deux blocs comme une sorte de bipartisme, même si
cette présentation fleure bon une escroquerie intellectuelle.
D’autant que le tripartisme officiellement créé par nos
experts oublie sciemment les partis centristes qui ne sont plus que, dans leurs
analyses, des appendices de la Droite.
Et c’est notre deuxième exemple.
Pourquoi, en effet, se compliquer la vie avec un Centre, même
si celui-ci n’est évidemment pas réducteur à la Droite, comme le disent
d’ailleurs nos experts tout en prétendant le contraire pour leur démonstration
du bipartisme et maintenant du tripartisme?
Car ces derniers nous expliquent qu’il y a un réel vote
centriste qui n’a jamais disparu depuis le début de la V° République.
Pourtant certains continuent à prétendre que ce vote
centriste n’est pas la preuve de l’existence du Centre.
L’exemple le plus incohérent et le plus ridicule de cette
thèse est celui de Dominique Reynié, politologue mondain reconverti en homme
politique, qui s’est échiné à expliquer que le Centre n’existait pas tout en
faisant alliance avec lui lors des dernières élections régionales.
S’allier à ce qui n’existe pas, voilà une attitude plus
ésotérique que scientifique…
Bien sûr, me rétorquera-t-on, ce n’est pas parce que des
gens se prétendent centristes que le Centre existe.
C’est vrai.
Mais qui irait affirmer que la Gauche et la Droite
n’existent pas au même motif?
Parce que si l’on devait donner un brevet de pureté de
socialisme ou de conservatisme, bien peu de ceux qui s’en réclament y auraient
droit!
A l’inverse, pour reparler du FN, ce n’est pas parce qu’il
nie être à l’extrême-droite et qu’il a même menacé un temps ceux qui le
considéreraient comme tel de procès qu’il n’est pas un parti extrémiste et de
droite.
On rappellera d’ailleurs à ceux qui pensent que le programme
économique et social du FN n’est pas d’extrême-droite (et que donc le parti ne
l’est plus) que ceux des nationaux-socialistes en Allemagne et des fascistes en
Italie étaient également plus proche des thèses socialistes et communistes que
des thèses libérales.
Et pourtant, ils étaient bien des partis d’extrême-droite…
Evidemment, les experts ont le droit de dire ce qu’ils
veulent et les médias de les inviter pour leur donner une tribune.
Evidemment, tous les experts ne sont pas aussi incohérents
ou ne viennent pas seulement donner leur opinion mais partager leur savoir.
Malheureusement, pour l’information du citoyen, primordiale
en démocratie, ces experts sérieux sont une minorité.
Mais, dans cette même démocratie, chacun a le droit de croire
ce qu’il veut croire, même des experts incohérents qui ont le droit de dire ce
qu’ils ont envie de dire.
In fine, pour ce qui nous intéresse ici, voilà ce qu’est le
Centrisme selon nous:
- un humanisme intégral (l’être humain, cause et but de
toute société humaine);
- un libéralisme social (la liberté solidaire);
- un réformisme (l’ajustement continuel de la société);
- un pragmatisme (gouverner à partir du réel);
- un progressisme (améliorer les conditions de vie de tous);
- un personnalisme (l’individu porteur de droits et de
devoirs dans un lien social équilibré).
Ses principales valeurs sont la liberté, le respect, la solidarité,
la tolérance, garanties par l’égalité dans la différence et par
un lien social émancipateur de l’individu basé notamment sur l'équité.
Son objectif est la mise en place d’une démocratie
républicaine respectueuse et équilibrée, la seule qui peut, à la fois, prendre
en compte tous les acquis démocratiques tout en les consolidant dans une
société du XXI° siècle où il faut, à la fois, renforcer les relations
collaboratives entre les personnes par un lien social
dépoussiéré, refondé et affermi par lequel s’exprime
une responsabilité collective rénovée tout en étendant la
liberté de chacun grâce à l’approfondissement d’une autonomie
individuelle responsable.
Son principe d’action politique est le juste équilibre qui
peut se définir comme une bonne et pertinente répartition harmonieuse.
Celui-ci ne s’intéresse pas à un hypothétique lieu
géométrique axial mais vise à équilibrer la société afin d’y établir un
consensus maximal au profit de tous les membres de la communauté.
Il vise à donner le plus de satisfaction possible à tous les
citoyens tout en sachant que personne ne peut être contenté
complètement.
Sa règle comportementale est la responsabilité, à la fois,
dans son expression du droit à être responsable de sa vie ainsi que de ses
choix et dans celle du devoir d’assumer ses actes.
En France, trois pensées principales sont à la source
du centrisme français: le libéralisme, le christianisme (avec
la démocratie-chrétienne) et le radicalisme.
Schématiquement, la liberté du Centrisme vient du
libéralisme, sa solidarité du christianisme et son adhésion à la
république du radicalisme.
Le centrisme français découle
- du libéralisme parce qu’il se bat pour les
droits naturels d’un individu autonome et responsable poursuivant son intérêt;
- du christianisme (démocratie-chrétienne) parce
qu’il se bat par l’amour (agapé) pour le respect d’une personne partageant
la condition humaine universelle et la solidarité dans sa communauté;
- du radicalisme parce qu’il se bat par la raison
pour la dignité d’un citoyen averti et conscient défenseur d’une laïcité
intégrale et intégrante.
Voilà qui définit bien un courant politique à part entière.
(*) On pourra lire, entre autres:
- La
science politique ou le contournement de l'objet de Bernard Voutat
- Introduction
à la science politique de Jean Meynaud
- Introduction
à la science politique de Nicolas Rouillot