Il y aurait donc les méchants Français, ceux qui ne veulent
pas accueillir les migrants qui fuient les guerres, et les gentils Français,
ceux qui leur ouvrent leurs bras (ou ceux des autres…).
Raisonner sur cette opposition est d’un simplisme
consternant de la part de ces politiques mais aussi de ces représentants du
monde médiatique et de ces intellectuels qui se présentent en autorités morales
à peu de frais et présentent ainsi le débat légitime qui divise ou, tout au
moins, interroge une population inquiète et en manque de repères à qui on fait une
leçon indécente du bien et du mal.
Un dernier sondage montre que, désormais, 53% des Français
sont majoritairement pour l’accueil de réfugiés dont une large part d’électeurs
centristes (76% des sympathisants du MoDem et 77% de ceux de l’UDI).
Si cette générosité doit être saluée d’autant qu’elle se
rattache, pour ce qui est des centristes, à leur humanisme qui est la base même
de leur engagement politique et sociétale, on ne peut pourtant pas en rester
là.
Car les choses ne sont malheureusement pas aussi simples.
Je connais, par exemple, des centristes qui seraient prêts à
accepter toute la misère du monde si elle venait de pays et de populations qui
partagent les mêmes valeurs démocratiques et républicaines, qui ne refusent pas
les réfugiés de Syrie, d’Irak, de Libye ou d’ailleurs, mais qui se posent des
questions sur la réelle volonté d’’intégration d’un certain nombre d’entre eux
ainsi qu’à propos des divergences avec eux sur ce que signifie le vivre
ensemble.
La générosité d’aujourd’hui créera peut-être une situation
inextricable demain.
C’est d’ailleurs ce que l’on reproche à l’immigration de
l’après-guerre où la France ainsi que les autres pays européens sont allés
chercher cyniquement dans les pays pauvres de la main d’œuvre bon marché pour
faire tourner la machine économique et produire des taux de croissance qui nous
font désormais rêver sans se préoccuper de savoir comment tout ces gens se
fondraient harmonieusement dans la communauté nationale (à l’époque, les dirigeants
politiques et économiques disaient sans état d’âme qu’on les renverrait dans
leur pays quand on n’aurait plus besoin d’eux, propos scandaleux humainement et
politiquement parlant).
Justement, l’impossibilité d’intégration à moyen terme, le
développement de sous-cultures communautaires dont certains aspects ne sont
absolument pas solubles dans la démocratie républicaine sont des problématiques
qui sont apparues depuis une trentaine d’années à propos de cette immigration
et de manière prégnante depuis la fin des années 1990 et dont nous n’avons pas
de solutions miracles.
Sans oublier l’incompréhension de tous ceux qui peinent à
vivre décemment, à se loger et à trouver un travail, à élever leurs enfants et
qui se demandent comment on peut trouver les moyens pour aider des réfugiés
avant de s’occuper d’eux réellement en priorité.
Ceux qui ne voient pas tout cela, pire, qui font semblant de
ne pas le voir sont des irresponsables qui veulent uniquement surfer sur la
vague d’émotion pour glaner quelques points dans les sondages, pour alléger
leur conscience de tous les rendez-vous manqués du passé ou du présent, voire
pour se gargariser de leur «générosité» dans les salons qu’ils fréquentent.
Pour couper court à toute critique et à toute polémique
aussi simplistes que la distinction entre méchants et gentils, je dois dire que
je n’ai pas un nom français (italien), que mon père n’était pas français
(grec), né dans un pays arabe (Egypte) – ainsi que mon grand-père né dans un
pays musulman (Turquie) – et que je ne suis pas né, non plus, sur le territoire
français et que ma première nationalité a été grecque.
Pour ceux qui, à l’inverse, voudraient me reconduire illico
à la frontière après ce coming-out, je précise que ma mère vient d’une famille bien
française au nom bien français, installée depuis des siècles en Picardie et qu'elle fit la déclaration ma naissance peu de temps après celle faite par mon père, au consulat de France de mon lieu de naissance…
Ayant évacué une possible polémique d'un côté comme de l'autre, venons-en à la
discussion sérieuse.
Nous sommes, depuis quelques temps, dans une société où la
compassion est érigée en dogme.
La politique compassionnelle de nos dirigeants en est une
preuve tous les jours.
Pour ceux qui ont dépassé un certain âge, ils se rappellent qu’il
y a quelques décennies, à chaque fois qu’un pigeon était écrasé, le président
de la république ne publiait pas un communiqué de presse, n’allait pas
s’incliner devant sa dépouille mortelle du volatile devant les caméras et ne le
décorait de la légion d’honneur pendant que les chaînes d’information en
continue en faisaient plusieurs heures de direct avec des «spécialistes»
autoproclamés.
Cette caricature n’est malheureusement pas très loin de la
réalité actuelle mais elle veut rappeler que nous sommes dans une ère où
tout est devenu un spectacle qui doit produire des bénéfices pour ceux qui en
sont les acteurs.
Bien entendu, on ne peut faire aucune comparaison entre les
mises en scène à propos de tout événement qui s’y prête et la réalité de la
crise des migrants qu’ils vivent depuis quelques années et qui atteint de plein
fouet désormais l’Europe et la France de manière critique depuis la chute de
Kadhafi en Libye et que les conflits en Syrie et en Irak ont pris une dimension
paroxystique.
