Regards Centristes est une série d’études du CREC qui se penchent sur
une question politique, économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une
vision centriste. Deuxième numéro consacré au libéralisme et à son actualité en
France où, désormais, la Droite et la Gauche le revendiquent après l’avoir
longtemps démonisé alors que le Centre l’a toujours accueilli comme faisant
partie de son corpus de pensée.
Le Libéralisme, et c’est tant mieux, semble être devenu en
France un héritage national commun à tous les courants politiques excepté les
extrêmes.
Cela n’a pas toujours été le cas et cette appropriation
semble parfois un peu artificielle sur certains points quand elle n’est pas
bâtie sur une méconnaissance de ce qu’est le libéralisme par ceux qui s’en
revendiquent.
Rappelons que le Libéralisme est né de cette idée théorisée
par John Locke que les individus pouvaient se gouverner eux-mêmes si leur
puissance à chacun (théorisée, elle, par Hobbes qui en faisait pour la première
fois un attribut ontologique de l’individu) était transformée dans des droits
qui devaient obéir à la loi.
Cette confiance dans la capacité du peuple à s’autogouverner
venait en complète opposition à ce que Thomas Hobbes avait écrit dans le
Léviathan, bible des conservateurs (les adeptes du Conservatisme et non ceux
qui voudraient conserver des acquis que l’on peut trouver autant à droite qu’à
gauche de nos jours), qui démontrait que le choc des puissances individuelles
créait l’anarchie et que seul un gouvernement fort (en l’occurrence la monarchie
absolue pour Hobbes) pouvait permettre à chacun de vivre en paix.
Elle est également en complète opposition à la théorie
socialiste (le Socialisme s’est créé en opposition aux thèses libérales) qui
estimait qu’il fallait réguler la liberté individuelle au profit d’une liberté
collective avec une forte restriction de l’initiative individuelle notamment en
matière économique (d’où, pendant longtemps, une volonté de nationaliser
plusieurs secteurs de l’économie comme les banques ou les industries lourdes).
Bien sûr, au cours des ans les systèmes et les pensées
hybrides ont quelque peu mélangé les concepts.
Ainsi, dès les années 1920-1930, on peut dire que le célèbre
économiste britannique John Maynard Keynes était un libéral alors même que son
projet d’une puissance publique régulatrice de l’économie, notamment en cas de
crise, venait en opposition de l’idée libérale, non pas du laisser faire, mais
d’une organisation de la sphère économique permettant, non seulement, à la
liberté d’exister mais aussi à la vraie concurrence de s’exercer (ce qui
suppose des normes que beaucoup d’ultralibéraux rejettent) sans, néanmoins,
aucune intervention étatique dans le fonctionnement quotidien de la machine
productive.
Aujourd’hui, plusieurs libéralismes se répondent, s’enrichissent
les uns les autres, voire se combattent férocement.
En matière politique, on distingue essentiellement trois
formes de libéralisme.
Il y a d’abord le conservatisme libéral ou libéral
conservatisme, un courant de la droite qui est très conservateur voire même
réactionnaire au plan des mœurs et du fonctionnement de la démocratie
républicaine (ayant une préférence d’ailleurs pour le républicanisme
démocratique) mais qui est très libéral, voire ultralibéral (comme l’était
Margaret Thatcher ou Ronald Reagan) en matière économique, prônant la
dérégulation à tout va qui bénéficie aux plus riches.
C’est un mélange de Thomas Hobbes (politique) et de Friedrich
Hayek (économie).
Aujourd’hui, beaucoup de leaders de LR se réclament d’un
libéralisme économique tout en étant conservateurs.
On peut citer comme principaux chef de file politiques
actuels en France, François Fillon, Hervé Mariton et à un degré moindre Nicolas
Sarkozy.
Quant au social-libéralisme ou socialisme libéral, c’est un
courant de la gauche qui est positionné à la droite de la gauche et dont la
vision est celle d’une société où si la liberté est toujours pensée à travers le
prisme de l’égalitarisme néanmoins, en matière économique, il prône une liberté
d’entreprendre ainsi que les règles du marché, bien loin d’une économie
planifiée et contrôlée.
Les chefs de file politiques français de ce courant sont
Manuel Valls et Emmanuel Macron.
Ses tenants viennent de la gauche antiautoritaire voire
libertaire et sont dans la droite ligne d’un John Stuart Mill, héraut du
libéralisme «social» au XIX° siècle mais aussi de l’Américain John Rawls (avec
sa théorie de la justice) ou de l’Indien Amartya Sen.
Reste le libéralisme social qui est centriste.
Ce dernier reprend à son compte la liberté libérale, tant en
matière politique qu’économique, mais la transcende dans un humanisme intégral
qui impose un respect de la personne et de sa dignité, donc une solidarité qui
lui confère sa couleur sociale.
Mais, à l’inverse du social-libéralisme (et du Socialisme),
c’est bien d’abord en libérant les capacités de l’individu, ce qui lui permet
de créer et de réaliser de la plus-value, que l’on peut faire une
redistribution sans pour autant gripper la machine productive et non en imposant
d’abord la redistribution dans une vision égalitariste mais simplement en établissant
l’égalité en matière sociale comme reposant sur l’égalité des chances
(opportunités) et la méritocratie effectives.
