A question simple, réponse simple: François Bayrou veut être
président de la république.
Tout, dans ses propos et ses actes, le montre depuis qu’il
s’est présenté la première fois en 2002.
Tout dans ses déclarations actuelles – relayées par celles de
ses proches – le confirme.
Surtout dans son obsession propre à tous ceux qui, obnubilés
par cette envie d’occuper le fauteuil de l’Elysée, font le sacrifice de tout le
reste, l’UDF dans un premier temps, le Mouvement démocrate dans un deuxième,
compris.
Parce qu’il se considère, au moins depuis 2007, comme le
seul homme de la situation face aux extrémistes et aux candidats sans envergure
que sont, à ses yeux, les Sarkozy, Hollande, Royal, Borloo et quelques autres
pour résoudre la crise profonde qui, selon lui, touche la France, pas seulement économique mais également morale et qui l’atteint dans sa cohésion
même, d’où ses appels répétés à une large union de tous les démocrates.
Même Alain Juppé n’est pas au-dessus des précédents nommés,
lui qui sera néanmoins soutenu par le président du MoDem parce qu’il est
«Bayrou compatible» et qu’il lui doit son poste de maire de Pau, s’il parvient
toutefois à arracher la candidature LR à la primaire de son parti, ce dont
doute beaucoup le Béarnais.
Sur France 2 il a ainsi déclaré «Je souhaite qu'en 2017 il y
ait à l'élection présidentielle un candidat qui puisse rassembler le courant
politique que je représente et d'autres courants pour être une vraie
alternative. Alain Juppé peut être cet homme-là.»
Mais si le maire de Bordeaux est battu lors de la primaire,
alors, «je serais dans la responsabilité de celui qui ne peut pas accepter que
la France n'ait que ce choix-là», c’est-à-dire les «deux impasses» que sont
«les cinq années de Nicolas Sarkozy et les cinq années de François Hollande» et
«l'impasse du FN».
Si tel est le cas, alors d’autres questions aussi simples se
posent.
Tout d’abord, comment peut-il se faire élire?
François Bayrou comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande,
est persuadé que Marine Le Pen sera au second tour de la présidentielle.
Il est également persuadé comme Sarkozy ou Hollande, qu’une
grande majorité des Français ne sont pas encore prêts à élire une présidente
d’extrême-droite.
Dès lors, la personnalité qui sortira en tête des candidats
démocrates au premier tour devrait être le prochain président.
Mais si l’on se base sur les dernières élections et sur les
projections actuelles, François Bayrou a toutes les chances d’arriver derrière
Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Sauf que le président du Mouvement démocrate fait une autre
lecture.
A gauche, il pense qu’il y a beaucoup de modérés déçus de
Hollande qui ne voteront plus pour l’actuel hôte de l’Elysée et qui se
reporteront donc sur le candidat le plus proche de leurs convictions, lui.
A droite, il estime que Nicolas Sarkozy ne pourra pas avoir
les voix des électeurs modérés qui ne veulent plus de l’ancien hôte de l’Elysée
comme président et qu’ils se reporteront donc sur le candidat le plus proche de
leurs convictions, lui.
En estimant qu’il peut donc gagner entre 3% et 5%, voire
plus, de chaque côté de l’échiquier politique qui s’ajouterait à sa base
électorale qui est autour de 12%, le voilà qui pourrait obtenir plus de 20%
tout en, mécaniquement, faisant baisser les scores de Hollande et Sarkozy.
Le voilà donc, selon ses calculs, au second tour.
Pour autant, cela implique que des électeurs de gauche et de
droite se retrouvent sur son nom en sachant qu’ils vont faire éliminer les
candidats de gauche et de droite.
Or, après le traumatisme de 2002 avec l’élimination de
Lionel Jospin au premier tour et la présence de Jean-Marie Le Pen au second
tour, ce cas de figure est moins probable.
Par ailleurs, pourquoi des électeurs de gauche voteraient
pour François Bayrou alors qu’il a décidé de se positionner à droite et à faire
alliance avec elle.
En outre, pourquoi les électeurs de droite devraient avoir
de la sympathie pour sa candidature alors qu’il n’arrête pas de critiquer le
président de LR, Nicolas Sarkozy.
Ainsi, toujours sur France 2, il a déclaré à propos de ce dernier: ««Je
n'ai pas d'antipathie personnelle pour lui, mais je suis en confrontation avec
lui», ajoutant que le président de Les républicains « avait dans son rapport
avec le pouvoir quelque chose qui n'allait pas très bien».
Il ne s’est pas arrêté là, estimant que «sa ligne politique
n'a pas changé. Son choix, c'est de gagner l'élection en mettant de l'huile sur
le feu et il pense, peut-être à juste titre, que ça apporte des voix. Mais ce
n'est pas bien pour la France».