On parle ici d’être humains et d’une véritable détresse
qu’il serait mensonger de nier.
Personne ne peut mettre en doute les dires de ces migrants
sur la recherche d’une terre d’accueil, là où la vie de leurs enfants n’est pas
en jeu, là où ces enfants n’entendent pas le bruit du canon à longueur de
journée sans pouvoir aller jouer ou se rendre à l’école.
Cette réalité terrible ne peut pourtant pas occulter la
question de l’intégration et de l’acceptation des valeurs de la démocratie
républicaine que cette politique compassionnelle à courte vue refuse de voir.
On sait bien qu’un certain nombre de ces migrants n’ont
aucune envie d’abandonner leur culture et leur religion qui ont plus de points
de divergence que de points communs avec celle des pays occidentaux.
Cela n’est pas critiquable en soi, chacun a le droit de
choisir ses références en la matière.
En revanche cela impose que si nous leur ouvrons la porte
pour se réfugier le temps de la guerre, nous ne la laissions pas ouverte une
fois celle-ci terminée à ceux qui ne veulent pas de la définition de notre
vivre ensemble.
Bien sûr, ces personnes qui refusent les principes de la
démocratie républicaine ne feront sans doute pas beaucoup plus de terroristes
islamistes sur le territoire qu’en font les convertis «bons» français de souche.
Mais, par leur contestation des valeurs qui fondent notre
liberté, notre égalité et notre fraternité, ils fragiliseront le lien social
qui nous permet de vivre dans une société démocratique qu’ils déstabiliseront.
De même, il ne faut pas fantasmer, il n’y aura sans doute
pas des millions de migrants qui s’établiront en Europe et en France en
particulier dans un avenir proche.
Cela dit, personne de lucide et responsable ne peut dénier
que la présence de ces migrants posera un problème culturel latent (et non
humain).
Je parle ici des cultures de groupes spécifiques (peuple,
religion, idéologie, etc.), celles qui malheureusement divisent l’humanité et
produisent les guerres (et non des cultures individuelles qui s’enrichissent mutuellement
quand elles sont respectueuses de l’autre).
Tous les jours nous sommes confrontés à cette menace dans le
monde mais aussi en France comme le prouve l’exemple ultime de Daech, comme l’a
prouvé, il n’y a pas si longtemps, celui des nazis.
Vivre dans une démocratie républicaine c’est interdire à
toute culture de la remettre en cause de n’importe quelle façon que ce soit.
Le «printemps arabe» et ses dérives avec la victoire des
partis islamistes partout où des élections «libres» furent organisées et la
violence qui a accompagné le succès des ultras envers les défenseurs de la
démocratie montrent que le modèle de la démocratie républicaine occidentale,
aussi perfectible qu’il soit, se défend.
Prétendre que rien ne se passera si un afflux de migrants
qui ne veulent pas de l’assimilation, la véritable, est de l’angélisme stupide
et irresponsable.
Comment sortir de ce dilemme, avoir une démarche humaniste
tout en ayant la vigilance responsable nécessaire.
De ce point de vue, la distinction entre réfugiés politiques
et réfugiés de guerre utilisée par Nicolas Sarkozy peut sembler pertinente.
Un réfugié politique quitte son pays parce qu’il est
persécuté pour ses idées qui sont généralement en faveur de la démocratie et de
la liberté.
L’accueillir est donc accueillir quelqu’un qui partage a
priori les valeurs de la démocratie républicaine.
Tout autre est le réfugié de guerre qui est accueilli pour
des raisons humanitaires mais qui n’a manifesté aucune adhésion aux valeurs
démocratiques et républicaines et qui peut tout à fait les refuser.
En revanche, il ne faut pas mettre en place deux filières
totalement étanches.
D’une part, le réfugié politique peut s’avérer un dictateur
en devenir (Ce fut le cas de l’ayatollah Khomeiny) et doit donc pouvoir être
expulsé ou poursuivi.
D’autre part, un réfugié de guerre doit être capable de
prouver qu’il est un démocrate et un républicain ou qu’il veut accepter les
valeurs et les principes de la démocratie républicaine et donc de pouvoir
changer de statut et être considéré comme un réfugié politique s’il vient d’une
région où n’existe pas la démocratie comme c’est le cas de la Syrie, par
exemple.
On le voit, rien n’est simple.
C’est pourquoi les centristes doivent être vigilants pour ne
pas tomber dans le piège du relativisme et de l’abandon de la vigilance
démocratique au nom d’une compassion qui deviendrait alors irresponsable et
dont nous paierions le prix un jour ou l’autre.
Un discours qui peut choquer certains mais qui se base sur
la réalité de notre monde.
Mais, à l’opposé, ils ne doivent pas abandonner l’humanisme
qui doit guider toutes leurs décisions.
Ainsi, tous ceux qui fuient les persécutions pour leurs
idées ou leurs engagements politiques en faveur de la liberté, qui fuient les
guerres pour vivre dans un pays libre dont ils acceptent le régime démocratique
sont les bienvenus.
Reste que croire en la supériorité de notre culture qui en
ferait un phare qui attirerait l’humanité entière en quête d’assimilation
démocratique est un leurre.
Mais croire que ses valeurs en font la meilleure (voire la
seule) pour établir une démocratie républicaine est un fait incontestable.
Or c’est bien une démocratie républicaine humaniste faite de
liberté, de respect, de tolérance et de solidarité que défendent le Centrisme
et le Centre.