Cette vision humaniste vient, entre autre, de la pensée
démocrate-chrétienne, autre grand apport avec le libéralisme du corpus
centriste.
De même, le Centrisme n’est pas soluble dans le
Conservatisme et réciproquement parce que le premier nommé refuse une société
figée dans ses structures et dans son organisation sociale.
De par sa tradition libérale, il est réformiste et ouvert en
matière sociétale (il faut rappeler à ce propos les réformes en matière de
mœurs de Valéry Giscard d’Estaing quand il accède à l’Elysée en 1974) mais
aussi pour une organisation de la solidarité de par sa tradition démocrate-chrétienne
qui n’est pas celle des conservateurs.
C’est pourquoi d’ailleurs les partis libéraux en Europe sont
souvent proches du centre de l’échiquier politique et que l’UDF lors de sa
création regroupait essentiellement des démocrates-chrétiens et des libéraux
(et quelques droitistes réactionnaires égarés…).
Pour être tout à fait complet, il faut citer ceux qui se
revendiquent uniquement du libéralisme, ce qui est le cas, en France, du petit
parti libéral démocrate qui se trouve à la gauche de LR et à la droite de l’UDI
(il fut même un temps membre de cette confédération).
N’oublions pas, non plus, ceux qui associent le Libéralisme avec
certains des concepts anarchistes et se revendiquent du Libertarisme aux
Etats-Unis sous l’influence d’un Robert Nozick (mouvement qui flirte
bizarrement avec le Parti républicain et dont le chef de file est Rand Paul, le
sénateur du Tennessee) et, parait-il le «libéralisme libertaire» en France
(terme forgé et utilisé d’abord par des marxistes de manière péjorative) qui a
peu de visibilité actuellement même si une personnalité comme Daniel
Cohn-Bendit s’en est parfois revendiquée.
Ce courant de pensée prône un Etat minimal et la plus grande
liberté possible, tant en matière de mœurs qu’économique, faisant de la société
civile, le lieu de résistance radicale au pouvoir étatique.
Pour autant, comme pour l’ultralibéralisme – qui est un
cocktail de libéralisme extrême en matière économique et de conservatisme
extrême en matière sociale et sociétale – le Libertarisme ne peut être
considéré généralement comme un libéralisme.
Avec ce panorama rapide et évidemment réducteur, il est
intéressant de voir que le Socialisme qui s’est forgé comme antithèse au Libéralisme
veuille désormais le récupérer mais aussi de voir que le Conservatisme qui
était son anti-modèle et contre lequel le Libéralisme s’est forgé comme
antithèse s’en réclame.
En revanche, c’est tout naturellement que le Libéralisme est
devenu dès le départ une référence du Centrisme.
Mais on ne peut nier, par exemple, que le terme «liberal»
désigne aux Etats-Unis des gens de gauche du Parti démocrate qui sont des
défenseurs de la liberté face aux conservateurs du Parti républicain.
De même, le débat qui s’est instauré dans les années 1970 et
1980 et qui a aboutit dans les années 1990 à la Troisième voie, c’est-à-dire à
un socialisme libéral, dans les pays anglo-saxons (Bill Clinton aux Etats-Unis,
Tony Blair en Grande Bretagne), montre qu’il y a eu une avancée libérale à
gauche même si pour beaucoup Clinton et Blair sont avant tout des centristes,
ce qui est plutôt exact.
On peut en conclure que l’on trouve du libéralisme à la fois
à droite, au centre (beaucoup) et à gauche.
Et ceci est bien normal puisque le libéralisme a fondé
politiquement parlant la démocratie républicaine qui a cours aujourd’hui dans
tous les pays occidentaux, issue directement des révolutions américaine et
française du XVIII° siècle.
En matière économique et sociale, il est certainement
actuellement plus ancré au centre mais il faut se réjouir qu’il soit de plus en
plus largement présent à droite et à gauche, suscitant un intérêt croissant
pour son réformisme et son ouverture.
Au fond, ceux qui veulent s’approprier le libéralisme
uniquement pour leur chapelle sont un peu comme ceux qui tentent de
s’approprier la république ou la démocratie dans nos sociétés occidentales
d’aujourd’hui.
Ainsi, le libéralisme comme morale politique, comme théorie
de la société bonne et juste, celle, comme le dit Catherine Audard (auteure
d’un livre de référence, «Qu’est-ce que le libéralisme») «où chacun est le
meilleur juge de ses intérêts et de la conduite de sa vie, est laissé aussi
libre que possible tant qu’il ne nuit pas à autrui et n’attente aux intérêts
vitaux de personne» et «qui respecte ces deux fondements normatifs de la théorie
libérale, les principes de liberté et d’égalité des personnes», appartient à
tous les courants démocratiques qui font vivre notre démocratie républicaine.
Même si le degré de libéralisme baisse au fur et à mesure
que l’on s’éloigne du centre de l’échiquier politique.
Etude du CREC sous la direction d’Alexandre Vatimbella
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