Difficile d’être plus critique avec le président d’un parti
avec lequel on fait alliance pour les régionales et qui vous a permis d’être
élu maire de Pau!
Mais difficile aussi de réussir à ce que les électeurs de
Nicolas Sarkozy votent pour lui alors même qu’il l’éreinte la journée entière.
Dès lors, le cas de figure qui permettrait à François Bayrou
de se qualifier pour le second tour semble très hypothétique à l’heure
actuelle.
Ensuite comment veut-il gouverner et avec qui?
Adepte de la proportionnelle pour les législatives (ou du
scrutin majoritaire avec une forte dose de proportionnelle, il a parfois varié)
et d’un renforcement des pouvoirs présidentiels dans un face à face tel qu’on
le connaît aux Etats-Unis, Bayrou affirme sans grande preuve et sans convaincre
qu’un président tout juste élu acquiert quasi-automatiquement une majorité à
l’Assemblée nationale, surtout depuis la réforme du quinquennat qui fait suivre
la présidentielle des législatives.
Mais, de toute façon, un président, pense-t-il, qui tire sa
légitimité du suffrage universel et non du Parlement, n’a même pas besoin d’une
majorité, qu’il peut gouverner avec des majorités conjoncturelles («d’idées»)
sur des projets précis.
Bien entendu, il serait plus à l’aise avec une majorité pour
le soutenir.
Mais cela impliquerait une recomposition en profondeur du
paysage partisan français.
Même si l’on peut trouver des proximités politiques entre Alain
Juppé, François Bayrou, Jean-Christophe Lagarde, Manuel Valls, Emmanuel Macron,
entre autres, aucun rapprochement n’a encore eu lieu entre une droite modérée
et une gauche libérale et il ne semble pas que celui-ci puisse avoir lieu avant
2017 et même tout de suite après la présidentielle.
Il faudra sans doute attendre un peu plus longtemps, ce qui
ne résout donc pas le «avec qui» Bayrou pourrait gouverner, sachant
qu’aujourd’hui il y a qu’un député Mouvement démocrate à l’Assemblée nationale.
Enfin, être président pourquoi faire?
Cette question, pourtant cruciale, ne lui a pas souvent été
posée comme si les journalistes qui ont généralement une forte sympathie pour
le personnage, préféraient lui demander ce qu’il pense de la situation actuelle
de la France et du monde, de son envie d’être président et de son jugement sur
les autres personnalités politiques.
Les propositions éparses du Mouvement démocrate en matière
d’éducation, de fiscalité ou de production industrielle, parmi quelques autres,
ne font pas un projet, ni même un programme électoral.
Les zigzags à gauche et à droite n’ont pas permis de dégager
une orientation très claire de la politique que pourrait mener un président
nommé Bayrou.
Tout au plus peut-on constater que les références de plus en
plus nombreuses au Général de Gaulle et à sa politique dirigiste vont à
l’encontre de la conversion libérale de la Droite française (en tout cas dans
les mots) et au positionnement libéral social du Centre.
Dès lors, bien malin celui qui est capable de dire quelles
seraient les orientations d’une politique menée par François Bayrou, même en se
référant à ses trois précédentes campagnes présidentielles.
C’est peut-être d’ailleurs pour cela que les Français n’ont
jamais reconnu la stature présidentielle du leader du MoDem, tout en le mettant
depuis longtemps dans le peloton de tête des baromètres des personnalités
politiques.
Bien sûr, François Bayrou a encore le temps jusqu’en avril
2017 pour donner des réponses à toutes les interrogations qui subsistent sur la
consistance de sa probable candidature.
Mais il est pris dans une contradiction qui pourrait lui
coûter cher.
Ainsi, il doit, jusqu’aux résultats de la primaire de LR,
c’est-à-dire en novembre 2016, afficher son soutien à Alain Juppé et ne pas
faire de déclarations qui pourraient nuire à celui-ci ou qui pourrait montrer
qu’il est déjà en campagne électorale, ayant acté la probable défaite du maire
de Bordeaux.
Or, si ce dernier est effectivement battu et qu’il ne décide
pas de se présenter en indépendant, s’il estime que la primaire ne s’est pas
déroulée de manière honnête, François Bayrou n’aura que peu de temps pour
développer le pourquoi et le comment de sa candidature à l’Elysée, surtout de
l’installer dans l’opinion (c’est d’ailleurs pour cela qu’il en parle tout le temps
en ce moment en précisant immédiatement qu’il soutient Juppé…).
Néanmoins, on peut être sûr d’une chose: il travaille déjà
depuis longtemps sur sa présence dans la bataille en 2017.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC